mardi 1 juillet 2014

L'examen du matelot.

L'examen du matelot.

Examen! mot terrible qui déconcerte les plus hardis; redoutable épreuve dans laquelle un œil étranger pénètre au plus profond de nous-même, fouille notre esprit ou notre conscience, et porte un jugement qui décide souvent de notre vie entière. Qui peut affronter sans tremblement cet interrogatoire, où une intelligence libre soumet notre intelligence troublée aux surprises de l'imprévu, à tous les pièges de l'expérience?
"Faire examiner un élève par un professeur, disait Rabelais, c'est faire chasser un jeune lièvre par un vieux chien." Et quel lièvre peut espérer de sortir à son honneur d'une pareille chasse?
Ce n'est pas au moins, celui que l'artiste nous a représenté sous ce costume de matelot, et que le vieux pilote examine, dans ce moment, devant les autres candidats lamaneurs.



L'aspect de l'interrogateur n'a pourtant rien de magistral. Coiffé du bonnet de pêcheur et revêtu de la jupe normande, il attend la réponse du jeune garçon avec ce sourire demi-bienveillant  et demi-railleur que nos marins ont désigné par le nom de quart nord, quart sud. Mais ce qui l'entoure a frappé notre conscrit nautique d'une respectueuse terreur. Cette sphère de carton, ces cartes roulées, ces livres gros comme des missels, cette petite barque prête à faire voile, tout cela vient de transformer pour lui la salle d'examen en je ne sais quel sanctuaire de cabale Le maître pilote est devenu à ses yeux un génie supérieur qui connaît tous les mystères de la mer et des vents, et le confrère qui fume à ses côtés un redoutable associé de sa science. On lui demande en vain le nom de la manœuvre qu'il connaît depuis son enfance; muet, étourdi, il s'abîme dans une de ces méditations apparentes qui ne sont qu'une sorte d'évanouissement de l'intelligence, et tire sa lèvre inférieure comme s'il voulait arracher mécaniquement de sa bouche la réponse qu'il ne peut obtenir de sa mémoire.
Par bonheur, son frère aîné est près de lui; son frère, rude et courageux matelot dont le sort a fait un chef de famille, et qui, forcé de prendre l'aviron du père mort, a élevé son cadet près de lui, sur l'eau salée. Il a deviné le trouble du jeune marin; il s'est glissé derrière son épaule, et lui souffle tout bas la réponse qu'il ne pouvait trouver.
Espérons que cette intervention ne sera pas inutile, et que le jeune homme rassuré pourra montré enfin ce qu'il sait. Qui de nous n'a ainsi rencontré quelque protecteur pour lui ouvrir la carrière? Frère, oncle, mère ou ami, il se trouve toujours à nos côtés quelqu'un de ces anges gardiens qui ne nous abandonnent que lorsque la force nous est venue, et avec elle le succès.

Magasin Pittoresque, 1849.

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