lundi 27 octobre 2014

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.

Nous parlions, l'autre jour, de superstition; en voici une fort répandue en Amérique. On croit que les morts, en suçant leur linceul, attirent à eux leurs parents, qui viennent alors les rejoindre dans la tombe.
Une demoiselle du nom de Sophie Baurnau, étant morte il y a quelques années, à Ephrata, sa mère, deux de ses sœurs et deux de ses frères succombèrent successivement à la même maladie qui avait entraîné Sophie.
Les parents et amis de la famille jugèrent qu'il n'y avait d'autre moyen pour faire cesser ces désastres que d'ôter à la défunte le linceul dont elle se servait en le déchirant entre ses dents et en le suçant pour attirer à elle ses parents.
L'exhumation eu lieu un dimanche matin; le cercueil fut ouvert en présence d'un comité d'inspection. Il ne restait plus un seul brin du linceul.
Cette expérience n'a donc fait que redoubler au dernier point la vieille superstition.
Maintenant on se demande si l'action de la décomposition peut faire, oui ou non, disparaître en neuf années toute trace d'un tissu de coton?
Un incident qui a vivement excité l'intérêt s'est passé à bord du paquebot la Valetta.
La Valetta quittait le port de Marseille pour se rendre à Alexandrie. Au bout de quelques heures de navigation, une dame, qui avait avec elle une malle très-volumineuse, et dont elle avait attentivement surveillé l'embarquement, fit demander au capitaine la permission d'ouvrir cette malle pour y prendre un châle, qui la garantirait de la fraîcheur de la brise marine.
Cette formalité est nécessaire pour toucher aux objets du chargement; mais le capitaine ne refusa point l'autorisation demandée.
La malle ouverte, tout le monde y vit avec stupeur une jeune fille qui, bien qu'à demi-suffoquée, était encore fraîche et charmante.
La passagère avoua que, se trouvant forcée de partir pour Alexandrie, et étant dans une gène si grande, qu'il lui avait été impossible de payer le passage pour elle et pour sa fille, elle avait eu l'idée, pour ne point se séparer de sa chère enfant, de l'embarquer comme un bagage.
Il était difficile de ne pas accepter de si bonnes raisons, et surtout de faire mettre à la demoiselle pied à terre. La Valetta continua donc paisiblement sa route.
La femme Deséglises, âgée de cinquante-quatre ans, garde-malade, soignait depuis quelque temps une dame, domiciliée rue du Bac, qui vint à mourir.
On s'occupa des préparatifs des funérailles.
Lorsque le corps fut placé dans le cercueil, on le porta sur le seuil de la maison, où il devait rester exposé. La femme Deséglises aidait les employés des pompes funèbres dans les préparatifs nécessaires pour rendre les derniers honneurs à celle qu'elle avait assistée dans ses souffrances.
La garde-malade mit dans un vase de l'eau bénite; et elle venait de placer sur le cercueil ce vase dans lequel trempait un rameau de buis, lorsque tout à coup elle s'affaissa sur elle-même, et tomba au pied du funèbre appareil. En accourant pour la relever on s'aperçut qu'elle avait cessé d'exister.
Nous rapporterons en même temps une autre scène d'enterrement.
La population d'une petite ville du Midi vient d'être mise en émoi à l'occasion du convoi du sieur Dubois, pauvre et honnête ouvrier du pays.
Les héritiers du défunt avaient demandé un convoi convenable, mais des meilleurs marchés, c'est à dire de troisième classe.
Depuis quelque temps, M. le curé avait décidé que les enterrements de cette classe passeraient par une rue détournée, nommée petite rue, et les riches par la principale rue qui traverse le pays, l'une et l'autre conduisant également au cimetière.
Les parents de Dubois, ne comprenant rien à cette distinction, ont voulu faire passer les porteurs du corps par la grande rue.
M. le curé, irrité, a laissé là tout l'enterrement sur la voie publique, et  fait rentrer ses chantres avec lui dans l'église.
Il a fallu l'intervention du maire, du juge de paix, et ce n'est qu'après une heure de discussion qu'on est parvenu à décider le curé à envoyer au moins son vicaire et ses chantres pour conduire le défunt à sa dernière demeure, où il a été accompagné cette fois par toute la population du pays.
La femme G... , âgée de quatre-vingt-six ans, était concierge dans une maison de la rue de Lille. Toutes les personnes de l'hôtel étaient pleines de bienveillance pour cette bonne vieille, qui s'était toujours bien acquittée de son service; madame la comtesse de V... surtout lui témoignait beaucoup de bonté. Cette dame eut la pensée de faire rentrer la vieille concierge aux Petits-Ménages, pour qu'elle y prit le repos nécessaire à ses vieux jours. Elle la fit monter chez elle, et lui fit part de ses bienfaisantes intentions. Elle lui apprit qu'on ne pouvait plus la garder dans sa loge, mais en ajoutant qu'elle aurait un sort bien plus doux dans l'asile qu'elle lui ménageait.
La concierge remercia et se retira.
Le lendemain matin, les personnes qui voulaient sortir de bonne heure, comme de coutume, ne purent se faire ouvrir la porte. Le silence régnait dans la loge, et rien n'avait répondu à leur appel. elles entrèrent et trouvèrent la vieille femme pendue à son cordon, et ayant déjà rendu le dernier soupir.
On voit que l'habitude attache à tout, et que cette concierge aimait son cordon comme le cavalier aime son cheval de guerre, comme le marin son navire.

                                                                                                          Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 12 juillet 1857.

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