jeudi 25 septembre 2014

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.

L'enfer est pavé de bonnes intentions, nous dit-on; ce qui prouverait que l'excellente volonté ne rachète pas la méchante action.
Sur la place Saint-Sulpice, un sergent de ville remarqua deux jeunes garçons, de treize à quatorze ans, qui, retirés à l'écart, s'occupaient à compter des pièces d'or dans leur casquette. Il prit envie à l'agent de se mêler de leurs affaires; et, s'approchant sans être vu, il entendit l'un d'eux dire à l'autre:
- Porte cela à tes parents... Dieu merci! leur voilà de quoi vivre pour quelques jours... Je ne garde que cette pièce de cinq francs pour moi.
Le partage ainsi fait, l'agent accosta les deux petits compagnons, et leur enjoignit de le suivre chez le commissaire de police, pour expliquer d'où venaient ces belles pièces jaunes et blanches.
Il fallut avouer la vérité. Adolphe J... , jeune garçon de jolie figure et de caractère décidé, entendait souvent parler à son camarade Eugène C... de la misère profonde dont souffraient ses parents, pauvres ouvriers sans ouvrage. Il résolut de venir en aide à cette famille. Des demandes de secours qu'il fit à plusieurs personnes n'amenèrent aucun résultat; mais son esprit inventif trouva un moyen plus court; il glissa la main dans la poche des gens, et y prit ce qui était à sa convenance. Portant le tout à son camarade, il ne se réservait que de légers pourboires. Le jour où l'agent de police l'avait surpris, il venait d'enlever à une dame, pendant la messe de Saint-Sulpice, un porte-monnaie contenant une soixantaine de francs.
La pensée était très-bonne, mais cette habilité de la main à se glisser dans la poche, cette dextérité à en soustraire la bourse, a fait froncer le sourcil au commissaire de police. Il a envoyé les deux jeunes gens au dépôt, et la justice aura à décider si la bonne intention rachète la faute.
On a beaucoup parlé de l'assassinat de la rue Saint-Martin. Il dénote le caractère le plus étrange chez le coupable et une susceptibilité telle qu'on n'en vit jamais.
Le sieur B... , domicilié rue Saint-Martin, 195, avait pour voisin Garnier, fabricant de jouets d'enfant. Comme ils occupaient des logements situés à l'angle d'une cour, leurs fenêtres se regardaient. Garnier était doux et innocent comme ses moutons de bois. Cependant B... s'imagina que son voisin le voyait d'un mauvais œil, assemblait chez lui des comédiens pour le narguer, et même écrivait contre lui un pamphlet qu'il allait livrer à la publicité.
Il consignait ces griefs dans un journal intitulé Mes Malheurs, où il inscrivait chaque soir, les événements de la journée.
Pour se soustraire à ces persécutions, B... s'embusqua à sa fenêtre, ouverte en face de l'escalier; et, lorsque, vers dix heures du matin, le malheureux Garnier descendit en fredonnant, il lui tira un coup de fusil qui l'étendit roide mort. Rentrant aussitôt chez lui, il rechargea l'arme à feu et tenta de se brûler la cervelle. Mais le canon, mal dirigé, n'a occasionné qu'une profonde blessure sans donner la mort.
B... est maintenant à l'Hôtel-Dieu, où il attend de savoir s'il mourra de sa blessure, sera enfermé comme fou, ou puni comme assassin.
Mais voilà de tristes effets pour une petite cause.
C'est ainsi que, dans une maison de Péra, la perte d'un chapeau a manqué entraîné la perte d'un mari. Madame, malgré les observations de monsieur, s'était procuré cette charmante coiffure de Paris; le mari massacra le ruineux chapeau de paille d'Italie; ce qui exaspéra la femme coquette au point de lui faire tenter, à l'aides d'allumettes chimiques, d'empoisonner son mari, crime dont elle a maintenant à rendre compte à la justice.

                                                                                                              Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 21 juin 1857.

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