jeudi 14 août 2014

Les animaux militaires dans l'armée anglaise.

Les animaux militaires dans l'armée anglaise.


L'amour des animaux est une passion nationale en Angleterre. Tout régiment anglais doit associer à sa destinée un animal domestique ou apprivoisé. Plusieurs de ces animaux sont devenus célèbres.

Chiens héroïques.

On rencontre dans les annales militaires de la Grande-Bretagne des légions de chiens héroïques. Jack était sous les murs de Sébastopol avec les Écossais de la garde; à Inkermann, il s'est battu comme un lion et a été blessé à la patte droite de devant. Revenu en Angleterre avec son régiment, il a reçu la croix de Victoria et la médaille de Crimée. En 1879, Bob, le chien attitré du 2° bataillon du régiment de Royal Berkshire, a fait la guerre d'Afghanistan et s'est couvert de gloire à la bataille de Maiwand. Un projectile lui avait cruellement labouré le dos, et il fallut un miracle pour qu'il guérit de sa blessure. A son retour dans la métropole, il défila, à la tête de son bataillon, sous les yeux de la reine, qui voulut lui attacher elle-même autour du cou la médaille commémorative de la bataille. Tiny, qui appartenait au corps de l'intendance, était si brave qu'il réussit à se faire blesser à la bataille de Tell-el-Kébir, gagnée, comme on sait, par la cavalerie de Saint-Georges. Cette arme toute puissante tire son nom de l'effigie gravée sur les anciennes guinées. Tiny reçut de ses compagnons d'armes la médaille d'Egypte et l'Etoile du Khédive.

Les trois chèvres blanches.

Ces brillants états de service n'ont pas empêché les chiens de perdre la haute faveur dont ils jouissaient autrefois dans l'armée britannique. Une fantaisie de la feue reine Victoria les a démodé et a contribué à les remplacer par des chèvres. Sa Majesté avait offert un magnifique bouc à longs poils aux highlanders d'Argyll et de Sutherland et une chèvre blanche à chacun des trois bataillons du régiment de Galles. Ces trois chèvres portent le nom de Taffy et ne se distinguent que par le numéro de leur bataillon. Agiles, sobres, faciles à nourrir, ces animaux à jarrets d'acier sont capable de supporter les fatigues d'une campagne, et l'esprit de corps ne leur fait pas défaut.
Taffy III savait distinguer un vrai soldat d'un simple "volontaire". Irritée du voisinage de ces militaires de second ordre, la chèvre, pendant les manœuvres, ne laissait échapper aucune occasion de leur faire sentir la supériorité de l'armée régulière à laquelle elle était fière d'appartenir. Elle se plaisait à exécuter contre eux des charges à fond, à les mettre en fuite et à les obliger à croiser la crosse de leur fusil pour se défendre contre ses attaques intrépides et réitérées.
Malheureusement, Taffy III était dépourvue de la plus indispensable des vertus militaires: elle n'avait pas le sentiment de la discipline. Un jour, le colonel, en grand uniforme, causait avec ses officiers et se disposait à monter à cheval; au moment où il se baissait pour rajuster un de ses éperons, la chèvre, sans aucun respect pour les principes de la hiérarchie, se lança sur lui, tête baissée, l'atteignit entre les deux yeux et le renversa de tout son long.
Cet attentat aurait mérité un châtiment exemplaire; mais le colonel n'osa sévir contre une chèvre blanche qui portait au-dessus du front une plaque d'argent où était gravée l'inscription suivante:
                                                                          TAFFY
    offerte au 2° bataillon du régiment de Galles
      PAR S. M. LA REINE, 1894.


Les cerfs.

Les cerfs ne sont guère plus disciplinés que les chèvres. M. Ernest Low raconte, dans son étude sur les animaux militaires, les mauvais tours joués par Mick, que le 21e Royal écossais fusiliers avait adopté pendant son séjour en Irlande en qualité de cerf du régiment.
"Chaque fois, dit le collaborateur de l'English Illustrated magazine, qu'un soldat se tenait immobile, Mick faisait un détour de façon à passer inaperçu derrière lui et l'obligeait à avancer en lui donnant, du bout de ses cornes, une petite poussée à la partie inférieure du dos.



Bien qu'il se tint en général assez tranquille, il se permettait de loin en loin quelques escapades. Il s'amusait à poursuivre les enfants et il engageait avec les chiens des batailles acharnées. Une fois, il lui est arrivé de casser d'un coup de corne la vitre de l'appareil d'alarme et de mettre sur pied tous les pompiers de la ville de Glasgow."
Mackenzie II, qui avait été offert par la reine aux highlanders de Seaford, ne se permettait pas de semblables plaisanteries. C'était un cerf mélancolique, presque sauvage, très difficile à approcher: un seul homme dans le régiment réussit à se concilier ses bonnes grâces, ce fut le tambour-major.
Au fond, c'est une idée assez bizarre d'avoir enrôlé sous les drapeaux britanniques un animal qui se distingue surtout pour sa promptitude à fuir, lorsqu'il se sent menacé par les chasseurs. Le 17e lanciers était mieux inspiré en rendant justice aux aptitudes militaires des ours.


Les ours.

A l'époque où ce régiment était dans l'Inde, le prince Adolphe de Teck, qui occupait alors le grade de lieutenant, tua un jour une ourse dans les montagnes de l'Himalaya et s'empara de l'ourson qui accompagnait sa mère. C'était une petite femelle qu'il offrit à ses compagnons d'armes. L'amabilité et la bonne grâce de Lizzie, c'était le nom qui fut donné à la nouvelle recrue, ne tardèrent pas à lui concilier tous les cœurs. Ce fut un deuil pour le régiment, depuis le colonel jusqu'au simple soldat, le jour où la gentille petite ourse ne répondit pas à l'appel. Son absence dura plus d'une année, et la fugitive ne fut retrouvée que par miracle. Toute espérance de la revoir semblait à jamais perdue, lorsqu'une troupe de saltimbanques hindous s'arrêta sur une des places de Lucknow pour montrer une demi-douzaine d'ours savants. Il va de soi que pour assister aux exercices de ces animaux, les militaires étaient au premier rang. Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu'ils reconnurent Lizzie, qui avait abandonné les drapeaux de la reine pour s'enrôler dans une compagnie d'artistes à quatre pattes.



La réfractaire fit aussitôt appréhendée et réintégrée à son régiment. Depuis cette aventure, Lizzie ne s'est plus permis aucune escapade. Elle vit de pain et de lait, prend chaque jour sa pinte bière à la cantine, manifeste le plus vif attachement pour les militaires dont elle partage les distractions et les fatigues, en un mot, elle se comporte en toutes choses comme un modèle de douceur et de docilité.
On sait quelles rivalités l'esprit de corps fait naître dans toutes les armées d'Europe. Du moment où le 17e lanciers avait un ours, le 19e hussards ne pouvait se dispenser d'avoir le sien. Et quel ours! Un grand ours noir de Russie qui n'eût fait qu'une bouchée de l'aimable et innoffensive petite ourse dont le régiment de lanciers était si fier. Malheureusement, ce redoutable plantigrade ne réservait pas pour les ennemis de l'Angleterre les dispositions belliqueuses dont il était animé. Bien au contraire, en sa qualité de sujet russe, il ne servait sous les drapeaux britanniques qu'avec une répugnance marquée, et s'il eût été livré à ses instincts naturels, il eût dévoré en quelques jours tous les officiers et soldats du 19e hussards. Le colonel finit par s'émouvoir du danger permanent qui menaçait ses subordonnés; il tint conseil avec son état-major et l'ours fut condamné, séance tenante, à être fusillé  sans plus de formalités.

Le tigre du 3e d'infanterie.

Enfoncés les lanciers! Enfoncés les hussards! Le 3e d'infanterie ne s'est pas contenté d'un ours, il a voulu avoir un tigre! Pendant que les Buffs étaient dans l'Inde, c'est le nom populaire de ce régiment, ils avaient rapporté une petite tigresse de l'expédition de Shikar;
"Pendant les premiers mois de son séjour à la caserne, dit M. Ernest Low, Kitty avait la gaieté, l'élégance et la grâce d'une petite chatte, elle jouait avec les soldats et vivait même en très bonne intelligence avec les chiens du régiment. C'était un intéressant spectacle que de la voir folâtrer au soleil sans que jamais elle manifestât la moindre velléité d'user de ses dents ou de ses griffes.
La férocité lui vint avec le sentiment de sa force. Kitty, devenue grande, rôdait en rugissant autour de la caserne et s'emparait de tout ce qui était à sa portée.
Un jour, elle entra dans le magasin de vivres et se gorgea de viande crue. A partir de ce moment, ses instincts naturels se réveillèrent: elle connaissait la saveur du sang. Elle devint un danger pour les hommes qui lui apportaient sa nourriture et on fut obligé de l'enchaîner."
Kitty ne fit pas fusillée, comme le malheureux ours du 19e hussards; mais quand le 3e d'infanterie revint dans la métropole, il laissa dans l'Inde une bête féroce qui ne faisait plus aucune différence entre les Anglais et les indigènes, les civils et les militaires, et qui n'attendait qu'une occasion favorable pour dévorer le premier homme qui passerait à porter de ses dents.

Une oie pour monter la garde.

Sur le champ de bataille, un ours ne rendrait que de médiocres services, et un tigre dévorerait les amis et les ennemis avec une inaltérable impartialité.
Les grenadiers de la garde étaient mieux inspirés en remettant en honneur un oiseau domestique dont les mérites, fort appréciés des anciens, étaient quelque peu tombés en désuétude depuis la prise de Rome par les gaulois.
"Pendant la dernière insurrection du Zoulouland, dit le collaborateur de l'English Illustrated Magazine, un grenadier, qui était de faction par une de ces courtes nuits d'été si belles et si claires sous le ciel de l'Afrique du Sud, vit arriver auprès de lui une oie qui avait une patte cassée.
Un sentiment de pitié l'emporta, dans le cœur de ce soldat, sur ses devoirs militaires, et au lieu de monter sa garde en toute conscience, il fabriqua séance tenante un petit appareil de bois dans lequel il plaça l'os brisé du malheureux oiseau. L'oie ne tarda pas à guérir, s'habitua à vivre avec les soldats et finit par être adoptée par le régiment.
Bientôt elle eut l'occasion de prouver qu'elle n'était pas un oiseau de parade et qu'elle était capable de montrer du dévouement et de l'héroïsme à l'heure du péril. Les grenadiers de la garde ont acquis une légitime renommée sur les champs de bataille, mais comme fonctionnaires, ils sont sujets à des distractions. Un jour, la sentinelle avancée qui veillait sur la sécurité du camp s'était si complètement perdue dans ses rêveries qu'elle n'avait pas aperçu un rebelle qui s'était approché à très peu de mètres de distance et se préparait à faire feu. Fort heureusement, l'oie, qui n'avait pas oublié les traditions du Capitole, montait la garde avec plus de vigilance que le soldat. Le bec ouvert et les ailes déployées, elle se précipita sur l'ennemi qui fut tellement étonné de cette diversion qu'il ne visa pas juste et manqua le factionnaire. Celui-ci, brusquement arraché à ses distractions, retrouva bien vite son sang froid et étendit l'agresseur raide mort.



Rentrée en Angleterre avec son régiment, l'oie des grenadiers de la garde était devenue une des curiosités de Londres. Chaque fois que le bataillon de service sortait, tambours battants, elle marchait à la tête des soldats pendant qu'ils traversaient la cour et ne s'arrêtait qu'après avoir dépassé la porte de la caserne. Quand venait l'heure où ils rentraient, elle allait à leur rencontre en donnant les signes de la joie les plus exubérante.
Par quelle fatalité cette oie, si vigilante quand elle montait la garde pour le compte des factionnaires distraits, devait-elle montrer une si dangereuse étourderie quand elle avait à veiller sur sa propre sécurité? Un jour vint où la ville de Londres eut la douleur d'apprendre que l'oie du rédiment des grenadiers avait été écrasée par un omnibus.

                                                                                                   G. Labadie-Lagrave.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 mars 1903.



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