vendredi 30 août 2013

La fin des guerres navales.

La fin des guerres navales.

Notre confrère anglais l'Answers ayant eu l'idée de demander à Jules Verne son opinion sur l'avenir de la navigation sous-marine, le célèbre romancier, qui habite Amiens et écrit en ce moment son cent deuxième ouvrage, a répondu par l'article qu'on va lire.


L'avenir de la navigation sous-marine.

En dépit de toutes mes dénégations, la croyance populaire persiste à m'attribuer l'invention ou du moins la première idée du navire sous-marin. C'est là, sans doute, ce qui me vaut l'honneur que l'Answers me fait aujourd'hui, de me demander mon opinion sur l'avenir de la navigation sous- marine.
Tout d'abord, faisons justice à la légende qui veut absolument que j'ai crée de toutes pièces le premier sous-marin. En faisant des recherches, on contatera facilement que bien des années, cinquante ans au moins, avant ma description du Nautilus, plusieurs nations, notamment l'Italie, essayaient d'en construire. Tout ce que j'ai fait a été, profitant du privilège qu'ont les auteurs d'ouvrages d'imagination, de sauter à pieds joints par-dessus toutes les difficultés scientifiques et de créer sur le papier ce que d'autres cherchaient à réaliser matériellement.
Pour ce qui est de la question que vous me posez, j'estime, tout en me défendant de prendre les allures d'un prophète, que la navigation sous-marine ne sortira pas du domaine exclusivement militaire.



Les transatlantiques sous-marins sont-ils possibles.

Le Nautilus, tel que je l'ai décrit, n'existera jamais dans la réalité. En d'autres termes, les sous-marins ne deviendront jamais des paquebots transatlantiques ou des navires de commerce. Il est possible qu'on trouve le moyen d'y respirer à l'aise pendant un jour ou deux; mais jamais on ne parviendra à y faire respirer une centaine de personnes pendant une très longue traversée. Et alors même qu'on atteindrait ce but, la pression de l'eau à une certaine profondeur empêcherait la marche du sous-marin ou le déformerait. Pensez à la taille colossale que devrait avoir un pareil transatlantique, pensez à la lenteur de sa marche retardée par la terrible résistance de la masse liquide, et dites franchement si vous croyez qu'on puisse jamais établir un service régulier entre Londres ou Le Havre et New York !
Et puis, que gagnerait-on à prendre une pareille voie ? Naviguerait-on dans le sein de l'océan aussi vite que le paquebot qui file à sa surface, l'avantage de ne plus payer son tribut au mal de mer compenserait-il les désavantages d'un pareil voyage ?


La fin des guerres navales.

Je le répète: l'avenir du sous-marin est exclusivement dans la guerre. Avec le temps, chaque nation possédera une nombreuse et rapide flotte de Nautilus en miniature. Chacun de ces petits navires (car je pense qu'ils seront plus petits que ceux d'aujourd'hui et montés seulement par un ou deux hommes) sera capable de placer des torpilles sous de gros cuirassiers avec une précision mathématique, et de les faire sauter. Je ne crois pas qu'on puisse trouver un système de défense qui ait raison de la mobilité et surtout de l'invincibilité des perfides sous-marins. Et je suis persuadé que cette invincibilité amènera fatalement, dans un avenir plus ou moins éloigné, à la fin de la guerre navale, devenue trop dangereuse et trop aléatoire.
J'ai suvi très attentivement les récentes manoeuvres des escadres françaises, dans la Méditérranée, et anglaises, dans l'océan atlantique, et j'ai été frappé de la façon dont les sous-marins se glissaient inaperçus au milieu des flottes, torpillaient, puis se retiraient sans avoir été inquiétés.
Eh bien, imaginez une attaque combinée de cent de ces navires, avec leur effroyable mobilité. Croyez-vous que jamais une invention humaine puisse neutraliser leur terrible pouvoir? La réfraction de l'eau, la profondeur à laquelle peut plonger le sous-marin, l'impossibilité de controler ses mystérieux mouvements, tout cela en fait le plus redoutable engin de guerre que l'homme ait crée. Dans un certain nombre d'années, quand moi même je dormirai sous la terre, cette effroyable puissance sera plus grande encore. Et toute guerre navale sera impossible.
Etant un ami de la paix, je me réjouis d'un pareil résultat.

                                                                                                                    Jules Verne.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1e février 1903.

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