mercredi 12 mars 2014

Les pousse-pousse Tonkinois.

Les pousse-pousse Tonkinois.

Les cai-xé: hautes et noires, sur leurs grêles roues, elles semblent, ces voitures de monstrueuses araignées aux pattes déliées et bizarres. A l'extrémité des longs et minces brancards, tout petit, malingre, presque fragile dans sa blouse gros-bleu aux bordures orange, que le vent plaque sur sa maigreur, trotte, pieds nus, un être humain devenu bête de somme. Le large salako conique de paille peinte qui lui recouvre la tâte diminue encore, en l'écrasant semble-t-il, la taille du coolie; au menton, une cravate, une loque plutôt, lui pendille, bleuâtre, et il s'en sert d'instant en instant pour s'essuyer la sueur du visage, d'un seul coup de sa main si frêle, nerveuse, féminine et simiesque à la fois, sans pour cela interrompre ni même ralentir la rapidité égale de son allure.
Cependant, sur le siège arrière, trône, majestueusement et ahurie, lourde du poids de sa prétentieuse et rance vertu, une provinciale visiteuse, gloire bourgeoise de telle sous-préfecture. 



On plus rarement, c'est une silhouette claire et gracieuse de femme: jeune, oui, Parisienne sans doute, en tout cas digne de l'être. Et alors quel inattendu contraste, d'une saveur spéciale et comme épicée! La mutine frimousse se profile sous l'envol léger du chapeau tout fleurs et mousselines, tandis qu'un rire, délicat et effrayé, fuse au moindre cahot du bout des lèvres de l'espiègle voyageuse.




Devant elle, péniblement, ahane l'homme jaune.

                                                                                                               Rodolphe Darzens.

Revue Illustrée, Juin 1889-Décembre 1889.

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