mercredi 12 mars 2014

La Hollande à l'Exposition universelle.

La Hollande à l'Exposition universelle.

Qui donc a prétendu cela: que seul le midi était propice aux lumières et aux coloris? serait-ce parce qu'un anglicisme morose, frère de l'influence schopenhauerienne, a longtemps été de mode à Paris? Je ne veux pas nier, certes, que les pays solaires sont, plus que tous les autres, amis des couleurs éclatantes, et la preuve en est donnée à l'Exposition ou ailleurs, journellement. 
Eh oui! les Gitanas sont pour nos regards des concerts de clartés. Les Javanais et les Égyptiens, les Annamites et les Chinois nous éblouissent de leurs vêtements omnicolores tout pailletés de métaux, tout constellés de pierreries; et les toréadors, également, jettent de gais défis rouges, bleus, verts ou jaunes, à nos tristes et noires redingotes. Mais leurs multiples couleurs exaspèrent la vue: cela crie, hurle et gueule à crever les yeux, comme des notes de crécelle déchirent l'ouïe.
Dans les pays du nord, au contraire, dans la Russie et la Norvège, tout se pare de teintes aussi diverses, mais plus adoucies. En Hollande, surtout, les couleurs semblent atténuées; comme exemple, les pavillons néerlandais à l'Exposition: 



Il y en a un peu partout; à l'Esplanade, ce bar où l'on boit un schiedam merveilleusement âpre et parfumé; puis au Champ de Mars, outre le coquet pavillon de la Taillerie des Diamants, avec son vieil outillage, et la légère baraque blanche et bleue des gaufres, c'est la curieuse restitution d'une habitation hollandaise vers la fin du XVIe siècle. A gauche du Dôme central. La façade, construite toute entière de briques roses pâle, où s'incrustent des ferronneries, est percée de larges fenêtres aux multiples petits carreaux verdâtres, mais luisants de propreté, à travers lesquels transparaissent, teintés de sinople, les rideaux de mousseline blanche. 
Sur l'enseigne de fer forgé se balance le nom néerlandais de Van Houten



Intérieurement les murailles, jusqu'à mi-hauteur, sont carrelés de vieux Delft, dont le camaïeu bleuâtre raconte naïvement toute l'Histoire sainte: j'y vois, entre autres, Jésus vêtu en seigneur du moyen âge. Devant l'énorme cheminée avec sa plaque de fonte ouvragée, un écran de bois montre sur une de ses faces l'Echelle de Jacob et sur l'autre la Fille de Jephté. Un escabeau peint de rouge et de bleu sert à monter dans les vastes placards en noyer cirés où les lits sont cachés. Et voici la grande horloge au cadran de métal qui sonne l'heure depuis deux cents ans, sans avance comme sans retard! 



Je m'assieds: autour de moi, propres et jolies, cinq servantes vont et viennent, portant les costumes de la Hollande du Sud, de la Zélande, de la Frise et de la Hollande du Nord. Elles ont des casques d'or pur que voilent des dentelles légères, où scintillent des diamants, de sorte qu'on les croirait coiffées de neige et de lumière! L'une d'elles s'approche de moi: elle m'apporte une petite tasse où je bois le délice odorant d'un chocolat exquis qu'elle vient de faire sous mes yeux, en versant de l'eau bouillante sur un peu de poudre brune.



Et je rêve, a la voir si calme et si blonde, d'un amour tranquille et pâle dans quelque ville du nord!

                                                                                                      Rodolphe Darzens.

Revue Illustrée, Juin 1889-Décembre 1889.

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