vendredi 2 mai 2014

Scribes et enlumineurs.

Scribes et enlumineurs au quinzième siècle.

Parmi les précieux manuscrits de la Bibliothèque royale de Bruxelles figurent deux volumes de transcription latine, tout fleuris d'initiales enluminés, de guirlandes s'enroulant le long des marges, d'éclatantes en naïves peintures.
Ces deux volumes sont les Œuvres de saint Augustin, laborieusement calligraphiées dans les silences et les méditations du monastère.
Le premier ne compte pas moins de 188 feuillets grand in-folio. Le second en compte 190.
Telle était l'application des moines, qu'ils terminèrent le premier volume dans l'espace d'un an et quelques mois.
Le scribe a pris soin de nous l'apprendre en écrivant de son encre rouge, ou, pour parler techniquement, en rubriquant à divers endroits de la transcription, comme pour servir de mémento, les dates correspondant aux états successifs de son travail.
C'est ainsi qu'en regard de la miniature reproduite par notre gravure, se trouve en latin la mention que le copiste en était arrivé à ce point de son oeuvre le 20 avril 1483.



La page terminale porte cette autre indication, que la même main semble avoir écrite avec une joie non déguisée: le 18 novembre 1484.
La main est identique partout. Visiblement, il n'y a eu qu'un scribe pour ce patient et long ouvrage. Les matins et les soirs ont dû passer insoucieusement sur ce laborieux travailleur qui, tout l'an et sans distraction, allant de l'église à son pupitre et alignant infatigablement ses menus caractères gothiques, versait toute sa pensée dans cette occupation sans trêve.
Pendant que se pressaient sur le parchemin les écritures, un autre religieux effilait ses pinceaux et enluminait les marges et les en-têtes.
Tous deux étaient voisins de cellule, sans doute, dans  cette chartreuse de Royghem (vallis regali), près de Gand, où s'exerça leur double collaboration.
Le volumineux manuscrit de la Bibliothèque, toutefois, ne provient pas de la Chartreuse même; il a été acquis à l'abbaye d'Afflighem.
A l'une des pages initiales, on voit délicatement représentée l'offre que les deux chanoines font de leur oeuvre à saint Augustin.
Le saint est assis sur une haute chaise, la mitre en tête, dans un costume éclatant d'évêque, et à ses côtés le scribe et l'enlumineur sont debout, le tête tournée vers lui, dans une humble attitude.
Dans une autre miniature, que nous reproduisons, on voit l'intérieur d'une cellule de l'abbaye, avec le lit dans l'angle, le pupitre de travail, le banc, les ustensiles à peindre; et dans le fond, entre les deux fenêtres quadrillées par l'une desquelles on aperçoit le beffroi de Gand, la petite bibliothèque garnies de livres.
Le peintre s'est représenté lui-même à son pupitre. Il a la figure sérieuse et bonne d'un brave artiste, et il lustre son pinceau, sans doute, avant de se mettre au travail.
Près de lui, sur un tabouret, se trouve la fiole remplie d'une couleur carminée qui va lui servir à faire des rubrications.
A droite, ce sont les pinceaux.
Le graveur a omis un détail qui a son intérêt dans l'enluminure. Au pupitre sont fixés des godets dans lesquels le pinceau prend l'eau.
La modestie de la cellule se rehausse sur l'original de belles touches vives, finement assorties, auxquelles la lumière glissant pas la fenêtre communique sa chaleur.
Et tandis que travaille le chartreux, on se figure le silence des grands corridors où passent les ombres muettes des autres religieux, la douceur du recueillement qui flotte dans l'air, et la mystique, la perpétuelle ardeur qui préside aux laborations du calme artiste.

Magasin Pittoresque, 1879.

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