mercredi 9 avril 2014

Le fort Chabrol anecdotique.

Le fort Chabrol anecdotique.


Le fort Chabrol a vécu.
M. jules Guérin, en veine d'héroïsme, a sacrifié le Panache aux exigences de la raison et des estomacs de ses co-emmurés.
Il a conseillé, après trente-huit jours de siège, à ses compagnons anémiés par une captivité volontaire, de céder à la force.
La petite garnison a suivi l'avis de son chef, et s'est rendue... avec les honneurs de la guerre.
La sortie s'est effectuée sans incidents, la nuit... Et tandis que les soldats de l'antisémitisme s'éparpillaient dans l'horizon brumeux, une voiture gardée militairement, conduisait au dépot M. Guérin et son infortune.
Du fort Chabrol, il ne reste plus que l'immeuble et... des anecdotes qui appartiennent à l'histoire, la petite, celle qui ne s'imprime pas sur l'airain.


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Quoi qu'on ait dit, les vivres n'ont pas toujours été en abondance au Fort, et souventes fois, les conjurés ont dû recourir à la double boucle pour assujettir leurs vêtements devenus flottants.
Au début, comme en témoigne le menu que nous publions, les assiégés pouvaient rivaliser de verve et d'alimentation.



A la fin, on en était réduit au dur biscuit de soldat, et le fragment que nous avons photographié constituait, selon M. Spiard, le second de Guérin que nous avons interviewé, la ration pour un repas.




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Et Dieu sait si les tentatives de ravitaillement furent nombreuses... mais que d'échecs mortifiants!
Un jour Jules Guérin exaspéré par la surveillance incessante qui empêchait le fort de s'approvisionner... saisit un revolver et tira... à blanc sur ses gardiens. Certains confrères, ont affirmé qu'on avait retrouver des traces de balles.
Nous avons possédé, pendant vingt-quatre heures, les douilles accusatrices, aussi célèbres désormais que l'arquebuse de Charles IX, le poignard de Charlotte Corday et la malle de Gouffé.
Les assiégés avaient trouvé un moyen ingénieux de correspondre, moyen renouvelé de la Grrrande Révolution: ils gonflaient à l'air chaud une petite montgolfière et le mignon aérostat filait avec son message contenu dans une enveloppe spéciale dont la suscription est à elle seule une profession de foi.
Ces montgolfières ont fait la joie des badauds qui les suivaient des yeux dans leurs courses capricieuses.
Le gouvernement anxieux se demandait quels messages pouvaient bien transmettre les petits ballons.



Donnaient-ils aux antisémites l'ordre de marcher sur le Moulin de la Galette ou de prendre d'assaut la Préfecture de police!
En haut lieu, la perplexité était grande.

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Dans le fort les jours s'écoulaient avec une désespérante monotonie. De temps en temps, on briquetait quelque policier trop zélé; mais ce genre de sport finit par lasser tout le monde.
Le photographe de la Vie Illustrée faillit un jour recevoir un énorme caillou sur la tête, j'allais écrire sur le sien; et voici comment:
M. Piston qui chaque jour, à l'aube, attendait l'appareil au clair, la prise ou la reddition du fort, fut pris pour un mouchard (l'expression est du farouche antisémite que nous avons interviewé)
On décida qu'on lui réglerait son compte. Aimable euphémisme qui signifie qu'on allait l'assommer galamment.
Reconnu à temps par Jules Guérin, il évita le projectile.


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Puisque nous sommes sur le chapitre des photographes, n'oublions pas une petite histoire que je tiens d'un ligueur:
Un photographe israélite (ce qui prouve qu'ils ne sont pas tous banquiers) s'ingéniait depuis quelque temps à braquer son appareil sur la fenêtre du fort où, de temps en temps, M. Jules Guérin faisait une courte apparition.
Le chef des antisémites se prêtait avec une merveilleuse complaisance aux préparatifs de la mise au point... mais quand arrivait le moment solennel où l'opérateur allait presser le bouton... Guérin se retirait précipitamment et fermait sa fenêtre.
Ce manège a duré pendant quelques jours, jetant un peu de gaîté sur les heures lentes de la captivité.

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Il parait que le juge d'instruction qui a perquisitionné dans le fort a fait main basse sur une série d'objets qui auraient mis en joie des collectionneurs de l'ancien et du nouveau continent.
  1° Une montgolfière en papier rose tendre;
  2° La cordelette qui servait au ravitaillement;
  3° Des menus confectionnés avec des dessins du Rire, etc.;
  4° Une main de papier d'écolier;
  5° Une douzaine d'enveloppes;
  6°  Un quarteron de Winchester... brrr!
On frémit en songeant que ces menus objets auraient pu tomber entre nos mains. Heureusement que la justice y a mis bon ordre.
Lorsque M. Guérin, restauré et, espérons-le pour lui... acquitté, aura quitté la forteresse de la rue de Tournon, nous l'engageons à fonder le musée Chabrol.
Les pièces qui y figureront raconteront à nos petits-neveux, mieux que d'éphémères articles, une prouesse moyenâgeuse qui s'est passée à l'époque des locomotives électriques et des pavés de bois.

                                                                                                         Jean Carmant.

La Vie Illustrée, 21 septembre 1889.

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