jeudi 20 novembre 2014

La Corse.


La Corse.

Les Romains, tout en reconnaissant la difficulté de soumettre les Corses au joug, de dompter leur caractère indépendant, et d'en faire des esclaves, les considéraient, parmi les étrangers, comme ceux qui observaient avec eux, avec le plus de scrupule, les règles de la justice et de l'humanité. Celui qui, le premier, trouvait du miel sur les montagnes et dans le creux des arbres, était assuré que personne ne le lui disputerait. Ils étaient toujours certains de retrouver leurs brebis, qu'ils laissaient paître dans les campagnes sans qu'on les gardât. Le même esprit d'équité paraissait les conduire dans toutes les relations de la vie.
Les Corses n'ont pas changé depuis l'antiquité. La longue guerre qu'ils firent aux Gênois, et qu'ils continuèrent même contre la France, montre assez combien ils sont peu disposés à supporter le joug étranger. Adroits, lestes, sobres, plein de courage et d'honneur, ils réunissent toutes les qualités qui font le bon soldat et l'officier de mérite; la part active et honorable qu'ils prirent dans nos guerres, comme soldat ou comme généraux, le prouve suffisamment. Il n'y a peut être pas en Europe un peuple plus hospitalier, plus généreux. Sur les montagnes, le berger, dépourvu de tout, vivant d'un pain de châtaignes si dur qu'il est obligé de le briser entre deux pierres pour l'humecter plus facilement dans le vase en bois où il fait chauffer le lait de ses brebis, offre dans sa misérable cabane l'hospitalité aux voyageurs, et refuse le payement de leur séjour et de la nourriture qu'il donne. "Si je vais chez vous, dit-il, vous me recevrez." Il sait bien qu'il n'ira jamais. Partout, également désintéressé, il fait aux rares voyageurs qui visitent la Corse le meilleur accueil, partage ses repas avec eux, prépare leur lit avec des bruyères sèches, et leur sert de guide jusqu'à ce qu'ils soient sûrs de la route qu'ils ont à suivre.


Les longues guerres qui ont désolé la Corse ont laissé dans le cœur des habitants de vieilles querelles de famille et peu de goût pour le travail. Le Corse sait, avec la même promptitude, venger un affront et reconnaître un service; l'un ou l'autre de ces sentiments suffit pour le posséder entièrement: il abandonne ses champs et sa famille pour se faire justice lui-même. La querelle de deux hommes devient, par un usage barbare, celle de deux familles; tous les parents s'arment de part et d'autre, et transforment en champ de bataille des contrées paisibles; chaque maison se change en forteresse, l'agriculture cesse et fait place au désœuvrement et à la misère. A la suite des crimes commis dans cette petite guerre, la justice intervient, condamne ceux qu'on a pu prendre; les autres s'enfuient aux montagnes, y vivent misérablement, et, afin d'éviter un châtiment qui les attend pour leur premier crime, ils en commettent de nouveaux sur quiconque leur semble avoir pour but de les atteindre, homme de loi, gendarme ou voltigeur corse. Victimes d'un malheureux préjugé, ils deviennent brigands: à eux se joignent quelquefois des soldats réfractaires ou de mauvais sujets comme il y en a partout; toutefois, ils ne commettent point d'autres crimes que ceux qu'ils croient nécessaires à leur propre sûreté. Armés jour et nuit, l'un d'eux fait sentinelle quand les autres dorment; ils vivent errant de montagne en montagne, dans les lieux les plus inaccessibles, où ils sont toujours préparés à se défendre jusqu'à la mort.
Dans les cantons du centre de l'île, où les montagnes, plus élevées qu'ailleurs, servent de refuge aux contumaces, les postes de gendarme et les rares auberges où ils font étape, sont disposés comme des petits forts, avec murs crénelés, pour éviter les surprises; on rencontre même quelques maisons fortifiées, qui, par la nature de leur maçonnerie, n'indiquent pas l'époque des guerres civiles de la Corse, et paraissent plutôt disposées ainsi par les familles qui ont cherché à se soustraire à des vengeances particulières.
Le sort des femmes de la campagne est malheureux; les travaux les plus durs leur sont réservés; presque toujours nu-pieds, elles portent sur la tête d'énormes fardeaux, traversent les torrents sur des cailloux, tandis que les hommes, armés de pied en cap, montés sur leurs chevaux, les font marcher devant pour sonder les gués et leur indiquer où ils pourront passer sans danger et à leur aise.
Le costume des Corses, formé, en général, du drap grossier et de couleur brune qui se fabrique dans le pays, est encore pittoresque; ils portent de grandes guêtres boutonnées jusqu'aux genoux, un pantalon et une veste ronde assez amples; la coiffure nationale est un bonnet pointu en velours noir, orné de galons et surmonté d'un gland. Pour la nuit et la mauvaise saison, un large caban à capuchon et en drap brun couvre tout le vêtement; dans quelques cantons, ce caban est fort court et ne forme qu'un mantelet.
Le paysan corse marche presque toujours armé; il porte ses denrées à la ville avec son fusil sur l'épaule, ou une paire de pistolets pendus à une large ceinture de cuir, dans laquelle est disposée, sur le devant, une ample cartouchière. Dans la montagne, il porte en plus une hache, ce qui, avec son vêtement brun à longs poils, lui donne un aspect singulier. Le vêtement des femmes offre des dispositions moins caractéristiques que celui des hommes: lorsqu'elles montent à cheval pour faire un long trajet, elles portent une longue robe boutonnée sur le devant du haut en bas; leur tête est coiffée d'une toque divisée par de nombreuses côtes.

Le magasin pittoresque, juillet 1851.

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