samedi 30 août 2014

Des curiosités de l'Exposition Universelle de Londres en 1851.

Pipe Allemande.


On se figure difficilement un Allemand sans sa pipe; on ne se figure pas davantage un marin, un pêcheur sans cet appendice suspendu aux lèvres! Pourquoi l'habitant des mers qui mène une vie si différente de celle du citoyen de la Germanie professe-t-il, pour l'appareil mal-odorant de la pipe, le même enthousiasme que des hommes vivant loin de l'Océan dans la portion la plus terrestre de l'Univers? Pourquoi le Hollandais, dans ses marais et sous l'enveloppe de ses épais brouillards, est-il aussi passionné pour la pipe que le Turc dans ses jardins parfumés sous un soleil brûlant? En un mot, pourquoi le tabac est-il d'un usage aussi universel?
Ces questions sont plus faciles à poser qu'à résoudre; la science médicale n'a point encore prononcé; elle n'a point montré les effets utiles, sur l'estomac ou sur le cerveau humain, de ce narcotique âcre, à l'odeur pénétrante, à la saveur amère; elle n'a pas dit pourquoi, si le tabac est nécessaire à l'homme autant que semble l'indiquer son usage si répandu, il ne serait point également utile à la femme; Quant aux raisons de l'intérêt que prennent à cette substance tous les gouvernants et les administrateurs, elles se conçoivent sans peine. Dès que la majorité de l'espèce humaine adopte avec fureur le tabac, la question n'est plus, administrativement parlant, qu'une question de fait, et la pompe fiscale lui est énergiquement appliquée afin d'en tirer tout l'argent possible. On a cherché de tout temps à imposer le luxe; le désir est louable, mais dans l'exécution il survient des milliers de difficultés, sans compter les foudres lancés par telle ou telle école d'économistes: avec le tabac tout s'aplanit; le gouvernement s'adjuge le monopole; les plus gourmets et les plus riches payent la meilleure feuille fort cher avec ostentation; les caisses de l'état se remplissent; personne n'est contraint, et le produit net de cet admirable bénéfice sur la manipulation du tabac profite, par dégrèvement indirect, au cultivateur chargé de famille.
Nous connaissons tous les pipes d'un sou; il y en a qui coûtent moins cher encore; en revanche d'autres atteignent des prix incroyables; mais jusqu'ici rien ne prouve que le tabac soit meilleur dans la pipe richement décorée que dans la pipe d'un sou. L'exposition de Londres renferme une énorme quantité de ces tuyaux somptueusement ciselés, ornés, montés en argent et en or, enrichis de pierres précieuses; on en trouve dans presque tous les quartiers des nations étrangères aussi bien que dans celui de l'Angleterre; mais l'Autriche semble avoir voulu renchérir sur tout le monde: elle a consacré un salon entier à cette branche d'industrie qui est d'une grande importance en Allemagne et qui donne lieu à un commerce fort considérable. Ce salon est assez curieux; il est entièrement tapissé de pipes du haut jusqu'en bas; il est plein de casiers vitrés posés sur des tables dans tout le pourtour ainsi que dans le centre, et renfermant également des pipes. Un gardien particulier est attaché à ce musée original, qui fait suite au salon de sculpture de Milan et contraste singulièrement avec lui par sa solitude presque continuelle.
Dans les premiers jours de l'Exposition, on apercevait encore, affichée sur un des murs, l'inscription en anglais, français, allemand, italien et espagnol, qui défendait de fumer dans l'enceinte de l'édifice; rien n'était plus plaisant à voir que ce gardien, Allemand pur sang, et par conséquent fumeur déterminé, promener mélancoliquement sa tristesse et ses privations au milieu des innombrable pipes dont il était le suzerain impuissant, sans avoir d'autre distraction que la lecture d'une affiche prohibitive et cruelle. Plus tard, cependant, quelques amateurs sont venus admirer le génie des fabricants viennois et se délecter dans la contemplation de ce précieux instrument de jouissances ineffables.
Ils ont eu sous les yeux les chefs-d'oeuvre de Samuel Alba ou de Gerhard Floge. L'ivoire, l'ébène, l'ambre, le poirier, le cuir, l'écaille, l'écume de mer et la terre à pipe, voilà les principaux matériaux. On remarque entre autres une pipe d'ivoire dont le fourneau seul coûte 500 florins à cause des sculptures qui la décorent; celle dont nous donnons le dessin est due à M. Held de Nuremberg; 



elle est montée en argent et représente saint Georges et le dragon. Le fabricant qui l'expose est l'un de ceux qui ont le mieux réussi à plaire au public.
Ajoutons que l'exposition renferme aussi une innombrable quantité de cigares de tout tabac et de toutes dimensions, depuis le cigare moins gros qu'un cure-dent jusqu'à celui qui dépasse la grandeur et la grosseur d'une flûte. Quant au tabac, en poudre ou râpé, c'est au Portugal que revient la palme. Il a voulu mener les curieux par le nez et il a envoyé deux ou trois douzaines de jolis barils en chêne, hermétiquement fermés et soigneusement cerclé en fer poli, qui ne sont autres que de gigantesques tabatières dignes du nez d'un habitant de Brobdingnac, et pleines d'un excellent tabac dont chacun peut prendre une prise, sauf à éternuer si bon lui semble.

Magasin Pittoresque, 1851.

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