mardi 15 avril 2014

Ceux dont on parle.

Saint-Saens.

Le plus puissant de nos musiciens, et le plus tapageur. Très gai, d'une gaîté... légère, si j'ose dire; on cite ce bon mot d'une personne qui l'avait beaucoup approché: "Ce qu'il a fait de mieux dans la vie, c'est de la faire."
Le mariage l'a cependant tenté, mais le divorce l'a rendu à lui-même et à ses... fugues. Remarquons que la fugue lui valut à quinze ans un premier prix au conservatoire; car Saint-Saens fut un enfant précoce; à dix ans il donnait son premier concert; aujourd'hui, il a plus de soixante-sept ans, l'heure de la vieillesse n'a pas encore sonné pour lui. C'est ce qu'on appelle un tempérament, en mauvais français. Il tient ça de sa mère, artiste peintre, qui fit des envois aux Salons.
Quand Saint-Saens veut écrire une composition nouvelle, une oeuvre importante, il quitte Paris. Un homme comme vous et moi, pour s'isoler, irait dans un coin de Normandie ou de Bretagne, ou bien aux pieds des Pyrénées. Comme Saint-Saens est un tempérament, il ne peut se contenter d'aussi faciles retraites: il lui faut l'Italie ou l'Espagne, les Canaries ou le Sahara. 



Ce qu'il y a de particulièrement curieux dans son cas, c'est l'impérieux besoin qui le pousse par moment à ces pérégrinations. On l'a vu quitter Paris au moment où l'Opéra montait un de ses grands ouvrages, et rester absent pendant toutes les représentations. Personne ne savait où il était parti. De mauvaises langues disent que ce sont là les procédés d'un malin qui soigne sa réputation. Pas du tout: Saint-Saens est très fragile et c'est uniquement pour sa santé qu'il va à Tombouctou. Que voulez-vous, c'est un tempérament.
On sait que le grand peintre Ingres avait un violon dont il jouait médiocrement; cependant, il haussait les épaules quand on lui parlait  peinture et n'admettait de compliments que sur son talent de violoniste. Saint-Saens n'a pas un violon, il a tout un orchestre; il joue de la lunette astronomique, du compas de géomètre, du crayon de l'artiste; il a calculé la portée du son dans les arènes de Béziers, publié un volume de philosophie esthétique, des notes sur les décors de théâtre dans l'antiquité romaine, et jusqu'à des vers.
On lui doit notamment le quatrain suivant:

                                                    Les pianos délétères
                                                    Tout le long, le long du mur,
                                                    Sont rangés comme des stères
                                                    De bois tendre, de bois dur.

Malheureusement le Maître ne récite pas ses vers car il est atteint du défaut qui fait la principale originalité de Mlle Dudlay: Il zozotte.

                                                                                                                   Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 5 avril 1903.

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