mardi 7 janvier 2014

Visions d'Alger.

Visions d'Alger.

Au moment où le président de la République va débarquer dans cette seconde France qui s'appelle l'Algérie, nos lecteurs liront ou reliront avec plaisir, les descriptions suivantes que nous avons choisies dans les œuvres de nos grands écrivains. Alger surgira vivant et lumineux à leurs yeux, rappelant à quelques uns des souvenirs, révélant au plus grand nombre sa beauté orientale et pittoresque.

Alger, dont le nom fit longtemps trembler les marins les plus intrépides; Alger qu'ils redoutaient plus que la tempête; Alger, le repaire des pirates et écumeurs des mers; Alger, où tant de captifs ou de captives gémissaient dans les fers; Alger, la métropole de l'islamisme, est devenu depuis 1830, une terre française. La France croyait ne venger qu'une injure, détruire un nid de pirate, et n'occuper qu'une position maritime sur la côte d'Afrique. Elle fit la conquête de tout un pays et fonda la plus belle, la plus grande et la plus prospère de toutes ses colonies.
En 1824, Alger était ce que représente l'ancienne gravure que nous reproduisons.



Aujourd'hui, la petite ville arabe est devenue une ville superbe, avec ses quais magnifiques bordées d'hôtels somptueux, derrière lesquels s'argentent les blanches terrasses de ce qui reste de la ville arabe, la casbah.
Alger, perd, malheureusement pour l'artiste et le touriste, chaque année davantage sa couleur locale, ses traits et ses côtés originaux et pittoresques. La Mauresque ne se rencontre plus que dans les ruelles à échelons de pierre de la casbah; le nègre, avec son madras jaune, sa chemise à raie bleue, à la veste rouge, au caleçon blanc, aux babouches jaunes, le Mahonnais au chapeau pointu à pompon noir, le riche Turc au cafetan rutilant de broderies, sont exceptionnels et rares. 



Les danseuses et les Assaouas ne sont plus exhibés que comme des curiosités, par le comité hivernal d'Alger, dans la maison mauresque de la belle Fathma, rue de la révolution. Il y a dix ou vingt ans, les danseuses faisaient l'ornement des principaux cafés et les Assaouas se livraient sur les places publiques à leurs cruels exercices de dévotion.

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Ce matin même, vingt-trois heures après avoir salué les côtes demi-africaines de la Provence, et trois heures avant d'être au port, on voyait la terre. Le premier sommet qu'on aperçoit, c'est le vieux Atlas; puis se présente la tête un peu plus voisine de la Bouzareah, puis Alger, un triangle blanchâtre sur des plateaux verts. L'ancre tomba sous les canons de la Marine et dans des eaux paisibles; la mer était d'un bleu sombre, le ciel net très coloré, je ne sais quelle odeur de benjoin remplissait l'air. Nous entrions dans un climat nouveau, et je reconnaissais cette ville charmante à son odeur...
Quelle ville, mon cher ami! Les Arabes l'appellent El-Bahadja, la blanche, et comme elle est encore la bien nommée! Quoi qu'on fasse, elle est encore, et pour toujours j'espère, El-Bahadja, c'est à dire la plus blanche ville peut être de tout l'Orient. Et quand le soleil se lève pour l'éclairer, quand elle s'illumine et se colore à ce rayon vermeil qui tous les matins lui vient de la Mecque, on la croirait sortie la veille d'un immense d'un immense bloc de marbre blanc, veiné de rose.

                                                                                                        Eug. Fromentin

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L'arrivée à Alger.





De la pointe de la jetée, le coup d’œil sur la ville est merveilleux. On regarde, extasié,  cette cascade éclatante de maisons dégringolant les unes sur les autres du haut de la montagne jusqu'à la mer. On dirait une écume de torrent, une écume d'une blancheur folle; et, de place en place, comme un bouillonnement plus gros, une mosquée éclatante luit au soleil.

                                                                                                         Guy de Maupassant.

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La ville Arabe.

C'est une montée inimaginable à travers un labyrinthe de ruelles, emmêlées, tortueuses, entre les murs sans fenêtres des maisons mauresques. Elles se touchent presque à leur sommet, et le ciel, aperçu entre les terrasses, semble une arabesque bleue d'une irrégulière et bizarre fantaisie. Quelquefois, un long couloir sinueux et voûté, escarpé comme un sentier de montagne, paraît conduire directement dans l'azur dont on aperçoit soudain, au détour d'un mur, au bout des marches, là-haut, la tache éclatante, pleine de lumière.
Tout le long de ces étroits corridors, sont accroupis, au pied des maisons, des Arabes qui sommeillent en leurs loques; d'autres, entassés dans des cafés maures, sur des banquettes circulaires ou par terre, toujours immobiles, boivent en de petites tasses de faïence qu'ils tiennent gravement entre leurs doigts. En ces rues étroites qu'il faut escalader, le soleil, tombant par surprises, par filets ou par grande plaque à chaque cassure des voies entre-croisées, jette sur les murs des dessins inattendus, d'une clarté aveuglante et vernie. On aperçoit, par les portes entr'ouvertes, les cours intérieures qui soufflent de l'air frais.
C'est toujours le même puits carré qu'enferme une colonnade supportant des galeries. Un bruit de musique douce et sauvage s'échappe parfois de ces demeures, dont on voit sortir souvent, deux par deux, des femmes. Elles vous jettent entre les voiles qui leur couvrent la face, un regard noir et triste, un regard de prisonnières, et passent.

                                                                                                      Guy de Maupassant.

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Printemps d'Alger.

Sur les quais en terrasse du boulevard de la République, c'est toute une gaîté débordante, affairée, les poursuites joueuses des chaouks et des petits cireurs; les grands yeux d'émail blancs brûlés de convoitises des spahis graves, des spahis drapés dans leurs longs manteaux rouges, et les sourires à dents étincelantes des Siciliens de la rue de la Marine, mâchonnant en guise de cigarette, une tige de fleur.
C'est aussi le va-et-vient des voitures de place bondées de misses rousses et roses, la capote encombrée de bottelées d'iris et de glaïeuls, les hèlements d'un siège à l'autre des cochers maltais, un œillet jaune piqué derrière l'oreille, et, dans la lumière, la joie et la douceur de vivre, la foule heureuse et nonchalante installée, ceux-ci à la devanture d'un café, sous les larges bâches éclaboussées de soleil, ceux-là le coude au parapet des quais, et tous s'épanouissent au bon air, devant la splendeur irisée des monts de Kabylie cerclant d'arabesques mauves la rade et son immobilité bleue.

                                                                                                        Jean Lorrain.

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Les Arabes.

Sur les quais d'Alger, dans les rues des villages indigènes, dans les plaines du Tell, sur les montagnes du Sahel ou dans les sables du Sahara, tous ces corps drapés comme dans des robes de moines, la tête encapuchonnée sous le turban flottant par derrière, ces traits sévères, ces regards fixes, ont l'air d'appartenir à des religieux d'un même ordre austère, répandus sur la moitié du globe. Leur démarche même est celle des prêtres; leurs gestes, ceux d'apôtres prêcheurs; leur attitude, celle de mystiques pleins de mépris du monde. Nous sommes, en effet, chez des hommes où l'idée religieuse domine tout, efface tout, règle les actions, étreint les consciences, moule les cœurs, gouverne la pensée, prime tous les intérêts, toutes les préoccupation, toutes les agitations.

                                                                                                    Guy de Maupassant.

Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 5 avril 1903.

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