samedi 8 février 2014

Revue des principaux établissements publics.


Hospice de la Salpétrière.

Les résultats des guerres de la Fronde avaient attirés dans Paris, de tous les environs, une quantité immense de vagabonds et de mendiants. Ce surcroît imprévu d'habitants, qui ne s'élevait pas à moins de quarante mille, environ le cinquième de la population parisienne, inspirait des craintes, entraînait une foule d'inconvénients et de désordres, et faisait naître chaque jour de nouveaux dangers pour les paisibles bourgeois de la capitale.
Des mesures promptes eussent été nécessaires; mais, comme il arrive trop souvent en pareil cas, on discutait au lieu d'agir, et le mal empirait. Enfin, après de mûres délibérations, et sur la proposition de M. de Bellièvre, premier président du parlement de Paris, on arrêta que tous les mendiants seraient renfermés, qu'ils fussent valides ou non, et qu'on les ferait travailler selon leur force et leur talent.
Ce projet une fois adopté, on en poursuivit chaudement l'exécution, et, le 27 avril 1656, le roi rendit un édit qui ordonnait l'établissement d'un hôpital général, et prescrivit les mesures qui devaient y être observées. On céda, pour cet objet, les ruines du vieux château de Bicètre, abandonné depuis longtemps, et la maison de la la Salpétrière, située rue de Poliveau, n° 7, et boulevard de l'hôpital, quartier Saint-Marcel.
Libéral Bruant, architecte assez célèbre de ce temps, fut chargé des constructions. 



Il fit notamment bâtir l'église, qui s'élève sur un plan circulaire de dix toises de diamètre, et qui supporte un dôme octogone, l'intérieur est percé de huit arcades, chacune de douze toises de longueurs, et a quatre chapelles; ces nefs et ces chapelles, disposées en rayon, aboutissent au centre de l'église, où s'élève l'autel principal.




La Salpétrière est sans contredit le plus bel hospice qui soit en Europe; ses bâtiments sont immenses et occupent, avec les cours et les jardins, un emplacement qui contient plus de cinquante-cinq mille toises carrées. Il y a beaucoup de sous-préfectures qui sont loin d'être aussi vastes. On peut se faire une idée de l'importance de cet hôpital, quand on saura, qu'avant la révolution, il contenait sept à huit mille indigentes et autant de détenus à titre de correction ou de sûreté; des femmes ou des filles enceintes, des nourrices avec leurs nourrissons, des enfants mâles depuis l'âge de sept à huit mois jusqu'à celui de quatre ou cinq ans, des jeunes filles de tout âge, des ménages, etc. Aujourd'hui, il ne renferme plus que des indigentes et malade de tout sorte, mais principalement des aliénées.
Autrefois, il existait au centre de l'hôpital une maison de force qui comprenait quatre prisons différentes, savoir:
Le commun, destiné aux filles les plus dissolues;
La correction, destinées à celle qui donnaient des espoirs de repentir;
La prison, pour les personnes détenues par ordre du roi; 
La grande force, affectée aux femme flétries par la justice.
Cette maison de force n'existe plus: on a pensé assez justement qu'elle était inutile dans un lieu qui ne renferme que des vieilles femmes pauvres et des malades.
En 1802, des améliorations ont été apportées à ce bel établissement; depuis lors il en a subit beaucoup d'autres et il en subit tous les jours, grâce à M. Desportes, administrateur des hôpitaux, homme d'une haute sagesse, d'une philanthropie éclairée et d'une intégrité parfaite. M. Desportes se dévoue tout entier aux honorables fonctions dont il s'est chargé; aussi est-il peu connu dans les bruyants salons où tout est luxe et plaisir, mais on le connait bien dans l'asile des pauvres, où son nom est chaque jour prononcé au milieu d'un concert de vœux et de bénédictions.

La population générale de la Salpétrière s'élevait à la fin de 1833, à 5.148 personnes
Le nombre était ainsi divisé:

                                                 Indigentes valides....................................... 2831
                                                 Indigentes malades.....................................   191
                                                 Folles incurables..........................................   923
                                                 Folles en traitement....................................   117
                                                 Folles malades.............................................   105
                                                 Épileptiques.................................................   251
                                                 Aveugles......................................................    190
                                                 Épileptiques malades.................................      15
                                                 Reposantes (1).............................................   184
                                                 Indigentes en congé...................................    116
                                                 Employés, homme, femmes, indigents....    388
                                                 Médecins, élèves en médecines
                                                 pharmaciens (2)..........................................         27


(1) On entend par reposantes, les anciennes employées en retraite que leur état de pauvreté force à rester dans la maison.
(2) De tous les habitants de la Salpétrière, ceux-là seuls ne sont pas nourris.

Il faut joindre à ce chiffre les reposantes hors de la maison, avec la pension de 240 francs, et qui peuvent revenir habiter l'hôpital en renonçant à cette pension. Leur nombre s'élève à 54.
Année commune, il entre à la Salpétrière quinze cents pensionnaires environ; sur le nombre il en sort cinq cents, et il en meurt un peu plus de neuf cents.
Les exemples de longévité y sont assez remarquable, et prouvent en faveur de l'excellent régime que l'on a adopté pour les hospices. A la fin de l'année dernière, il y avait à la Salpétrière cinq cent vingt-cinq femmes de soixante-quinze à quatre-vingt ans; trois cent quatorze de quatre-vingt à quatre-vint-cinq ans; soixante-huit de quatre-vingt-cinq à cent ans, et une de cent un ans.
La Salpétrière comporte cinq divisions, lesquelles se subdivisent par sections qui comprennent un certain nombre de dortoirs.
La première division où sont les reposantes contient un grand dortoir et quatre petits.
2° division, 1ère section: Octogénaires aveugles, grands infirmes, huit grands dortoirs et deux petits.
2° division, 2e section: Mêmes malades qu'à la 1re section; trois grands dortoirs et trois petits.
3° division, 1ere section:Septuagénaires, quatre grands dortoirs et trois petits.
3° division, 2e section: Septuagénaires, sexagénaires, quinquagénaires; huit grands dortoirs et plusieurs petites chambres pour celles à qui leur bonne conduite, le soin spécial de leur santé, ou des recommandations, font accorder cette faveur.
3° division, 3e section: Femmes de tout âge; cinq grands dortoirs et un petit.
3° division, 4e section, appelée le bâtiment: vingt dortoirs très petits.
3° division, 5e section: trois grands dortoirs subdivisés en soixante-dix petites chambres destinées aux protégées.
3° division, 6e section: cancéreuses et gâteuses (3); trois grands dortoirs, et un autre petit pour les cancéreuses seulement.
4° division. Elle comprend l'infirmerie générale, et forme à elle-seule un grand corps de bâtiment. Huit grands dortoirs et dix petits.
5° division, 1ere section: Aliénées, comprenant les aliénées incurables, et celles en traitement; dix grands dortoirs, une salle de bains et une infirmerie particulière.
5° division, 2e section; Imbéciles; six grands dortoirs, infirmerie particulière, vaste cour, un atelier pour la confection des chemises et de toute sorte de linge.
5° division, 3e section; Épileptiques; deux grands dortoirs, une infirmerie particulière,  et un atelier de lingerie. La section des épileptiques renferme beaucoup de jeunes femmes.
La 5° division comporte en outre quatre grandes cours pour les aliénées, dont une consacrée à celles en traitement.
Il y a en plus un dortoir de vingt lits pour les protestantes.

(3) On n'a pas trouvé d'autre mot pour désigner les malheureuses qui n'ont même pas l'instinct de pourvoir à leurs besoins les plus naturels.

On fait construire en ce moment  à la Salpétrière, à l'extrémité de la maison, sur l'emplacement de quelques-uns des jardins concédés aux employés, un bâtiment vaste et aéré, pour remplacer les loges étroites où sont enfermées les folles. C'est encore à M. Desportes que l'on devra cette amélioration.
Chaque pensionnaire a droit, par jour,  à cinq quarts de pain, à une demi livre de viande et à un petit plat de légumes.
La quantité de viande n'est pas égale pour toutes: un estomac vieux demandant plus de fortifiants qu'un estomac jeune, on a du prendre pour règle la différence des âges.
Ainsi, jusqu'à 75 ans, on a droit à 12 centilitres par jour; 
De 75 à 80 ans, à 24 centilitres; 
De 80 à 85 ans, à 36 centilitres;
De 85 à 100 ans, à 50 centilitres.
L'hôpital de la Salpétrière  a aussi  son cimetière particulier, que les indigentes appellent facétieusement la sixième division. C'est un enclos très vaste et tel qu'il convient à la mortalité qui pèse sur les habitants du lieu. Pendant les journées de Juillet, une centaines de victimes y furent apportées et inhumées.
Pour les maladies communes, l'hôpital de la Salpétrière n'a rien qui le distingue des autres hôpitaux, si ce n'est son aspect grandiose et la vaste échelle sur laquelle il est combiné, mais ce qui offre un vif intérêt, c'est la partie de la maison affectée aux aliénées.
Beaucoup de personnes sont allées à Bicètre chercher, auprès des fous, des sujets d'émotions et quelquefois de plaisanteries... Mais il n'est pas aussi facile de rentrer à la Salpétrière: l'aliénation a chez les femmes un caractère d'irritabilité plus prononcé que chez les hommes, et l'on a reconnu de graves inconvénients, pour leur santé,  à laisser pénétrer indistinctement auprès d'elles tous ceux que la curiosité y attirait.

Journal des connaissances utiles, février 1834.

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