lundi 5 mai 2014

Chronique du Journal du Dimanche.

Chronique.


Ce qui occupe le plus aujourd'hui, après l'étoile de Vénus, que l'on voit en plein midi, est la guerre qui s'est élevée au sein du monde financier. Les désastres arrivés dans la caisse de certaines administrations ont jeté l'alarme dans le camp des actionnaires, qui ont pris la résolution héroïque de savoir ce qu'on fait de leur argent. De là, demande de comptes et luttes terribles. On pense bien, qu'entre autres, la société en commandite du gaz portatif devait être toute de feu. La dernière séance a été assez tempétueuse pour faire beaucoup parler d'elle. on a lancé de gros mots, on a manqué de se prendre aux cheveux. Le lendemain, le gérant, se trouvant insulté par un des actionnaires, a envoyé demander à celui-ci son heure, ses armes, ses témoins.
- Monsieur le gérant, a répondu l'actionnaire riant, est donc de ceux qui veulent la bourse ou la vie.
En même temps, l'argent vient bien plus facilement à de pauvres villageois, dont on peut dire: Aux innocents, les mains pleines.
Un cultivateur de Varvins, en se rendant dans son pré, un beau matin, a vu des pièces d'or qui sortaient de dessous terre, et s'élevaient doucement à la surface comme des champignons. C'étaient bien des louis, que les taupes, en se livrant à leur travail souterrain, faisait monter à la surface; et le paysan, en creusant, a trouvé un bon petit trésor, autrefois enfoui là. Un autre habitant des environs d'Orléans trouva, l'autre jour en se levant, un pan de mur de sa grange écroulé; et comme il était prêt à se désespérer, il vit des pièces de monnaie roulant avec les pierres. Le trésor, également caché dans la muraille écroulée, fera bâtir au brave paysan une maison entière.
Le public a maintenant tous les renseignements désirables sur sa mort prochaine; on savait seulement que la fin du monde était fixée au 13 juin; mais une observation nouvelle des astronomes annonce que ce sera à onze heures du matin. Ainsi, il fera grand jour, et les acteurs et les spectateurs de cette destruction universelle pourront jouir pleinement du spectacle.
Seulement on a des précisions bien différentes sur la mise en scène. Les Anglais s'attendent à un déluge universel. D'après cela, ils s'occupent des moyens de sauvetage. Une compagnie vient de se former pour construire quatre immenses montgolfières incombustibles qui soutiendront dans les airs un incommensurable vaisseau-ballon à trois ponts, et muni de tous les appareils de la science moderne. Ce vaisseau se construira dans la vaste plaine du comté de Warvik. On y entrera pour le prix de vingt ou trente livres sterling, selon la place choisie, et le ballon soutiendra les réfugiés au-dessus de la terre pendant les soixante jours du déluge. En même temps, les Français, s'attendant à un incendie qui rendra notre globe semblable à une boule de plomb en fusion, ne voient aucun moyen de salut, et n'ont rien trouvé jusqu'ici pour à opposer au fléau que d'en prendre leur parti.
On ne peut guère juger quelle est la prévision la plus sure. Il faudrait savoir si la comète, dans sa course furibonde, va nous heurter de front ou nous renverser d'un coup de queue. Dans le premier cas, cette folle, qui doit avoir la tête chaude, mettrait notre monde en feu; dans le second, sa grande queue de brouillard l'inonderait complètement. C'est ce que nous saurons prochainement.
En attendant le monde va toujours son train, et le train habituel de de monde consiste, quant aux maris à tuer leur femme.
Depuis le temps qu'on se détruit ainsi en ménage, les époux ont inventé tous les moyens imaginables de se débarrasser de leur moitié; il n'est pas un seul genre de mort, depuis les plus compliquées jusqu'aux plus simples, qui n'ait été employé pour cet usage.
Le nommé Marchand, cultivateur à Avesne-le Sec, sous prétexte de conduire sa femme Florine soupirer au clair de lune, l'a conduite dans un champ où était une carrière de vingt mètres de profondeur, sous prétexte de lui donner un baiser, l'a prise dans ses bras et précipitée au fond du gouffre.
La malheureuse en a pourtant été tirée le lendemain, mais estropiée pour la vie, et ayant la faible consolation de voir son mati condamné aux travaux forcés à perpétuité.
Citons encore cet exemple de tendresse maritale.
Le sieur G... , huissier dans le douzième arrondissement, voyait, depuis des années, décliner la santé de sa femme, à laquelle il était peu attaché. Enfin, la semaine dernière, le mal ayant rapidement augmenté, sa moitié expira.
Toutefois, ce qu'on avait pris pour la mort n'était encore qu'une complète défaillance; et, au moment de l'inhumation, on vint dire à l'huissier que la malade respirait encore un peu.
- Bah! bah! répondit-il, allez toujours... elle est assez morte comme cela.

                                                                                                          Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 5 avril 1857.

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