mardi 14 octobre 2014

Instruments utiles aux voyageurs.

Instruments utiles aux voyageurs.


"De graves difficultés entravent le zèle du voyageur qui veut parcourir la Sardaigne: le défaut de routes, le manque de ressources les plus communes, les périls auxquels l'expose, dans certains cantons, le caractère inquiet et farouche des habitants, enfin le danger non moins redoutable du climat pendant plusieurs mois de l'année: voilà des obstacles capables de ralentir l'ardeur de l'homme curieux de visiter une contrée aussi peu connue.
"Entraîné cependant par un attrait irrésistible vers une île qui, depuis plus d'un siècle, est unie par des liens puissant à mon pays, je m'y suis hasardé d'y faire plusieurs voyages consécutifs... Je les ai commencé en 1819, et je me propose de les poursuivre jusque vers l'été de 1827.
"Ayant parcouru la Sardaigne dans tous les sens, à différentes époques, et toujours avec une lenteur suffisante pour bien observer, je pense avoir acquis le droit d'énoncer mon opinion sur les choses dont je parle.
"J'ose, pour une raison semblable, attester l'exactitude de mes narrations et la fidélité de mes dessins.
"Celui qui me montre sous mon costume de voyage n'est certes pas fait pour flatter ma vanité. Si le lecteur était tenté de me comparer au voyageur imaginaire imaginé par le célèbre Foe, je le préviens que mon intention a été d'acquérir un titre de plus à la confiance du public, en lui offrant dès l'abord une peinture de tout l'attirail dont j'ai été obligé de me charger pour mieux remplir la tâche que je me suis imposée, et obtenir un résultat digne d'être accueilli."
Ainsi s'exprimait M. Albert de la Marmora en tête de son Voyage en Sardaigne (1) ce savant estimé était né à Turin, le 7 avril 1789, d'une des familles les plus distinguées du Piémont: il est mort, avec le grade de lieutenant-général, le 3 mai 1863. (2)
Ses études sur la Sardaigne sont très-consciencieuses et souvent mises à profit par des auteurs qui ne les citent guère. Le dessin où il a pris plaisir à se représenter donne assez l'idée de la variété de ses recherches. 



Il est armé d'un fusil, d'une poudrière, d'un sac à plomb, comme naturaliste plus que comme chasseur. Derrière lui est suspendu un filet aux lépidoptères. A sa ceinture est attaché le marteau du géologue. Il tient suspendu un baromètre; devant lui il y a un graphomètre; dans l'estampe originale, on voit, de plus, à ses pieds, une lunette, une boite et divers échantillons.
Cet attirail pouvait suffire pour un voyage en Sardaigne. On est obligé de se munir de beaucoup plus d'instruments lorsqu'on entreprend des explorations au-delà des limites de la civilisation et dans des contrées où la science a encore tout à observer, à constater et à décrire.
Si l'on nous demandait un exemple de ce qu'un voyageur instruit et dévoué sérieusement aux progrès des sciences géographiques peut avoir à emporter avec lui pour être en état de mesurer les distances, les hauteurs, de fixer les positions, de dresser la carte d'un pays inconnu, nous ne saurions mieux répondre qu'en indiquant le beau travail qui sert en quelque sorte de préface au livre de M. Antoine d'Abbadie, intitulé: Géodésie d'une partie de la haute Ethiopie (3)
Le premier chapitre de ce savant ouvrage donne la liste et la description des instruments employés par l'auteur: théodolite (4), sextants (5), cercle à réflexion (6) et à répétition, horizon artificiel (7), chronomètres (8), lunettes astronomiques, baromètres, hypsomètres (9), etc., instruments nécessaires pour déterminer la longitude et la latitude, les altitudes, le temps absolu, les distances lunaires, observer les occultations, etc.
"Dès qu'on peut, en un lieu donné, déterminer l'heure sans difficulté, dit Arago (10), il est évident que sur la terre ferme l'astronome (ou le voyageur), muni de ses instruments et de la Connaissance des temps, pourra toujours connaître exactement la position qu'il occupe. En effet, il saura trouver la latitude et l'heure à un moment donné; l'observation d'un signal, tel que la distance d'une étoile au soleil ou à la lune lui fournira le moyen de trouver,  par les tables de la Connaissance des temps, l'heure de Paris au même moment: la comparaison des deux heures donne la longitude du lieu. Ayant la latitude et la longitude, c'est à dire les deux coordonnées géographiques du lieu, on trouve immédiatement (ou l'on marque) ce lieu sur la carte."
Sur mer, l'agitation des navires ne permettant pas de se servir des instruments où il faut employer le fil à plomb et le niveau, on a dû recourir à des instruments appropriés à une observation constamment mobile. A partir du quinzième siècle, les marins ont fait usage, pour mesurer la hauteur des astres ou la distance de deux astres, de deux instruments nommés l'arbalestrille et le quartier anglais. ces instruments étaient peu exacts; on les a remplacés par les instruments à réflexion, le sextant, l'octant et le cercle réflecteur (11). Arago indique de quelle manière on doit en faire usage, et ajoute:
" Les distances de la lune au soleil, aux grandes planètes et aux principales étoiles, telles qu'Aldébaran, α de la Vierge, Pollux, Régulus,  α du Bélier, Fomalhant,  α de Pégase,  α de l'Aigle, etc. (12) contenues dans les tables de la Connaissance des temps, ainsi que les circonstances les plus remarquables des éclipses et des occultations, donnent des moyens faciles de résoudre partout, par des observations faites avec le sextant et par des calculs très-simples le problème jadis si difficile des longitudes, une fois que l'heure et la latitude sont connues par des observations de hauteur.
"Les principes qui servent à renseigner le navigateur sur l'heure et la position d'un lieu où il se trouve sont parfaitement applicables aux voyages entrepris sur la terre ferme. Seulement, il faut alors remplacer l'horizon de la mer par un horizon artificiel fait de verre ou formé d'un liquide immobile, tel que du mercure ou de l'huile." (13)

*****

Trousse de voyage.

M. Antoine d'Abbadie, dans un paragraphe du même ouvrage sur la géodésie de la haute Ethiopie, fait la description d'une trousse, qui sera certainement lue avec intérêt par ceux que possède l'amour des voyages lointains, quand même ils n'auraient l'espoir de profiter qu'en rêve de l'enseignement de l'auteur.
"Lors de mon premier voyage jusqu'à Gondar, exécuté en 1838, dit M. d'Abbadie, je fus très-frappé de l'embarras qu'on éprouve en route à tirer de ses bagages le thermomètre et autres petits instruments qu'il faut souvent employer vite et remettre promptement en lieu sur. C'est pourquoi je fis construire une trousse de voyage que je vais décrire ici, bien que plusieurs de ses articles soient étrangers à la géodésie. Mais les voyageurs africains excuseront cette inconvenance, et tout en critiquant quelques parties de ce nécessaire de route, ils me sauront gré de leur avoir fourni une occasion pour se mieux inspirer."
Cette trousse est une boite en sapin recouverte en cuir, avec une charnière d'un bout à l'autre du couvercle, qui s'assujettit par deux crochets. En route, on l'enferme dans un étui grossier pourvu d'une forte bandoulière.
La boite, longue de 32 centimètres, large de 18 et haute de 7, contient un plateau et deux sous-plateaux.
L'intérieur est garni de basane et renferme, dans des cavités appropriées, les quelques cinquante objets suivants, dont la disposition sera mieux comprise en regardant la planche ci-après.




Sous-plateau AB.

1. Ciseaux
2. Porte-plume en argent, à deux coulisses, dont la seconde porte un crayon.
3. Compas à trois charnières, en laiton, chaque pied se détachant pour former un petit compas, l'un à tire-ligne, l'autre à crayon.

Sous-plateau CD.

4. Lancettes (peu utiles)
5. Pincette à extraire les épines, indispensable dans un pays où l'on voyage sans chaussure.
6. Etui en laiton, contenant des aiguilles, des scies de rechanges pour le couteau, des limes fines et autres menus outils.
7. Etui-cylindre, comme le précédent, servant à renfermer les verres obscurs du sextant, les bouchons de rechange pour l'hygromètre, etc.
8. Thermomètre métastatique de M. Walferdin.
9. Etui en bois foré contenant deux thermomètres bien pareils de -20 à + 85 grades, et servant aussi comme psychromètre.
10. Etui comme le précédant, aussi en sapin, et renfermant un hypsomètre ou thermomètre à eau bouillante.
11. Miroir, mines de plomb de rechange, etc.
12. Petits poids et autres petites pièces.
13. Très-petit boussole.
14. Case à médicaments.


Dans le plateau EF.

15. Décimètre en verre: chaque centimètre est divisé d'une façon différente, l'un des millimètres ayant cinquante divisions.
16. Règle en laiton, à charnière, portant une division en millimètres, et une autre pour rapporter un angle en écartant ses deux branches, selon la longueur indiquée par l'application du compas. Cette règle mal construite n'a pas atteint son but.
17. Rasoir pour la tête.
18. Sous le plateau AB, case à argent, un décagramme avec toutes des subdivisions, etc. J'y gardais aussi un mètre à ruban qui rentrait par un ressort dans son étui de laiton. 
19. Etui contenant deux thermomètres de Collardeau, mes numéros 1 et 2. Aujourd'hui je les préférerais à maxima et à minima.

Sous le plateau CD.

20. Équerre en acier, peu utile parce qu'elle se rouillait. Il aurait mieux valu la construire en bois.
21. Rondelles à épingles, peu utile.
22-24. Plateaux de balance en parchemin, papier d'aiguilles fines, tables astronomiques sur des carrés de papier, etc.
25. Rapporteur carré en carte, ayant au revers des divisions en millimètres et en pouces anglais. (14)
26. Rapporteur demi-cercle en gélatine, divisé en demi-degré dans le sens où marchent les aiguilles d'une montre. Un arc intérieur et concentrique portait la division complémentaire qui servait quand on retournait le rapporteur.

Fond de la boite.

Après avoir enlevé le plateau EF, on voit dans le fond de la boite les objets suivants:
27. Peigne pour la barbe, placé de champ dans une pochette.
28. Encrier en verre, fermant à ressort, avec coussinet en caoutchouc.
29. Pareil encrier, renfermant l'encre en poudre.
30. Petit flacon monté de même, et contenant de l'huile d'horlogerie pour les montres et les instruments astronomiques.
31. Ruban de 4 mètres, avec leurs sous-divisons en centimètres.
32. Etui en laiton pour les plumes de fer.
33. Boussole Burnier. Comme elle fut détruite par un incendie à Gondar, je la remplaçai par une boite en fer blanc, où je gardais mes médailles éthiopiennes, mes médicaments, etc.
34. Triloupe.
35. Lentille plane-convexe, en cristal de roche, pour faire du feu au soleil.
36. Au-dessus du numéro précédant était le sextant, tabatière faite par Gambey pour S. A. le prince de Joinville.
37. Au-dessus du numéro 36 est une boite en laiton contenant un cercle divisé qui permet, au moyen d'un prisme et d'un poids, de relever, à 0,25 près, l'apozénith d'un objet. Je ne fis guère usage de cet instrument, qui était destiné, concurremment avec la boussole, à remplacer le théodolite.
38. Horizon artificiel en tôle vernie, renfermant dans un étui en tôle un flacon de mercure. Ce flacon était fermé par un bouchon de lège muni d'un cordon-anse, et contenu par un coussinet de caoutchouc pressé par un fort ressort.
39. Cuiller de platine servant à chauffer le mercure pour monter le thermomètre Fortin, mais plus souvent usitée pour manger la bouillie grossière de l'Ethiopie.
40. Pierre à aiguiser.
41. Mèche pour obtenir du feu au briquet.
42. Toit de verre pour l'horizon artificiel, replié sur lui-même.
43. Couteau à dix-sept pièces: le dos servait de briquet.
44. Règle logarithmique pour faire les petits calculs et des réductions de dessins, pour tirer des lignes, prendre des mesures, etc. Des trous fins, percés dans la coulisse de cette règle, permettaient d'en faire le fléau d'une balance à médicaments, en y ajustant, par des aiguilles choisies à poids égal, les plateaux de parchemin ci-dessus mentionnés.
45. Règle en acier, peu usitée.
46. Crayons, grosse lime, encre de Chine, pinceau, cordonnet de soie, pierres à fusil, gomme élastique, bouchons de liège (si difficiles à trouver en Ethiopie), et d'autres menus objets qui variaient selon l'occasion.

(1) Voyage en Sardaigne de 1819 à 1825, ou Description statistique, physique et politique de cette île, avec des recherches sur ses productions naturelles et ses antiquités; par le chevalier Albert de la Marmora, capitaine à l'état-major de S. Exc. le vice roi de Sardaigne, Paris, 1826, 1 vol. in-8, avec atlas.
(2) Voy. la Notice sur sa vie par un de nos éminents géographes, M. d'Avezac. Paris, 1864.
(3) Revue et corrigée par Rodolphe Radau, Paris, Benjamin Duprat, in-4°. 1863.
(4) Le théodolite (dénomination formée de deux mots grecs qui signifient "voir à de longues distances") a pour but de ramener à l'horizon les angles qu'il a aidé à observer.
Cet instrument se compose d'un cercle entier et gradué placé horizontalement, et sur lequel tourne une alidade (règle mobile) surmontée d'une lunette.
La lunette s'élève ou s'abaisse à volonté pour chercher les distances, et la quantité dont sa direction dévie de la ligne horizontale se trouve indiquée sur un demi-cercle vertical.
(5) Le sextant, arc formé de la sixième partie du cercle, sert à mesurer les angles jusqu'à 60 degrés.
On se sert aussi de l'octant, huitième du cercle, divisé en 80 parties, et muni d'une lunette et de deux miroirs, et du cercle réflecteur qui embrasse toute la circonférence.
(6) Ce mot reflexion s'applique aux instruments servant à mesurer la hauteur des astres ou les distances entre la lune et le soleil, et auxquels on adapte un miroir destiné à réfléchir la lumière.
(7) Voy. le numéro 32 de la trousse.
(8) Les chronomètres, ou montres marines, ont été perfectionnés de nos jours de manière à mesurer avec une exactitude extraordinaire les plus petites fractions du temps, par exemple jusqu'à un dixième de seconde.
(9) Thermomètre destiné à déterminer l'altitude d'un lieu par la température qu'atteint la vapeur d'eau bouillante. "Celle-ci, dit M. d'Abbadie, est d'autant plus chaude que le lieu où s'opère l'ébullition est plus bas, ou, en d'autres termes,que la colonne d'air qui fait équilibre à la tension de la vapeur est plus haute, et par conséquent plus pesante; car pour générer la vapeur, il faut d'autant plus de chaleur que le poids de l'atmosphère à soulever est plus grand."Le baromètre donne le poids de cette colonne d'air plus directement; mais le baromètre est d'un transport difficile, et dans les longs voyages on réussit rarement à le conserver sain et sauf. L'hypsomètre n'a pas plus de 20 millimètres de longueur; il ne contient que 3 grammes de mercure enfermés hermétiquement dans un tube capillaire; son poids, en tenant compte de tous ses accessoires, n'est que de 40 grammes; enfin il peut être renversé sans inconvénient. La première idée de cet instrument est attribuée à Wollaston; mais il n'a été réellement construit que sous la direction de notre  illustre savant M. Biot. Depuis, M. Regnault l'a modifié; il appelle encore, du reste,  quelques perfectionnements. M. d'Abbadie fait mention d'un nouveau baromètre réciproque de M. Porro qui remplacerait avantageusement, en voyage, non-seulement l'hypsomètre, mais le baromètre même.
(10) Astronomie populaire, t. IV, p. 749.
(11) Voy. l'explication des principes de ces instruments, et leurs figures, même ouvrage, même volume, p. 751 et suiv.
(12) Voy. nos Cartes célestes, t. XXXI, 1863.
(13) Nous ne pouvons et ne voulons que stimuler la curiosité et diriger les recherches de ceux qui se sentiraient de l'inclination pour ce genre d'études. Les moyens que l'on emploie en voyage pour mesurer les distances, les hauteurs, etc... sont très-variés. Voici, par exemple, un passage relatif à des observations faites à l'aide de la vitesse du son:
M. d'Abbadie écrivait, le 15 août 1840: "Aujourd'hui, nous avons fait des expériences pour mesurer, par la vitesse du son, la distance du sommet du mont Saloda, près de cette ville, jusqu'au toit de la maison de Ayta Tasfu, dans la paroisse de Maihané Alam, où est logé actuellement M. le préfet de la mission catholique d'Ethiopie. Mon frère, sur le sommet du mont et près d'une crête de rocher saillante, employait un fusil à mèche. De mon côté, je tirais avec une espingole. Des toges blanches tendues servaient de signaux. J'employais le chronomètre à pointage, et mon frère se servait du chronomètre G dont il comptait les battements... Nos coups de fusils s'entendaient très-bien: ceux de mon frère étaient distincts mais très-faibles. Il est remarquable que, tandis que le vent allait obliquement vers la montagne, mon frère percevait néanmoins le son plus lentement que moi. Immédiatement après les six coups de fusils, nous observâmes les thermomètres secs et mouillé. Celui de mon frère marquait le 1.1 grade de trop..."
(14) Le rapporteur est un limbe de corne ou de cuivre, divisé en 180 degrés; il sert à tracer des angles d'une grandeur déterminée ou à mesurer des angles construits sur le papier.

Le magasin pittoresque, juin 1865.

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