mercredi 24 septembre 2014

Coutumes du moyen âge: les combats judiciaires.

Coutumes du moyen âge: les combats judiciaires.


Ce fut sous le règne de Louis VII que s'établit la coutume des combats judiciaires, jurisprudence barbare, qui mettait au rang des preuves les plus certaines et les plus propres à éclairer la conscience des juges, l'agilité du corps et la force musculaire des plaideurs. Lorsque la solution d'un procès offrait quelque difficulté, pour savoir de quel côté était le bon droit, on faisait battre les parties, et le vainqueur avait raison. Ainsi les jugemens étaient uniquement basés sur l'axiome de notre immortel fabuliste:

                                            La raison du plus fort est toujours la meilleure.

On donnait à cette plaidoirie brutale le nom de champ-clos, de duel ou combat judiciaire, de gage de bataille, et même de jugement de Dieu.
Né dans les forêts de la Germanie, cet usage, aussi ridicule que féroce, fut, à la fin du Ve siècle, introduit par les Bourguignons dans la contrée orientale de la Gaule. Une loi de Gondebaud, roi de cette contrée (501), le mit en vigueur. Vainement Avitus, évêque de Vienne, et dans la suite Agobard, évêque de Lyon, dignes ministres d'une religion de paix et de concorde, s'élevèrent-ils avec force contre ces prétendus jugemens de Dieu. Vers la fin de la deuxième race, cet usage pénêtra dans le reste de la Gaule, et y fut généralement établi dans le commencement de la troisième, c'est à dire sous Louis-le-Jeune, ainsi que nous l'avons dit plus haut.
Dans le principe, ce n'étaient que les hommes d'armes qui vidaient ainsi leurs querelles; mais bientôt toutes les classes de la société furent soumises à cette procédure. Les vieillards, les femmes, les riches bénéficiers, trop faibles ou craignant pour leur personne, prenaient des champions à gage. Ceux-ci, pour quelque argent, consentaient à courir le risque d'être assommés, et même s'ils étaient vaincus, de perdre une main, un pied, ou bien d'être pendus; car c'était le sort réservé aux avoués ou champions; ce qui fut introduit, dit-on, pour empêcher qu'ils ne se laissassent gagner et vaincre par l'adversaire, et pour qu'ils eussent le plus grand intérêt à bien défendre leur partie.
Telle était la barbarie de ces temps d'ignorance, que le combat était ordonné même dans les procès d'un mince intérêt. Ainsi on trouve, à la date de 1168, une ordonnance qui défend d'autoriser le duel pour une contestation au-dessous de cinq sous: ce qui suppose qu'auparavant on pouvait se battre pour une plus faible somme.
Saint Louis tenta de déraciner cette vieille coutume, et ordonna que la preuve par témoins serait substituée aux combats judiciaires; mais son ordonnance, observée seulement dans les domaines royaux, resta sans effet partout ailleurs. Les barons refusèrent de s'y soumettre dans leurs seigneuries, parce qu'elle les privait d'un bénéfice considérable. En effet, lorsqu'il y avait gages de bataille, l'amende du vaincu roturier était pour eux de 60 sous, et celle du vaincu gentilhomme de 60 livres.
Philippe-le-Bel essaya de détruire un abus si révoltant; mais ne pouvant y parvenir, il tâcha du moins d'en régler l'usage, et ses ordonnances rendirent les combats plus rares. Ce n'est que vers la fin du XIVe siècle qu'ils cessèrent tout à fait.
Voici quelques détails que donne Montesquieu, dans l'Esprit des Lois, sur les règles établies dans l'exercice de cette étrange jurisprudence.
On ne pouvait demander le combat que pour soi, ou pour quelqu'un de son lignage, ou pour son seigneur-lige. Lorsqu'il y avait plusieurs accusateurs, il fallait qu'ils s'accordassent pour que l'affaire fût poursuivie par un seul; et s'ils ne pouvaient en convenir, celui devant lequel se faisait le plaid, nommait un d'entre eux qui poursuivait la querelle. Quand un gentilhomme appelait un vilain, il devait se présenter à pied avec l'écu et le bâton; et s'il venait à cheval et avec les armes d'un gentilhomme, on lui ôtait son cheval et ses armes; il restait en chemise et était obligé de combattre en cet état contre le vilain. Avant le combat, la justice faisait publier trois bans: par l'un, il était ordonné aux parens des parties de se retirer; par l'autre, on avertissait le peuple de garder le silence; par le troisième, il était défendu de donner du secours à l'une des parties, sous de fortes peines, et même sous celle de mort, si par ce secours un des combattants avait été vaincu. Les gens de justice gardaient le parc, et dans le cas où l'une des parties aurait parlé de paix, ils avaient grande attention à l'état où elles se trouvaient toutes les deux dans ce moment, pour qu'elle fussent remises dans la même situation, si la paix ne se faisait pas. Quand les gages étaient reçus pour crime ou pour faux jugement, la paix ne pouvait se faire sans le consentement du seigneur.
Lorsque dans un crime capital, le combat se faisait par champions, on mettait les parties dans un lieu d'où elles ne pouvait voir le champ de bataille, et chacune d'elles était ceinte de la corde qui devait servir à son supplice, si son champion était battu;
On ne se battait pas dans toute espèce de cause. Si le fait était notoire, par exemple, si un homme avait été assassiné en plein marché, on n'accordait ni la preuve par témoins, ni la preuve par le combat; le juge prononçait sur la publicité. Quand un accusé de meurtre avait été absous par un parent du mort, de l'action intentée contre lui, un autre parent ne pouvait demander le combat. Si celui dont les parens voulaient venger la mort, venait à reparaître, il n'était plus question de combat. Il en était de même si, par une absence notoire, le fait de l'assassinat se trouvait impossible. Si un homme, qui avait été tué, avait, avant de mourir, disculpé celui qui était accusé, et qu'il eût nommé un autre meurtrier, on ne procédait pas au combat; mais s'il n'avait nommé personne, on ne regardait sa déclaration que comme un pardon de sa mort: on continuait les poursuites, et même, entre gentilshommes, on pouvait faire la guerre.
Quand un homme, appelé en champ-clos pour un crime montrait visiblement que c'était l'appelant même qui l'avait commis, il n'y avait plus de gages de bataille; car il n'y aurait point eu de coupable qui n'eût préféré un combat douteux à une punition certaine.
Beaumanoir dit qu'un homme qui voyait qu'un témoin allait déposer contre lui, pouvait éluder sa déposition en disant aux juges que son adversaire produisait un témoin faux et calomnieux; et si le témoin voulait soutenir la querelle, il donnait des gages de bataille. Si ce témoin était vaincu, la partie, qui l'avait produit, perdait son procès. Le témoin pouvait quelquefois se dispenser de combattre; mais pour cela, il fallait qu'il dit à sa partie, avant de déposer: "Je me bée pas à combattre pour votre querelle, ne à entrer au plet au mien; mais si vous me voulez défendre, volontiers dirai la vérité." la partie se voyait alors obligée de combattre pour le témoin.
La nature de la décision par le combat, étant de terminer l'affaire pour toujours, et n'étant pas compatible avec un nouveau jugement, l'appel, tel qu'il est établi par les lois canoniques, c'est à dire un tribunal supérieur, était inconnu en France. Mais on pouvait prendre ses juges à partie, et fausser la cour, comme on le disait à cette époque; on combattait alors contre eux, et il fallait les vaincre tous, pour prouver que le jugement, qu'ils avaient rendu, était faux et inique. Si la partie était vaincue, elle payait une amende, lorsqu'il ne s'agissait que d'une affaire ordinaire; mais lorsque l'affaire était capitale, elle était punie de mort. Telles étaient les principales règles établies pour les combats judiciaires: dans un prochain numéro nous donnerons à nos lecteurs quelques exemples de ces sortes de combat.

Le Magasin Universel, 1834-1835.

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