samedi 9 novembre 2013

Un mode d'empoisonne ment au XVIIe siècle.

Un mode d'empoisonnement au XVIIe siècle.

Nos confrères, MM. les docteurs Cabanès et L. Nass, au tome II de leurs Poisons et sortilèges (Plon, éditeur, pages 207-208), ayant rapporté le fait "d'un homme Brunet que La Bosse déclara avoir voulu faire mourir par un lavement acide, opération qui ne réussit pas", écrivent:
" Le lavement fut souvent un véhicule de poison: on sait combien il était en honneur à cette époque et ce n'est pas sans raison que Molière a tourné cette mode en ridicule: un chanoine de Troyes en prit jusqu'à 2.190 en deux ans! Ce procédé offrait un avantage précieux; on pouvait introduire dans l'organisme une substance caustique ou âcre qui, mélangé à une tisane aurait par son mauvais goût, éveillé les soupçons; de plus, quelque méfiance que pût avoir la victime, lui viendrait-il jamais à l'idée de goûter ou de faire goûter son lavement? Aussi ce procédé fut-il très employé par les empoisonneurs; c'était du reste le seul moyen de donner l'acide sulfurique ou nitrique...
" L'ingestion d'une boisson suffisamment acide pour être toxique, est donc à peu près impossible; il est plus rationnel d'admettre que le poison s'administrait en lavement; de cette façon, ou bien la mort était rapide lorsque le clystère contenait une forte proportion de vitriol; ou mieux, la mort arrivait lentement, avec un liquide faiblement acidulé, par un processus pathologique qui rappelait la mort naturelle: l'acide dilué attaquant lentement la muqueuse intestinale, provocant des ulcérations, puis des perforations, et le malade succombant à une péritonite généralisée, qui éloignait tout soupçon d'empoisonnement; ou bien encore, l'ulcération une fois produite, il se formait un rétrécissement cicatriciel, analogue aux atrésies de l’œsophage, à la suite d'ingestion de vitriol: l'intestin dont la lumière était presque fermée, ne laissait plus passer aucune matière et le malade mourait au bout d'un certain temps d'obstruction intestinale. En présence de ces symptômes, qui aurait pu penser à un empoisonnement et attribuer à un lavement caustique l'origine d'une maladie naturelle?"
Tout cela est fort ingénieux. Si la place ne m'était pas mesurée, j'aimerais d'ailleurs à louer l'intéressant ouvrage des deux savants médecins, quoiqu'il soit superflu de vanter la compétence et le savoir du docteur Cabanès. Toutefois, je suis obligé de reconnaître  que ce ne sont là que des hypothèses et que dans tout leur ouvrage Poisons et sortilèges, les auteurs ne citent qu'un seul cas d'empoisonnement par ce mode, celui de ce sieur Brunet, rapporté plus haut, et qui ne mourut pas de cette tentative. Est-ce suffisant pour conclure que ce mode d'empoisonnement était fréquent? Je le le crois pas. De ce que Madame (Henriette d'Angleterre) prit un lavement, au dire de Mme de la Fayette, dans la nuit qui précéda sa mort; de ce que la Bruyère mourant prit un lavement au tabac; de ce que Louvois, au dire de Saint-Simon, mourut en rendant un lavement; de ce que Louis XV, au dire du duc de Liancourt, prit un lavement avant de mourir, on ne peut induire que tous ces personnages sont morts empoisonnés par ces remèdes; On vous raconte que toutes les correspondances du temps sont pleines de témoignages ad hoc: or, j'ai lu tous les mémoires, toutes les correspondances de l'époque et sauf Saint-Simon et Mme de Sévigné qui parlent une ou deux fois de lavements, tout le monde est muet sur ce chapitre. C'est pourquoi je suis, de l'avis de mon confrère G. et pas plus que lui je ne crois au remède que tout le monde prenait comme "remède ordinaire".

                                                                                                              Curiosus.

L'Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 30 décembre 1903.

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