lundi 27 octobre 2014

Sur les cloches.

Sur les cloches.


Si l'on veut regarder les sonnettes comme ayant, par un accroissement successif de volume, donné naissance aux cloches, on peut croire que l'invention de celles-ci remonte à une très haute antiquité; car, d'après le chapitre 28 de l'Exode, il était ordonné au grand-prêtre d'avoir des sonnettes au bas de sa robe, pour que le peuple fût averti par elles du moment de son entrée dans le sanctuaire. Juvénal, Martial, Pline et d'autres font mention de cloches annonçant l'heure d'ouverture des marchés et des bains publics, et ils se servent, en général, du mot assez imitatif tintinnabulum, d'où viennent nos mots tinter, tintouin et leurs dérivés. Vers la fin du quatrième siècle, on commença à appeler les cloches nolœ et campanœ. Ces deux noms leur venaient de la ville de Nole en Campanie, soit à cause d'un perfectionnement introduit par cette ville dans leur fabrication ou leur usage, soit à cause de l'airain de Campanie dont on se servait pour les faire, airain qui, au dire de Pline, était très renommé. Les Italiens disent encore campana, et nous campanille. Quant à notre mot français cloche, son origine est toute germanique; il vient de l'allemand glocke, qui a la même signification. Ce mot, latinisé dans les Capitulaires de Charlemagne, se retrouve en bas-breton et en anglo-saxon avec la seule variation du g en c. Les Bourguignons, dans leur patois, appellent encore cloquemann un sonneur de cloches.
Persécutés pendant trois siècles, les chrétiens, même après le triomphe de leur religion, furent long-temps sans se servir de cloches. Ils employaient, comme moyen de rassemblement, soit un instrument assez semblable à nos crécelles, soit d'immenses tables de bois, appelés bois sacrés (ligna sacra), sur lesquelles on frappait avec des baguettes. Vers l'an 480, les cloches commencèrent à s'introduire dans les églises d'Occident; mais ce ne fut qu'au milieu du neuvième siècle que leur usage s'établit en Orient.
Les cloches ont joué un grand rôle dans l'histoire du moyen âge et des temps modernes. Quand une ville, sous le régime féodal, entrait en rébellion avec son souverain, un des premiers châtiments qu'on lui infligeait était d'enlever ses cloches, qui servaient alors à célébrer toutes les réjouissances civiles et religieuses. Ainsi la cloche de l'hôtel-de-ville, à Paris, sonnait pendant trois jours et trois nuits pour annoncer la naissance d'un Dauphin ou d'un héritier présomptif du trône. Mais bien souvent aussi les cloches ont sonné le glas de mort dans les grandes agitations politiques; et pour ne citer que deux faits se rattachant à notre histoire, ce fut au premier coup de vêpres des cloches de Palerme que, le lundi de Pâques 1282, commença le massacre des français, massacres connu sous le nom de vêpres siciliennes, et ce fut la cloche de Saint-Germain l'Auxerrois qui, dans la nuit du 24 août 1572, donna le signal de la Saint-Barthélemi.
Considérées sous le point de vue poétique et religieux, les cloches ont fourni à Schiller une de ses plus belles ballades, et à Chateaubriand un des meilleurs chapitres de son Génie du Christianisme. On peut citer aussi un distique latin sur les attributions des cloches, qui ne manque pas d'harmonie imitative:

"Laudo Deum verum, plebem voco, congrego clerum,
"Defuntos ploro, fugo fulmina, festa decoro."

Je loue le vrai Dieu, j'appelle le peuple, je rassemble le clergé,
Je pleure les morts, je chasse la foudre, j'orne les fêtes.

Quant à la prétendue propriété de chasser la foudre, on sait depuis long-temps à quoi s'en tenir sur ce dangereux préjugé. D'après les calculs d'un savant allemand, le tonnerre, dans un espace de trente-trois ans, est tombé sur trois cent quatre-vingt-six cloches où l'on sonnait, et a tué cent vingt-un sonneurs.

Le magasin pittoresque, septembre 1838.

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