dimanche 15 décembre 2013

Le mariage de l'empereur Kouang-siu.

Le mariage de l'empereur Kouang-siu.


Le mariage de l'empereur Kouang-siu, célébré tout récemment à Pékin selon les rites pompeux et mystérieux prescrits par la tradition, éveillent la curiosité publique sur cet événement qui n'a pas coûté moins de quarante-deux millions de francs au Céleste-Empire.
Kouang-siu est à peine âgé de dix-huit ans. Le jour de la célébration de son mariage, sa majorité fut proclamée et l'impératrice régente, Tze-hi, qui succéda à l'impératrice Tze-ngan, veuve de Hien-fong, déposa le pouvoir.
Son prédecesseur est l'empereur T'ong-tche, qui mourut le 12 janvier 1875.
La jeune femme de T'ong-tche, l'impératrice Halou-t'o, était régente depuis quelques jours, lorsqu'on apprit qu'elle avait cessé de vivre. Les impératrices Tze-ngan et Tze-hi, qui avaient déjà exercé le pouvoir, redevinrent régentes, et leur neveu, le princeTsaïtien, alors âgé de quatre ans, fut désigné pour occuper, sous le nom de Kouang-siu, le trône impérial de Chine.
L'impératrice Tze-ngan, veuve de Hien-fong, mourut le 8 avril 1881. L'empereur actuel vécut depuis lors sous la tutelle de Tze-hi, laquelle, comme nous venons de le voir, abandonne les rênes du gouvernement au nouvel au nouvel empereur et à sa jeune femme.
Les hauts fonctionnaires chinois et la garde d'honneur ont seuls pu jouir du spectacle du mariage impérial; le corps diplomatique n'a pas été admis à y assister, et, à plus forte raison, le peuple de Pékin.
Au surplus, contrairement à nos coutumes occidentales, aucune réjouissance nationale n'a eu lieu à cette occasion;
Pourquoi entoure-t-on de mystère cette cérémonie? Apparemment pour frapper l'imagination du peuple chinois et l'habituer à considérer l'empereur comme une émanation de la majesté divine.
Mais, en Occident, où la civilisation s'accommode mal de ces pratiques mystérieuses et où la curiosité triomphe de toutes les difficultés, le secret des rites du mariage impérial ne pouvait être gardé longtemps.
M. Deviria, secrétaire-interprète de notre gouvernement, qui se trouvait à Pékin en 1872, au moment du mariage de l'empereur T'ong-tche, a pu obtenir communication des règlements de ce mystérieux cérémonial, et en a fait une traduction à laquelle nous empruntons les détails qui suivent. On peut les considérer comme rigoureusement exacts.
Les cérémonies du mariage comportent deux journées.
Le premier jour, entre cinq et six heures du matin, les grands écuyers préposés aux équipages de la cour, font prendre le palanquin de l'impératrice et, le faisant passer par l'ouverture centrale de la porte Kien-tsing-men, ils le déposent au milieu de la grande salle de ce nom.
Entre trois et quatre heures de l'après-midi, l'empereur va rendre ses devoirs à l'impératrice régente dans le palais Tzening-kong, et siégeant sur son trône, Sa Majesté envoie recevoir l'impératrice, sa fiancée.
Après que l'empereur est rentré chez lui, quatre princesses, portant la coiffe et la robe rouge écarlate à écussons brodés, prennent respectueusement une bande de soie, sur laquelle est dessiné le caractère chinois qui représente le dragon, et le placent au milieu du palanquin de l'impératrice; elles y placent aussi deux sceptres symboliques, longs d'environ un pied, et qu'on appelle en cette circonstance la "paire de sceptres de congratulations".
Quatre princesses, accompagnées de maîtresses de cérémonie, les unes et les autres portant la coiffe et la robe rouge à écussons, se rendent dans la chambre orientale du palais Kouen-ning-kong, pour y préparer le lit nuptial, orné de dragon et de phénix. Elles remplissent soigneusement un flacon de 2 perles fines, de 2 lingots d'argent, de 2 rubis, de 2 sceptres d'argent, de 2 lingots d'argent, de 2 pièces de monnaie d'or, de 2 pièces de monnaie d'argent, de 2 lingots d'or, de 2 lingots d'argent, d'une poignée de riz jaune et de riz blanc; elles le laissent au milieu du lit nuptial jusqu'à l'arrivée de l'impératrice et vont ensuite le lui présenter dans le palais kien-tsing-kong.
Quatre princesses placent chacune un sceptre symbolique de congratulation aux quatre angles du lit nuptial; ils sont censés mettre ainsi d'aplomb l'heureuse destinée des nouveaux époux.
Huit princesses, suivies de maîtresses de cérémonies, se font remettre pour l'impératrice une robe brodée de dragons et de phénix enlacés, un voile rouge, les boucles d'oreilles, les épingles de tête portant le caractère chinois choang-hi (bonheurs jumeaux) et de l'encens du Tibet.
Au moment fixé par les fonctionnaires du tribunal des mathématiques, un grand chef des eunuques fait prier l'impératrice de se faire coiffer; ses cheveux doivent former deux nattes enroulées de chaque côté de la tête; l'impératrice est en outre priée de mettre dans sa coiffure un sceptre de congratulations et de revêtir sa robe à dragons et phénix enlacés.
Les princesses et autres dames font brûler de l'encens du Tibet dans le palanquin de l'impératrice et, sous son voile rouge, rangent sur le côté le sceptre qui y est déposé, prient l'impératrice de tenir d'une main deux pommes, la pomme est l'image de la fidélité constante, de l'autre deux sceptres de congratulation, et enfin, l'invitent à se mettre en palanquin.
A ce moment, les eunuques et autres gens de service se retirent: le chef des eunuques baise le store du palanquin, aussitôt que l'impératrice y est installée.
Les maîtresses des cérémonies font donner le signal du départ; le chef des eunuques, les préposés à la garde des portes intérieures et extérieures du palais, les grands écuyers préposés aux équipages et leurs officiers, les hauts fonctionnaires de l'intendance du palais, les porteurs et gens de service de toute espèce sortent, avec la palanquin, par la porte centrale de la demeure de l'impératrice. Les gardes du corps, porteurs d'encensoirs remplis d'encens du Tibet, marchent en avant; les officiers des gardes du corps et leur personnel suivent comme de coutume.
Le palanquin de l'impératrice s'arrête au milieu de la salle du trône du palais Kien-tsing-kong, l'ouverture tournée au Sud, dans la direction du génie du Bonheur.
Quelques moments avant l'arrivée de l'impératrice, les princes de sang vont prier l'empereur, qui se trouve dans la chambre occidentale du palais Kien-tsing-kong, de passer dans l'antisalle pour s'y faire coiffer et revêtir sa veste ornée de dragons.
Ils le conduisent au palais de Kouen-ning-kong.
Les huit princesses et les maîtresses des cérémonies prient l'impératrice, aussitôt qu'on a levé le store du palanquin, de mettre pied à terre, et elles la conduisent dans la chambre à coucher orientale du palais Kouen-ning-kong, auprès de l'empereur.
Les princesses attendent que l'empereur ait découvert le visage de sa fiancée, pour aller déposer les voiles rouges de l'impératrice sut le lit nuptial du dragon et du phénix.
L'empereur s'assoit sur le lit, l'impératrice prend place à sa gauche.
Les maîtresses des cérémonies ont disposé sur le lit nuptial un bassin de cuivre renversé sur lequel elles placent une boite contenant des gâteaux de prospérité; elles invitent le couple impérial a en manger.
Un peu plus tard, les maîtresses des cérémonies apportent une table sur laquelle sont servis du jambon, un gigot, du vin d'or, du vin d'argent, du riz d'or, du riz d'argent, des rouelles de viande et autres mets, elles placent des coussins sur le sol, au pied du lit nuptial, et quatre princesses invitent l'empereur et l'impératrice à s'asseoir en face l'un de l'autre.
Pendant ce temps le garde du corps et sa femme chargés de coiffer l'empereur et l'impératrice, récitent à haute voix, derrière une cloison, en se répondant l'un l'autre, l'hymne de circonstance.
Le repas terminé, l'empereur et l'impératrice reprennent leur place sur le lit nuptial, tous deux de front, faisant face au Sud, direction dans laquelle se trouvent les génies du Bonheur.
Ensuite, quatre princesses invitent le couple impériale à manger des pâtes de longévité, et tout le monde se retire.
Le lendemain matin, deux princesses, après avoir fait réveiller l'empereur, entrent dans la chambre à coucher pour offrir à Leurs Majestés des fruits et du thé.
Les princesses, les femmes des hauts fonctionnaires, les maîtresses des cérémonies aident l'impératrice à se coiffer en diadème en forme de phénix et à revêtir la robe jaune clair brodée de dragons et la veste ornée de huit écussons brodés de dragons.
L'empereur revêtu de sa robe et de sa veste à dragons, et accompagné par l'impératrice, vient brûler de l'encens sur la table du Ciel et de la Terre; puis le couple impérial fait trois agenouillements et neuf prosternations.
La même cérémonie a lieu devant la table du Génie et du Bonheur, et devant l'image de Tsao-kiun, dieu du foyer.
Après une collation servie dans la chambre à coucher orientale, l'impératrice prend place dans son palanquin de cérémonie, et on la conduit à la porte de l'angle Ouest du palais Cheou-hoang-tien; elle met pied à terre sous la tente dressée en dehors de cette porte.
L'empereur vient la rejoindre, sous cette tente, par le même chemin.
Leurs Majestés entrent ensemble dans la salle du palais Cheou-hoang-tien, où elle brûlent de l'encens devant les saintes images des empereurs et impératrices, leurs devanciers; le couple impérial fait trois agenouillements et neuf prosternements.
Les mêmes cérémonies recommencent au palais Tcheng-kien-kong, devant l'image de l'impératrice Hiao-tsuan-tcheng, au palais Kien-tsing-kong, devant l'image de l'empereur Ouen-tsong-siu, et enfin au palais Kien-fou-kong, devant la tablette sacrée de l'impératrice Hiao-tchsien.
Après ces cérémonies, l'empereur et l'impératrice vont présenter chacun un sceptre de congratulation à l'impératrice douairière.
L'impératrice s'avance vers l'empereur et lui remet le sceptre de congratulation en échange duquel l'empereur donne le sien à l'impératrice; celle-ci, après l'avoir reçu fait trois agenouillements et neuf prosternations.
L'empereur sort par la porte de derrière du palais Kien-tsing-kong et, passant par la porte Cong-fou-men et la porte Ki-siang, rentre dans le palais Yang-sin-kong, tandis que l'impératrice regagne le palais Tchou-sieou-kong, où, après avoir pris quelques moments de repos, elle va siéger sur son trône dans la salle de réception. Les princesses de sang, les princesses par alliance, et les femmes des hauts fonctionnaires viennent lui remettre chacune un sceptre de congratulation et la saluent de trois agenouillements et de neuf prosternations.
Tel est le cérémonial suivi à la cour de Pékin pendant le jour du mariage et celui qui le suit.

                                                                                                                  X.

Journal des Voyages, 21 avril 1889.

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