dimanche 11 mai 2014

Pierre Loti.

Pierre Loti.


Nous lûmes un jour, c'était la fin de l'année 1879, une idylle étrange, débordante de passion, d'un souffle jeune et généreux. Il y avait dans ce livre du réalisme et de la poésie, du mysticisme et de la volupté toute crue. Son titre? Aziyadé; et sans nom d'auteur. Tout révélait dans cette oeuvre un puissant écrivain; ces pages écrites sans recherche de l'effet, sans arrangement, étaient de celles qui empoignent et maîtrisent dès les premières lignes. Quand parurent deux autres volumes intitulés Rarahu et le Mariage de Loti par l'auteur d'Aziyadé, Ludovic Halévy s'écria, impatienté: "Mais on ne garde pas l'anonymat après deux chefs-d'oeuvre!"
Le voile fut enfin déchiré. Nous apprîmes que l'écrivain qui nous intriguait si fort s'appelait Pierre Loti, et que Pierre Loti masquait lui-même sous ce pseudonyme un marin, un lieutenant de vaisseau, M. Louis-Marie-Julien Viaud, tout fraîchement promu à ce grade (24 février 1881). L'annuaire de la Marine nous renseigna sur tout le reste. Né à Rochefort le 14 janvier 1850, il était entré à l'Ecole navale en 1867, et comptait déjà, à l'époque dont nous parlons, douze années de navigation au cours desquelles il avait exploré les mers du Levant, les Antilles, le grand Océan Pacifique.



Après la publication des Fleurs d'ennui, des Amours d'un Spahi, de Mon frère Yves, des Propos d'exil, l'écrivain fut classé d'emblée parmi les quatre ou cinq grands prosateurs de notre époque. Et avec le livre intitulé: Pécheur d'Islande (1886), Pierre Loti se trouva avoir conquis immédiatement après Zola, Daudet et Guy de Maupassant, le sceptre littéraire de la description et du récit, parmi nos auteurs contemporains.
Ses descriptions si vives, si courtes, si émues, sont de purs chefs-d'oeuvre. Sa puissance d'évocation des mondes lointains ou inconnus est telle, qu'il faut le suivre, et le suivre jusqu'au bout en nous rendant les complices de ses étranges caprices. L'artiste nous plie aisément à toutes ses fantaisies.
Le grand écrivain ne nous fait pas oublier le vaillant officier qui paya bravement de sa personne dans les mers de Cochinchine, sous les ordres de l'amiral Courbet. Il était à bord de la Triomphante au moment où la flotte perdit son commandant en chef. C'est là qu'il écrivit, le 12 juin 1885, le plus beau chapitre des Propos d'exil intitulé; Sur la mort de l'amiral Courbet.
Pierre Loti a épousé le 20 octobre 1886 Mlle Jeanne Franc de Ferrière, qui appartient à une des vieilles familles de Bordeaux. Voilà donc notre poète guéri de la tarentule des voyages lointains, aventureux, d'où nous venait tous les ans un roman exquis. Le commandant Viaud est à la veille de devenir un terrien. L'estuaire de la Charente doit paraître terne et bien étroit à ce grand coureur d'îles et de baies vermeilles. Il commande à Rochefort un joli aviso d'escadre bien dénommé: l'Écureuil. Il porte deux canons.
Pierre Loti est décoré, croix doublement gagnée, comme soldat et comme écrivain.

                                                                             L. A. Fauque de Jonquières.

Revue Illustrée, premier semestre 1889.

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