vendredi 3 octobre 2014

Tours.

Tours.


Déjà nous avons présenté à nos lecteurs des articles spéciaux sur quelques unes des villes de France; aujourd'hui, nous appellerons leurs regards sur le chef-lieu du département d'Indre-et-Loire. Située dans une plaine magnifique, entre la Loire et le Cher, entourée de champs fertiles et de jardins délicieux, Tours attire dans ses murs un grand nombre d'Anglais, et d'autres étrangers. La douceur de son climat, l'agrément de son site, le bas prix, l'abondance et la bonne qualité des productions de la terre, contribuent beaucoup à y entretenir l'affluence des visiteurs; mais les mœurs douces et aimables des habitans de Tours  sont aussi pour quelque chose dans cet accroissement de population.
L'importance de Tours est de vieille date. Dès 1470 elle vit la réunion des états généraux de France, qui s'y assemblèrent de nouveau en 1484 et en 1506. Ce fut dans les environs de Tours que les Sarrasins furent mis en déroute par Charles Martel. Tours a donné le jour à plusieurs célébrités littéraires et industrielles, parmi lesquelles nous citerons Destouches, l'auteur comique; L. Leroy, l'un des horlogers du XVIIe siècle qui aient fait faire le plus de progrès à leur art; Béranger, et enfin l'un de nos plus savans géographes vivans, M. Eyriès. Les lecteurs des Annales des voyages reconnaîtront la plume de ce spirituel écrivain, dans les lignes que l'on va lire sur l'état actuel, et les antiquités de la ville de Tours.
Quand la grande route, venant de Paris et de Chartres, traversait le faubourg St.-Symphorien, elle suivait sur la Loire un vieux pont, qui n'était pas l'oeuvre des Romains, mais d'Eudes, dit le Champenois, comte de Touraine, qui le fit bâtir en 1030 ou 1031. Il était étroit, sinueux et mal pavé. Les arches en étaient d'inégale largeur; de distance en distance, des angles ou des demi-lunes s'ouvraient pour faciliter le passage de deux voitures qui se rencontraient. Il y avait à peu près au milieu, c'est à dire à l'endroit où sur un îlot, dit St.-Jacques, le coupait en deux, de misérables maisons, bien vieilles, bien délabrées, où se vendaient aux paysans, aux voituriers, des graines, de la poterie, des étoffes communes, et aussi l'Almanach de Liège, la civilité puérile et honnête, et quelques recueils de pières imprimées sur papier gris, avec de détestables images en bois, seule librairie à l'usage des passans, et qui faisait alors partie obligée, comme encore à présent dans nos provinces les plus reculées, d'un petit fond d'épiceries.
L'aspect de ces constructions irrégulières, amassées sur ce pont, était triste et repoussant. Et cependant, à moins qu'on ne traversât la Loire dans une toue, il n'y avait pas d'autre route pour arriver au chemin de Château-Renault, de Vendôme, ou sur la chaussée de Blois et d'Anjou.
De ces constructions si solides, formées d'une agrégation de petites pierres liées avec du ciment rouge, et dont les pilotis sont devenus noirs comme de l'ébène, on ne voit plus surgir que trois arceaux, espèce de squelettes décharnées, qui se soutiennent encore, mole sud, contre les glaces et les grosses eaux, non loin de ces quatorze belles arches si larges, si uniformes, qui composent le nouveau pont. L'avenue qui en est le prolongement, avec l'avenue de Grammont, ou la route d'Espagne d'un côté, et de l'autre côté, la tranchée qui conduit dans le Maine ou dans le Vendômois, forment une magnifique enfilade et un vaste coup d’œil: celui qui ne suit que cette ligne prend une idée peut être trop favorable de Tours, dont toutes les rues n'ont pas cette élégance et cette régularité.
Je reviens aux vieux ponts. Sans doute les anciens ont vu la porte massive et chargée de fer, avec la herse aux dents aiguës, et aussi la petite figure de la Vierge, enluminée de rouge et de bleu, posée au-dessus de cette porte, dans une niche sculptée. Je n'en ai point de souvenirs. Mais j'ai vu quelquefois le château qui en était tout près, monument historique remarquable seulement par sa masse et son antiquité, dont on voudrait faire remonter (voyez un peu les vanités humaines!) l'origine à Turnus. Commencé par un seigneur et terminé par un autre, réparé et augmenté par un troisième, il avait des grosses et des petites tours., il fut pris et repris, comme tous les châteaux du monde; il reçut des comtes, des ducs et des rois, une foule d'hôtes joyeux, puissans; puis ses murs épais, percés de petites fenêtres, hérissés de barreaux de fer dentelé qui se croisaient, entourés de fossés, remplis d'une eau verte et croupissante, servirent à refermer des prisonniers d'état, de grandes victimes de la politique ou de la religion. Mais toutefois, le château de Tours, bâti sur la rive gauche du fleuve, ne pouvait lutter en beauté avec les grandes constructions de Blois, d'Amboise et de Saumur, si éminemment pittoresques. Les bords de la Loire sont si riches dans ce genre, que Tours, sous ce rapport, n'a pas la prétention de soutenir le parallèle avec ses voisins. Mais comme "les histoires des prisonniers sont plus intéressantes, parce que la perte de la liberté est le plus grand et le plus anciens des malheurs," laissez-moi vous parler un peu longuement du fils de Henri de Guise, dit le Balafré, qui s'esquiva avec beaucoup de bonheur de ce terrible donjon.
Depuis plus de trois ans, ce jeune prince était confié à la garde du seigneur de Rouvray et de Jean d'O, capitaine de cent hommes de la garde du roi. Il était surveillé nuit et jour avec une telle sévérité, que pas un de ses domestiques ne couchait dans sa chambre. Mais le 15 août, après avoir donné avis de son projet d'évasion à ses serviteurs fidèles, chargés de lui amener des chevaux au lieu désigné, il descendit à la chapelle, il y fit ses prières, et avant de monter à la grosse tour qui lui servait de prison, il s'entretint familièrement, selon sa coutume, avec ses gardes, leur proposant un défi à qui monterait le plus tôt à cloche-pied l'escalier de la tour. On lui laissa par respect les premières marches, il profita de la politesse, prit sa course, escalada rapidement l'escalier, et s'empara d'une porte de sûreté qu'on avait fait faire exprès pour lui. Il la ferma aux verrous, la mit entre lui et ses gardes, ordonnant à ses gens de ne l'ouvrir à personne, quelque menace qu'on put leur faire. Ayant pris dans sa chambre une corde que la blanchisseuse avait glissé dans son linge, il l'attacha à un bâton placé entre ses jambes, et passant par la fenêtre, ses domestiques le descendirent. Mais des gardes l'aperçurent, tirèrent des fenêtres du château sur lui, ce qui fit que ses gens effrayés laissèrent aller la corde tout à coup; le duc de Guise tomba de quinze pieds environ. Sa chute ne l'empêcha pas de se relever, et, sans songer à ramasser son chapeau, il s'enfuit le long des murs de la ville, parce que la Loire qui les baignait était alors fort basse. Ainsi, malgré les clameurs d'une vieille femme qui ne cessait de crier: le Guisard se sauve! il parvint jusqu'au faubourg de Notre-Dame de la Riche, où il s'empara du cheval tout bâté d'un boulanger qui le menait boire. Plus loin un obstacle imprévu se présenta: un soldat, qui avait été un an au service de la Ligue, et ancien sergent de l'élection de Tours, lequel était fort bien monté, aborda le prince en lui commandant de descendre. L'échappé voyant que c'était un soldat de la garnison, lui dit qu'il se rendait et consentait à rentrer dans la prison du château. Le soldat étonné lui demanda son nom. Lorsque le prince se fut fait connaître, le sergent descendit de cheval, baisa respectueusement ses genoux et lui offrit sa monture qui était bien meilleure et bien plus commodément harnachée. Alors, prenant le galop, il se dirigea vers le lieu qu'il avait indiqué à ses serviteurs; et ceux-ci le voyant venir à cheval et nu-tête, se mirent à fuir jusqu'à ce que l'un d'eux, s'étant retourné, le reconnus à ses vêtemens.
L'ancien hôtel-de-ville, que Charles VII et Louis XII ont visité plus d'une fois, qui vit nos pères proclamer Henri IV, et délibérer avec anxiété pendant les troubles de la Ligue et de la Fronde; l'ancien hôtel-de-ville où les mesures de rigueur et de clémence étaient prises tour à tour, soit que la peste décimât la population, soit que la famine mit le poignard aux mains des mères échevelées; l'hôtel-de-ville avec ses sculptures gothiques et ses grandes salles, a disparu peu de temps après que tant d'institutions bonnes ou mauvaises, et tant d'édifices précieux pour les arts et l'histoire, fussent renversés par la révolution de 1789.
Ce monument, qui n'était plus en harmonie avec les mœurs actuelles, et qui se trouvait placé dans une rue resserrée, ne devait pas subsister plus long-temps. Le lieu des séances de l'administration municipale, ainsi que le palais de justice, fut transféré sur une belle place demi-circulaire, en face du pont nouvellement construit dans une situation charmante, sur la rive de la Loire, et vis-à-vis des coteaux si rians qui la bordent.
L'édifice était convenable, élégant même à l'extérieur, mais ce qui me charmait le plus, c'était de voir incrustée dans les parois du grand escalier une longue file d'écusson en pierre, des maires et échevins de la cité. Je ne reconnais pas de plus belle noblesse que celle que donnent des services gratuits, modestes, obscurs, rendus à ses concitoyens pendant un long espace de temps. Celui qui maintient l'ordre et la paix dans une ville, quelquefois au péril de ses jours, celui qui nourrit le peuple dans les temps de disette; celui-là, certes, à l'époque de la raison où nous sommes arrivés, mérite bien le droit de laisser à sa famille les signes honorables de son illustration. Ces témoignages muets et innocens, ont péri dans le déluge universel de 89.
Parlons de St. Gatien. C'est une église bien vieille; ses tours ne sont pas sans élégance, et certain roi (Henri IV), pour faire sa cour aux Tourangeaux, disait qu'il fallait à ces tours un étui. 



L'éloge était pompeux. Ses abords et ses alentours sont peut-être en harmonie avec ce grand édifice: son intérieur, ses vitraux, mutilés et mal réparés, ne peuvent lutter sans doute avec ceux des églises de Chartres, de Rouen, de Paris, de Strasbourg; on a fait tomber les arc-boutans qui soutenaient cette basilique, et on a retouché et dégradé les figures dont les portiques étaient ornés. Toutefois la cathédrale de St. Gatien est encore un des plus curieux monumens qui nous restent de l'architecture qu'on appelle vulgairement gothique.
La ville de Tours est une de celles qui, en France, ont retiré le plus d'avantages de la découverte ou du perfectionnement des puits artésiens. Placée entre deux fleuves, elle jouissait en outre de quelques fontaines, mais qui tarissaient quelquefois pendant les jours de sécheresse. Aujourd'hui aux deux extrémités de la ville, dans son centre, et sur d'autres points encore, des eaux abondantes excèdent les nécessités les plus multipliées.
Les maisons à toits pointus et saillans, avec des poutres sculptées, et ornées de figures grotesques; les maisons dont la façade, moitié en bois, moitié en tuiles, offrait de longues et tristes lignes d'ardoises transversales, finissent par disparaître; les blocs réguliers de pierre blanche, si susceptibles de prendre toutes les formes, servent aujourd'hui aux nouvelles constructions; les rues s'alignent et sont parées avec le plus grand soin; des balcons élégans, de grands carreaux et des persiennes donnent aux édifices ordinaire un aspect plus riant.
Tours, comme les autres ville de France, a vu tomber les flèches aiguës, les hautes tours rondes et carrées qui surgissaient au milieu des maisons uniformes et se dessinaient avec élégance le long du fleuve; mais la Loire n'a pas cessé de baigner ses murs, mais la rue spacieuse qui la traverse, la fraîche ceinture d'arbres qui l'entoure, mais l'élégance de ses habitations, la douceur du langage, et des mœurs, devenues plus faciles encore par le séjour des Anglais et des militaires, et par sa proximité avec la capitale, feront toujours de cette cité le rendez-vous des étrangers et un lieu de plaisance.

Le Magasin Universel, 1834-1835.


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