lundi 10 novembre 2014

Hébreux captifs à Babylone.

Hébreux captifs à Babylone.


On ne semble avoir été frappé que du côté poétique de la captivité des hébreux en Assyrie; on ne cite jamais que leur cantique plaintif sur les fleuves de Babylone, et le peintre allemand, dont nous reproduisons la touchante reproduction, a évidemment suivi la commune inspiration. Ce sont toujours des captifs chantant la patrie absente et fixant un œil douloureux sur la grande cité de Sémiramis.



Mais le séjour des Juifs en Assyrie a un autre aspect dont l'histoire doit faire ressortir l'importance. Ce ne fut point un simple hasard de guerre, une de ces servitudes accidentelles si fréquentes pour les petits peuples de l'antiquité. En regardant de plus près, on y voit clairement une des mille évolutions accomplies par les races au profit de la civilisation.
Les Hébreux, retirés dans un coin du monde, défendus par des déserts, des montagnes et la mer, avait conservé à peu près sans mélange les grandes institutions de Moïse. Alors que l’idolâtrie la plus sauvage et le despotisme le plus avilissant gouvernaient la terre, eux seuls avaient conservé l'unité de Dieu, la liberté et l'égalité humaine, c'est à dire ce qui constitue véritablement les hommes. Là seulement, sur la terre d'Israël, les peuples n'étaient point la propriété d'un maître: des chefs de tribus gouvernaient avec le conseil des anciens; les juges étaient choisis par ceux qui devaient leur obéir. Point de castes, mais division dans les fonctions. La tribu de Lévi, consacrée au culte, était nourrie par toutes les autres; pas de sciences occultes réservées aux seuls initiés comme en Egypte ou en Orient; la lumière appartenait à tous; pas de privilège guerrier, chaque citoyen était soldat!
Si les lois étaient mal observées, si des hommes usurpaient une puissance dangereuse, des prophètes se levaient dans la foule, rappelaient aux principes établis par Dieu, et défendait ou vengeait l'opprimé.
Mais cette belle et grande organisation sociale était bornée par les étroites limites de la Terre promise. L'isolement qui lui avait été d'abord nécessaire pour naître et se fortifier, menaçait de la laisser inconnue au reste du monde; les conquérants assyriens y pourvurent. Ils allèrent chercher dans un pan de leur manteau ce petit peuple qui s'était assimilé tant d'idée véritablement fécondes, et ils le répandirent sur leurs Etats comme une semence pour l'avenir.
Les Hébreux apportèrent à Babylone des éléments inconnus dont les monuments contemporains ont heureusement conservé les traces.
La prospérité avait fait de la capitale de l'Assyrie quelque chose d'inouï dans les fastes du monde. "Babylone, dit un des prophètes, a été comme une coupe d'or dans la main de l’Éternel; elle enivrait toute la terre!  Jamais la démence du luxe, les fantaisies du pouvoir absolu et l'égoïsme méprisant de l'homme pour ses semblables, n'avaient été portés si loin. Dès qu'ils parurent au milieu de ces esclaves et de ces tyrans voluptueux, les Juifs devinrent les inébranlables représentant de la charité, de la liberté, de la dignité humaine.
Leurs protestations ne s'en tinrent pas aux paroles; elles se traduisirent par des actes. Défendait-on d'ensevelir les Hébreux mis à mort, Tobie se levait et leur creusait une fosse. Poursuivi, il fuyait; oublié, il revenait et reprenait son oeuvre. Sa piété fraternelle fatiguait l'oppression. Nabuchodonosor forçait-il tous les fronts à se courber devant sa statue, ceux des enfants juifs restaient droits, et on les voyait préférer la fournaise à l'humiliation d'une pareille flatterie. Leur commandait-on d'abandonner leur Dieu pour une des idole assyriennes, Daniel maintenait la liberté des consciences en descendant dans la fosse aux lions.
Leur courage allait plus loin! il préparait la chute de cet empire monstrueux, où les vices étaient devenus les assises mêmes de l'ordre social. Ils l'effrayaient de leurs menaçantes prophéties; ils appelaient à sa destruction les peuples plus jeunes et moins corrompus de la Perse.
"L’Éternel aura pitié de Jacob, dit Esaïe; il choisira Israël; il les rétablira dans leurs terres; les étrangers se joindrons à eux, et ils s'attacheront à la maison de Jacob."
Puis il montre toute la terre en repos et en sérénité, "parce que Babylone n'est plus." Les cèdres mêmes du Liban se disent l'un l'autre: "Depuis qu'elle est endormie, personne n'est monté pour nous couper;" enfin il fait lever du fond de leurs sépulcres tous les princes, tous les rois vaincus par l'Assyrie. Et tous s'écrient avec surprise: "comment es-tu tombée des cieux, étoile du matin, fille de l'aube du jour? Toi qui foulais les nations, tu es abattue jusqu'à terre."
Ailleurs, on le voit poser une sentinelle qui regarde aux quatre aires du vent; il lui demande à chaque instant ce qu'elle aperçoit, et la sentinelle n'annonce que la ruine de l'Assyrie et de ses alliés; chars et cavaliers passent en criant: "Elle est tombée, elle est tombée!"
Babylone tombait en effet, grâce à Cyrus et aux juifs. Pendant que Balthazar s'oubliait dans les festins, une main invisible écrivait sur la muraille trois mots hébraïques destinés à jeter l'épouvante dans les cœurs, et Daniel, un des chefs de son peuple, que tous regardaient comme conseillé par Dieu, Daniel expliquait l'inscription fatale! Au même instant, Cyrus pénétrait dans la ville par le lit desséché de l'Euphrate, et Hérodote déclare positivement que ce moyen lui avait été indiqué! Par qui, sinon par ce peuple ennemi que les Assyriens avaient enchaîné à leurs foyers, et qui attendait, selon l'expression de son prophète, que l'étranger se joignît à lui."
Le roi des Perses récompensa les Hébreux en leur accordant le droit de retour dans leur patrie; mais beaucoup préférèrent suivre le jeune vainqueur et s'établir dans ses Etats.
Ils s'y multiplièrent au point de former des bourgs et des villes importantes. Ils avaient su se maintenir à la cour. Tout le monde connait l'histoire d'Esther et de Mardochée; leur lutte contre Aman, le favori de Darius, la proscription dont furent d'abord frappés les Hébreux, que l'on présentait comme dangereux à l'Etat, à cause de leurs lois et de leurs croyances particulières. Ils surent échapper au danger en prenant les armes et en combattant leurs ennemis. Il y eu dans Suse même cinq cents morts, et ils tuèrent dans tout l'empire soixante-quinze mille ennemis! ce qui fait supposer qu'ils devaient être eux-mêmes très-nombreux.
Après ce massacre, dit la Bible, "ils eurent du repos de leurs ennemis; mais ils ne mirent point leurs mains au butin." Ce dernier trait est précieux; il différencie les Juifs des peuples qu'ils combattaient, et prouve que la lutte fut une lutte de race et non un prétexte pour le pillage.
Mardochée devint premier ministre.
L'influence juive se fit sentir dans la civilisation persane; elle lui donna une grandeur plus humaine. Les rois assyriens avaient été des géants de despotisme et de sensualité; les rois de Perse furent bien plus près de se croire des hommes. Corrompus par l'éducation et un pouvoir sans contrôle, ils ne devinrent pourtant ni des Sardanapale ni des Nabuchodonosor. Ils haïssaient, mais ils pouvaient aimer; ils se laissaient emporter par la colère, mais ils pleuraient! A tout prendre, il y eut progrès. Chez eux l'initiation commençait, l'autorité, aveugle, bestiale, s'altérait et s'amollissait, l'action des Grecs vint compléter plus tard ce que les Juifs avaient commencé.

Le magasin pittoresque, février 1851.

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