vendredi 27 décembre 2013

Celles dont on parle.

Séverine.

Si tendre, si douce, si sucrée, qu'on serait tenté de l'appeler Gly-Séverine. Elle n'a pas toujours été blonde, mais elle fut toujours sentimentale. Elle trempe sa plume dans ses larmes et se mouche dans son buvard; souvent les larmes en tombant font des pâtés sur le manuscrit et c'est ce qui explique qu'il manque des mots dans ses phrases. Heureusement, vous êtes sûr d'en trouver quelques lignes plus bas, beaucoup plus qu'il n'en faut; il suffit de déficeler le paquet et de faire votre choix.





Séverine est une philanthrope exaltée, une jacobine de la charité; pour soulager une infortune, elle ferait une révolution. Elle est toujours pour les malheureux contre la société, pour les ratés contre les arrivés, pour le voleur contre le gendarme, pour le chat contre les mauvais enfants, pour le souris contre le chat, pour la croûte de pain contre la souris. Je m'arrête car on va m'accuser d'écrire du Séverine.
Elle naquit dans un milieu très modeste, il y a quarante-huit ans. A vingt-cinq ans, elle fit connaissance, à Bruxelles, de Jules Vallès et se lia intimement avec lui. Quand l'ancien député rentra en France, grâce à l'amnistie, elle collabora avec lui à des romans socialistes, comme Jacques Vingtras.
Elle ne commença à signer seule que dans le Cri du Peuple, fondé par Jules Vallès; quand ce dernier mourut, elle prit la direction de son journal et épousa le commanditaire: le docteur Guebhard, excellent moyen pour mettre tous les atouts dans son jeu. Mais la discorde régnait entre les socialistes, et Séverine, après avoir bataillé ferme, elle pleurait moins facilement alors et aimait la polémique, céda le journal, dont la caisse était vide, aux blanquistes (1888)
C'est de cette époque que date la bruyante et larmoyante charité de cette digne femme. La plupart des feuilles publiques ont inséré ses déclarations pathétiques et sa comptabilité touchante: "Reçu pour les enfants de Ravachol: 50 c.; reçu pour donner du mou au chat de la mère Michel: 10 c."
Émus par tant de bienfaits, de hauts personnages se laissèrent interviewer par elle; le pape Léon XIII en personne daigna s'entretenir avec Séverine.
Ce n'est pas qu'elle soit pieuse. Socialiste, elle demande l'émancipation du peuple, le développement de l'instruction; mais quand elle s'élève contre la société, contre nos mœurs, alors son imagination rêveuse se reporte en arrière, et elle prêche la sage résignation des croyants. Ses idées sont contradictoires, mais Séverine n'en a cure, en sa double qualité de femme et de journaliste.

                                                                                                                Jean Louis.

Mon Dimanche, Revue populaire illustrée, 26 avril 1903.

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