vendredi 25 juillet 2014

Les perruques.

Les perruques.

Le perruquier pouvait se croire, sous Louis XV, d'une importance considérable. C'était son art qui semblait assigner à chaque personnage son rang dans le monde; on se distinguait les uns des autres par la perruque: noblesse, tiers état, clergé, autant de degrés hiérarchiques de la société, autant de perruques diverses. Là  ne se bornaient pas les attributs du perruquier: il était en même temps barbier, baigneur, étuviste. En un mot, il était le factotum de la toilette, le serviteur des grâces et de la beauté, par privilège du roi.
"La beauté que nous avons assigné à nos cheveux, dit un perruquier du dix-huitième siècle, est une beauté rare: peu de personnes, surtout les hommes, se trouvent les avoir avec toutes les qualités nécessaires, dont voici les conditions, qui sont d'être raisonnablement épais et forts, d'une belle couleur châtain, plus ou moins foncé, ou d'un beau blond argenté, d'une longueur moyenne, descendant jusqu'à la moitié du dos. Il faut encore que, sans être crêpés, ils frisent naturellement, ou du moins qu'ils tiennent longtemps garnis. Les cheveux, en général, sont sujets à bien des accidents et des défauts qu'il fallait supporter ou du moins palier avant que la perruque eût été imaginée. Plusieurs se trouvaient en avoir très-peu; il y a des maladies qui les font tomber; ils se dégarnissent quelquefois sans aucune maladie apparente, de manière que non-seulement les personnes âgées, mais celles qui ne le sont pas encore, deviennent chauves avant le temps. Il fallait donc se résoudre à porter des calottes, coiffures tristes et plates, surtout quand aucuns cheveux ne l'accompagnent. Ce fut pour remédier à ce désagrément qu'on imagina, au commencement du règne de Louis XIII, d'attacher à la calotte des cheveux postiches qui parussent être les véritables. On parvint ensuite à lacer les cheveux dans un toilé étroit de tisserand, comme aussi dans un tissu de frangé qu'on nomme le point de Milan. On cousait par rangées ces enlacements sur la calotte même, rendue plus mince et plus légère; pour cet effet on se servait d'un canepin (l'épiderme de la peau de mouton) , sur lequel on attachait  une chevelure qui accompagnait le visage et tombait sur le cou: c'était alors ce qu'on appelle une perruque." (Art du perruquier.)
On faisait d'abord les perruques à tresses sur trois soies et cousues sur rubans; puis on parvint à imiter complètement une chevelure naturelle. Cette découverte parut "si bonne et si secourable", qu'en 1656 le grand roi créa quarante-huit charges de barbiers perruquiers suivant la cour; deux cents charges étaient établies en faveur du public. Un autre édit en ajouta deux cents autres en 1673. La mode nouvelle fit sortir beaucoup d'argent de France; il fallait se procurer des cheveux à l'étranger, la production indigène ne suffisant plus. Colbert s'émut de ces exportations de numéraire; il voulut abolir l'effet dans la cause et remplacer les perruques par des bonnets, dont on essayait même des modèles devant le roi. Les perruquiers se hâtèrent d'adresser au roi leurs doléances et représentations respectueuses: "L'argent sorti de France pour l'importation des matières premières y rentrait et au delà par l'exportation des produits manufacturés; la ville de Paris fournissait de perruques l'Espagne, l'Italie, l'Angleterre, l'Allemagne et autres états." Colbert abandonna le projet des bonnets, et les perruquiers grandirent en prospérité: vers la fin du dix-huitième siècle, ils étaient au nombre de huit cent cinquante, avaient un prévôt, des gardes, des syndics, et charge héréditaire. "Ils ont droit et leur est attribué le commerce des cheveux en gros et en détail, comme aussi leur est permis de faire et vendre poudre, pommade, opiat pour les dents; en un mot, tout ce qui peut servir à la propreté de la tête et du visage."
Le rasoir étant instrument de chirurgie, le chirurgien avait aussi le droit de faire la barbe; mais sa boutique devait être peinte en rouge ou en noir, couleur de sang ou de deuil, sur laquelle se détachaient les bassin de cuivre jaune qui servait d'enseigne; le perruquier avait à sa porte des bassins blancs, en étain; la fantaisie seule choisissait la couleur de sa boutique. Et comme lui-même était moins grave, moins pesant que le barbier chirurgien! comme il nous paraît, dans les estampes, apprécier les privilèges de son art: faire les cheveux aux dames, les étager de manière à leur donner un aspect agréable, combler les lacunes et les cacher sous des nuages de poudre; fabriquer tours, toupets, chevelure entière pour messieurs les gentilshommes, gens de cour, d'église, de justice ou d'épée; bref, débarrasser chacun des soins journaliers du corps! 


Entrez dans cette boutique où travaillent les tresseuses, où l'on monte les coiffures préférées par les merveilleux, où l'on frise en crêpe, où l'on frise en boucles, où l'on répète les nouvelles que l'on sait, où l'on invente celles qu'on ne sait pas; faites-vous mettre suivant votre condition, votre âge et la mode du jour, les cheveux en bourse, en cadenette, en cadogan, à la grecque, perruque à la Fontange, à la brigadière, en bonnet, nouée à l'oreille, d'abbé, de palais, à marteaux, à simple nœud, à queue de rubans, etc.; examinez cette collection d'outils: fers à friser (pince à longues branches à mâchoires plate en dedans), fers à toupet (à branches rondes entrant dans une creuse) , cardes de toute sorte pour les cheveux, champignons à perruques, coquemard à faire chauffer l'eau, bouilloire, bouteille de fer-blanc pour porter l'eau chaude en ville, cornet à œil de verre et masque à poudrer, melons (étuis à perruque), zeste (bourse à tuyau pour poudrier), etc., etc.; regardez, écoutez, n'oubliez pas que cet artiste en cheveux est en même temps votre barbier, votre baigneur, qu'il descend peut-être du grand Binette (celui qui disait: Je dépouille la tête des sujets pour en couvrir celle du souverain) ; que peut-être vous vous trouvez dans la boutique de maître André, fabricant de perruques et de vers tragiques à la manière de ceux-ci:

                                                En tel état que j'aille, à pied comme en carrosse,
                                                Il m'en souviendra du premier jour de mes noces.

Songez pour un moment qu'en vous faisant accommoder, vous entendez parler du récent ouvrage de M. Diderot ou de M. d'Alembert, ou même du chapitre de l'Encyclopédie sur les perruques, ou des dernières audaces de M. de Voltaire; et comparez, si vous l'osez, la boutique des perruquiers du dix-huitième siècle avec celle du coiffeur du dix-neuvième. Figaro est mort; son petit fils n'a pas son esprit: il fait la barbe, taille les cheveux, coiffe au goût du jour et sait fabriquer des postiches sur tulle, imitant à la perfection la nature; mais aujourd'hui les hommes gardent leurs propres cheveux tant qu'il le peuvent. L'art des perruquiers serait en danger de se perdre chez nous sans les postiches et les fausses nattes à l'usage des dames.
Les travaux que l'on vient d'exécuter sur le quai de l'Horloge ont bien modifié l'emplacement qu'y occupaient au dix-huitième siècle, par ordre, les perruquiers en vieux. Ceux-ci ne rasaient point: ils n'étaient pas de barberie; au lieu d'un bassin, ils avaient pour enseigne un marmot, espèce de vieille tête de bois avec une très-vieille perruque. Ils pouvaient faire du neuf, mais à condition de mêler du crin aux vrais cheveux et de mettre au fond de la coiffe: perruque mêlée. C'étaient les perruquiers des pauvres gens.

Magasin pittoresque, 1862.

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