mardi 4 novembre 2025

 Autour du berceau.



Penchée sur le berceau de son enfant, la mère interroge, avec une anxiété qui se change bien vite en inquiétude, la physionomie de ce petit être, objet de sa tendresse passionnée. Eclairer cet amour prêt à tous les dévouements, mettre au service de l'admirable sentiment maternel les ressources d'une science sans cesse en progrès, montrer aux mères quelles erreurs ont été longtemps commises dans ces premiers soins d'une importance si capitale, les renseigner sur les meilleures conditions pour assurer la santé du tout petit, ce sera leur donner quelques conseils pratiques répondant à leurs plus ardentes et plus chères préoccupations.


Tout le monde a dans la mémoire les beaux vers par lesquels Victor Hugo a su rendre la joie qui accueille l'enfant à son apparition dans la famille:

Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille
Applaudit à grands cris. Son doux regard qui brille
Fait briller tous les yeux.

Quelle joie pour tous, et pour la mère surtout, de lire la santé dans la fraîcheur des joues de l'enfant, dans le sourire de ses lèvres et de ses yeux! Mais aussi par combien d'inquiétudes, combien de cruelles angoisses va-t-elle passer, si tout à coup elle voit ces joues pâlir et se creuser, ces yeux perdre leurs éclats, si le cher petit être tousse et maigri peu à peu! La vie qui anime ce corps frêle est une étincelle qu'un rien peut éteindre. Toute atteinte de la maladie peut être fatale à l'enfant, et, contre ces brusques attaques, contre ses progrès foudroyants, on est presque désarmé. Cette fragilité désespère la mère, qui donnerait sa propre vie pour sauver celle de son enfant.
Quelle ne serait pas la surprise de ces tendres éducatrices, si on leur disait que souvent ce sont les soins de la mère, les soins d'un zèle mal renseigné, qui ont aggravé et rendu mortelle la fragilité de l'enfant! Et pourtant rien n'est plus exact. On a peine à concevoir l'absurdité de certains systèmes appliqués à l'éducation du premier âge. On se représente malaisément les tortures auxquelles ont été soumis les nouveau-nés par ceux-là mêmes et par celles qui souhaitaient le plus les voir vivre. Si absurde, si illogique et si surprenant qu'il puisse paraître, le fait est pourtant celui-ci: depuis qu'il y a une humanité, elle s'ingénie de mille manières à entraver, à fausser et à faire dévier le développement physique de l'enfant.

La nature contrariée par de monstrueuses déformations.

Peut-être en effet pensez-vous que, dans les civilisations naissantes et voisines de la nature, on laisse l'enfant grandir et se développer librement comme une plante? C'est le contraire qui est vrai. Une espèce d'instinct poussent les peuplades barbares à contrarier l'œuvre de la nature. Elles transforment en le pétrissant le crâne des jeunes enfants et réalisent ainsi la singulière conception qu'elles se font de la beauté. Pour certains Indiens de l'Amérique du Sud, rien n'est plus admirable qu'une tête en pain de sucre*; d'autres tribus ont une prédilection pour le front extrêmement fuyant* ou au contraire pour un front projeté en avant et surplombant le reste du visage. Les Kirghiz de Sibérie, par une pression de la main, aplatissent la face de leurs enfants: le nez devient camus, les orbites s'écartent et s'élargissent, les pommettes deviennent saillantes.
Voilà, direz-vous, des coutumes barbares et qu'on ne doit pouvoir rencontrer que chez les peuplades primitives en plein pays sauvage. Eh bien! il n'y a pas longtemps encore, on en trouvait d'analogues en Europe et dans nos provinces françaises. Par exemple, en Auvergne, il était d'usage de fixer solidement la tête du bébé sur un oreiller très dur ou sur une planchette, afin que la partie postérieure de la tête vint à s'aplatir. En Allemagne, même aplatissement, mais cette fois sur le sommet de la tête et pratiqué à l'aide d'une forte compression maintenue par des bandages qui s'attachaient sous le menton. Dans les Flandres, des bandelettes serraient fortement la tête des nourrissons afin de rétrécir les tempes. La région de Toulouse avait la spécialité des crânes en forme de boudin; on obtenait par le moyen d'une coiffure appropriée cet allongement souvent extraordinaire de la tête. Dans les Deux-Sèvres, les enfants, surtout les petites filles, portaient une toque en carton dur qui, appuyant sur les os encore mous, déterminait au-dessus du front un profond sillon, allant d'une oreille à l'autre. Le serre-tête des bébé normands était aussi malfaisant, d'autant plus que les paysannes avaient la déplorable habitude de l'attacher étroitement. On devine à quel point toutes ces pratiques devaient être funestes pour le cerveau. Comprimer, altérer, fausser l'organe même de la pensée, c'était par avance en compromettre le bon fonctionnement et condamner l'enfant à la faiblesse d'esprit, à l'idiotie, peut-être à la folie. Et de fait,  dans les asiles d'aliénés, on trouvait à cette époque un grand nombre d'individus dont la tête avait été ainsi manipulée.

Maillots qui ligotent, berceaux de torture.

Comme le serre-tête comprimait le crâne, le maillot ligotait les membres.


Le maillot dans l'antiquité Romaine.
Enfants emmaillotés d'après des moulages anciens.

Enfin, nous comprenons maintenant qu'il faut laisser les
membres des enfants libres pour leur permettre d'acquérir de la force
 et de l'agilité. Quel long martyr devait subir jadis les pauvres bébés
aussi étroitement ficelés.



La principale pièce en était une longue bande de toile dans laquelle on roulait le bébé, qui dès lors ne pouvait faire un seul mouvement. On ménageait dans ce maillot une anse par laquelle on suspendait l'enfant à un clou, quand les parents allaient aux champs ou au cabaret. "Dans le département de l'Ariège, écrit le Dr Foville, un grand poteau est dressé au milieu de la maison, et lorsque les parents sortent pour se livrer à leurs travaux, ils suspendent leurs enfants à ce poteau, avec des courroies de manière que l'extrémité des pieds touche la terre. Le poids du corps l'abaissant peu à peu, le plus grand nombre de ces enfants restent contrefaits, et dans les départements où règne cet usage la proportion des bossus est immense"*.


Une coutume barbare.

Dans beaucoup de départements, la coutume subsista longtemps
de suspendre les enfants au mur pendant que les parents étaient aux
champs, soit dans un sac, soit au moyen de courroies passées
sous les aisselles. Combien de petits êtres sont restés contrefaits
à la suite de cette absurde pratique!



Immobilisé comme une momie dans ses bandelettes, le nouveau-né dormait souvent dans le lit des parents, habitude funeste, puisque à la fin du XVIIIe siècle, Rosen de Rosenstein évaluait à 700 par an le nombre des nourrissons qui, de son temps, mourraient étouffés par leur mère ou leur nourrice.
Pour ce qui est des berceaux, l'imagination la plus bizarre, la fantaisie la plus baroque et d'ailleurs la plus malfaisante, semble avoir présidé au choix de beaucoup d'entre eux. Au Canada, les mères déposent l'enfant dans une hotte dont elles passent les courroies autour de leurs épaules. Ainsi chargées, elles cheminent lestement; aux stations, la hotte est attachée et posée contre un arbre, une pierre ou accrochée à une branche. Les Lapons enfouissent l'enfant sans langes dans une espèce de sabot rempli de mousse. Certaines tribus de l'Amérique du Sud dans une jarre remplie d'herbes le malheureux nourrisson, dont on ne voit plus sortir que la tête. Ainsi emprisonné, il est bien forcé de se tenir tranquille, et les parents peuvent s'absenter librement. On fixe cette cage par des lanières de cuir à quatre piquets plantés en terre, et le nouveau-né reste ainsi suspendu comme dans un hamac. En Finlande, on met l'enfant en caisse et on l'accroche au plafond. Dans de nombreux villages russes, la caisse ou git l'enfant est entièrement recouverte d'épais rideaux, voire même de peaux de bêtes; dans ce cas, le berceau devient un véritable étouffoir.


Berceaux en usage, jusqu'en ces dernières années dans la Savoie et dans l'Ariège.

Des sortes de cages de bois ou d'osiers, où l'enfant était comme
emprisonné, tels étaient encore, il y a peu de temps, les berceaux
 en usage dans certaines de nos campagnes. Grâce aux progrès
de la médecine, on a rompu avec ces déplorables erreurs. Placés
dans une chambre, aussi vaste et aussi aérée que possible,
les berceaux modernes permettent au nouveau-né de se mouvoir
 et de respirer librement
.




Il y a pis. Une tribu d'Indiens de l'Amérique du Nord, les Têtes-Plates, a réussi à faire du berceau un complet instrument de torture, où tout est combiné pour le supplice du nouveau-né. Ce berceau creusé dans un bloc de bois, possède une sorte de levier élastique qui, placé à la hauteur de la tête de l'enfant, comprime fortement son front*. De plus, le malheureux est ligoté étroitement par des bandes qui passent d'un côté à l'autre du berceau et s'enroulent autour de lui.

Préjugés populaires et coutumes dangereuses.

Que l'enfant vienne à tomber malade, à quels étranges remèdes va-t-on le soumettre? La tendance populaire consiste toujours à attribuer le mal, non pas à des causes naturelles, mais à des origines mystérieuses: on croit que tout un peuple fantastique d'esprits, de goules, de stryges, rôde autour de l'enfant; pour le préserver des maléfices, on lui fait porter des colliers composés de gousses d'ail, de plantes et de pierres. La Bretagne est la terre classique des sortilèges et des opérations cabalistiques; les paysans y sont fermement convaincus qu'en attachant au cou d'un nouveau-né un morceau de pain noir, les génies, voyant qu'il est pauvre, s'écarteront de lui et ne lui feront pas de mal. Ou bien, on lui fait un collier de têtes de vipères ou de pattes de taupes arrachées à l'animal vivant.
Ce dernier remède préventif n'est que malpropre; certaines coutumes sont des plus dangereuses. Qu'on en juge par celle-ci: aux environs de Quimper, on plonge le bébé dans les eaux glacées de la fontaine Sainte-Candide afin de renseigner les parents sur la vigueur de leur enfant*. Si le pauvre petit étend les pieds, c'est le signe qu'il vivra; s'il les retire, c'est qu'il mourra prochainement. Autrefois, au Japon, on procédait de façon analogue: les bonnes femmes prenaient dans la bouche de l'eau froide et la lançaient avec force contre le nouveau-né. S'il criait, c'est qu'il était robuste; s'il se taisait, c'est qu'il était voué, à une fin précoce, et on l'exposait.


Le supplice du maillot tel qu'on l'infligeait à un nouveau-né
au XVIIIe siècle dans le Morbihan
.



Voilà, direz-vous encore, toutes sortes d'absurdes pratiques qui ne peuvent se rencontrer que dans les milieux primitifs, dans des coins de campagne ou dans les classes les plus ignorantes de la société.


Comment on emmaillotait les enfants au XVIIIe siècle
 dans la Charente-Inférieure.

Quelle différence entre le maillot ancien, longue bande de
toile serrée par des cordons, où l'enfant était pour ainsi dire ligoté,
et le maillot moderne, ample, large, où les membres du nourrisson
sont à l'aise et ne se déforme pas!




Hélas! c'est à peine si, hier encore, dans les milieux instruits, dans les classes aisées, on commettait de moindres erreurs. Quelle ignorance dans les soins à donner à l'enfant! Que d'imprudences commises! Et souvent quel luxe de précautions maladroites produisant un effet à rebours de celui qu'on attendait! Elevait-on un enfant au biberon? on lui laissait, rivé aux lèvres le long tuyau de caoutchouc tout encrassé*. Les règles de la propreté n'étaient qu'à moitié observées, ce qui équivaut à ne pas les observer du tout: ainsi, on respectait scrupuleusement les croûtes qui se formaient sur la tête du bébé. La dentition passait pour un moment des plus critiques et l'on abusait alors d'une foule de teintures mirifiques, de sirops ou de pommades aux propriétés prétendument souveraines; ces drogues ne faisaient jamais de bien, mais elles faisaient souvent du mal; on estropiait l'enfant littéralement; car on ne savait pas que les membres de l'enfant ne sont soutenus que par des os flexibles, sans résistance, on s'évertuait de mille façons à faire marcher le tout jeune bébé; aussi, par la suite, avait-il souvent les jambes torses. 



Tourniquet pour apprendre aux enfants à marcher, en usage
jusqu'à nos jours dans la Nièvre, la Bretagne et beaucoup d'autres provinces.

Comme on ne savait pas que les membres des tout petits enfants
 ne sont soutenus que par des os flexibles et sans résistance, on s'évertuait
 à les faire marcher trop tôt; aussi, par la suite, avaient-ils souvent
les jambes torses.



On l'anémiait à plaisir, on l'affaiblissait comme de parti pris; car ce qu'on craignait par dessus tout, c'était l'air frais; presque jamais on n'ouvrait les fenêtres de la chambre où vivait le petit être; s'il devait sortir, on le couvrait de vêtements épais et accablants. Ni l'air qui vivifie, ni la propreté qui écarte les germes morbides.
Pour résister à un régime aussi peu conforme aux principes de l'hygiène, il fallait que l'enfant fût robustement constitué. Le fait est que ceux-là seuls résistaient dont l'âme était comme on dit "chevillée au corps" et une statistique de M. Bertillon nous apprend que récemment encore la mortalité des enfants dans la première année égalait celle des vieillards qui ont atteint ou dépassé quatre-vingt ans.

Principes de l'hygiène que prescrit la science moderne.

C'est avec ces pratiques déplorables que nous sommes enfin arrivés à rompre.
Aujourd'hui la médecine, en se conformant aux plus récentes découvertes de la science, guide la mère dans les soins qu'elle prodigue à son enfant. Au bébé nous donnons la chambre la plus vaste et la mieux aérée, car nous savons qu'il a besoin de plus d'air et de lumière qu'un adulte. Pas de rideaux aux fenêtres, ni aux portes, pas d'alcôves fermées, pas de tapis, car tous ces ornements de la pièce sont des nids à poussière et, par suite, à microbes. Dans un coin, à l'abri des courants d'air, se trouve le berceau à claire-voie, en fer, en bois ou en osier. Et comme la coquetterie ne perd jamais ses droits, nous l'avons garni de jolis petits rideaux en gaze ou en mousseline qui laissent passer l'air et filtrent la lumière. En outre, nous avons eu la précaution de le placer de telle sorte que le bébé reçoive la lumière par derrière ou en face; si elle lui arrivait de côté, il pourrait contracter l'habitude de loucher.
La toilette du bébé lui-même est complètement modifiée. De l'ancien maillot le nouveau n'a que le nom; il est maintenant ample, large; l'enfant y est à son aise, peut mouvoir ses petits membres, qui se développent librement et ne se déforment pas. L'eau et le savon ne sont plus des ennemis. Bébé chaque matin prend son bain, un bain tiède, et on le savonne. Sa tête est propre et aucune croûte ne dépare sa petite figure*. Ses jouets même sont soigneusement choisis; comme il a la mauvaise habitude de porter tout à sa bouche, il pourrait se blesser avec un jouet pointu, s'empoisonner avec ceux colorés à l'aide de sels de cuivre, de plomb ou d'arsenic. Le voici qui grandit; sur une couverture étendue par terre, il se traîne à quatre pattes: c'est le moyen de fortifier ses muscles et sa colonne vertébrale. Tout seul, il apprendra, d'abord à se tenir debout, ensuite à marcher; ainsi, tout se fera peu à peu, sans hâte, c'est à dire de façon normale.

Le premier devoir d'une mère.

Aussi bien, pour réaliser ce développement normal, ce progrès régulier de l'enfant, une condition prime toutes les autres, celle de la nourriture. Or, le seul aliment qui lui convienne tout à fait, le seul qu'il puisse digérer facilement, absorber sans danger, c'est le lait de la mère. Dans ce lait seulement, il trouve sous une forme simple les matériaux nécessaires à sa nutrition et à son développement. Tout autre aliment provoque chez lui des troubles digestifs qui souvent se terminent par la mort. De là vient l'impérieux devoir, qui s'impose à la mère, de nourrir son enfant. C'est une loi naturelle, et quand on rompt les liens que la nature, toujours prévoyante, a établis entre la mère et l'enfant, celui-ci paye souvent de sa vie cet abandon. C'est une vérité dont les exemples ne sont que trop nombreux et trop frappants. Au siècle dernier, à l'hôpital d'Aix, l'année où l'on se mit à nourrir les enfants avec du lait de vache et de chèvre, pas un seul ne dépassa quatre mois. Vers la même époque, à Rouen, on comptait, après un court espace de temps 5 enfants survivants sur 132 soumis à l'alimentation artificielle. A Moulins, en 1835, le nombre de nouveau-nés admis à l'hôpital fut de 128, tous élevés avec du lait de vache; 28 seulement échappèrent à la mort. Sans doute, depuis le siècle dernier des progrès ont été réalisés qui rendent moins funeste l'allaitement artificiel; et pourtant, aujourd'hui encore, les statistiques nous apprennent que, dans la première année de la vie, la mortalité des enfants nourris par leur mère est de 15 pour 100, tandis que celle des enfants élevés au biberon est de 32 pour 100. En face de tels chiffres, on comprend l'exactitude de ce mot effrayant: "le biberon a tué plus d'enfants que la poudre à canon n'a tué d'adultes." Et il n'est pas besoin d'insister davantage pour prouver quelle lourde responsabilité assume la mère, lorsque, sans avoir d'empêchement absolu, elle se refuse à nourrir son enfant. Elle l'expose à perdre cette vie qu'elle vient de lui donner!
Inversement, on a vu des enfants débiles, sauvés et arrachés à la mort par le lait maternel. ce prodige a inspiré à Victor Hugo quelques-uns de ses plus beaux vers:

Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d'amour
Prodigués pour ma vie en naissant condamnée
M'ont fait deux fois l'enfant de ma mère obstinée...
Oh! l'amour d'une mère! amour que nul n'oublie!
Pain merveilleux qu'un Dieu partage et multiplie.

Aussi bien, l'obligation pour la mère d'allaiter ses enfants était-elle inscrite dans la loi même. Au moyen âge, les femmes de la plus haute naissance se faisaient une gloire de nourrir leurs nouveau-nés. Comme une dame de la cour ayant donné son lait au petit Louis IX, pendant une indisposition de la reine Blanche, celle-ci,  l'ayant appris, introduisit son doigt dans la bouche de son fils, et lui fit rejeter le lait. "Je ne supporterai pas, dit-elle à son entourage étonné, qu'une autre femme usurpe mon droit de mère."

La question des remplaçantes.

Ce devoir de nature, la mère en est souvent détournée par les exigences de la vie mondaine. C'est ce qui eut lieu au XVIIIe siècle. L'allaitement maternel non seulement passait pour une corvée, mais était regardé comme ridicule.
Tout à coup, vers le milieu du siècle, brusque changement et revirement complet. Pour une mère, nourrir son enfant  est devenu subitement une élégance, "une mode"; et les jeunes mères, s'empressant de se mettre à la mode, se passionnent pour le rôle qu'elles avaient si longtemps négligé. C'est ce qu'attestent les œuvres d'art contemporaines. Les artistes tels que Baudoin, Lawrence, se plaisent à composer de petits tableaux où la mère entoure de soins le joli bébé rose et où sont célébrées, ainsi que dans l'une des plus fameuses de ses toiles, les Délices de la Maternité*.


"La Jeune Mère". Tableau de Fragonard.

Vers le milieu du XVIIIe siècle, sous l'influence de J.J. Rousseau,
 on revint  à la "nature", à ses sentiments et à ses émotions. Suivant
 la mode de cette époque, la jeune mère se fait peindre, dans sa joie
et son triomphe, tenant auprès d'elle ses enfants auxquels elle prodigue
les soins les plus tendres.



Cette révolution dans les mœurs avait été le résultat immédiat des conseils éloquents donnés par un écrivain: un livre, l'Emile de J-J Rousseau avait opéré ce retour si salutaire. Rousseau y prononçait un véritable réquisitoire contre les femmes qui cherchaient à se soustraire à leur principal devoir. Il fit cette merveille, de rapprendre aux mères l'amour maternel.


"La Jeune Mère" D'après le tableau de Lhermitte.

Nourrir elle-même son enfant chaque fois qu'elle le peut est pour
la mère le premier des devoirs. Quelle joie n'éprouverait-elle
pas en voyant s'épanouir sous ses yeux le petit être auquel
son lait donne la force et la santé!
(Communiqué par MM. Manzi, Joyant et Cie)



En certains cas, et à défaut de la mère empêchée, on confira l'enfant à une nourrice. Mais ce système des "remplaçantes" a toute sorte d'inconvénients, dont il nous suffira de signaler le premier et le plus grave. "L'allaitement mercenaire, écrit le Dr Marfan, est souvent la cause de la mort de l'enfant de la nourrice. La femme qui veut se placer comme nourrice emporte avec elle son enfant dont l'état de santé doit permettre d'apprécier ses qualités. Quand elle a trouvé preneur, cet enfant est ramené au pays sous la garde de "meneuses" qui les rapatrient par cargaisons. On les ramène dans des wagons de 3ème classe, exposés au froid et au chaud, et désormais la bouteille de lait remplace le sein maternel. Ils arrivent chez eux déjà malades, aussi la mortalité parmi eux est-elle effrayante."

Des colonies de microbes- Toutes les maladies en bouteilles.

Un dernier système consiste à élever l'enfant au biberon: c'est le plus mauvais, et d'ailleurs celui qui réserve à la mère elle-même le plus de difficultés, d'embarras et de fatigue. Tout d'abord le lait de vache est trop riche en matières albuminoïdes et trop pauvre en sucre, mais l'enfant le digère moins bien que celui de la nourrice. Ce qui est plus grave, c'est qu'il est soumis aux pratiques malhonnêtes des falsificateurs, qui l'écrèment et l'additionnent d'eau, puis, pour lui rendre de la couleur et de la densité, y introduisent de la carotte, des oignons brûlés, des pétales de souci, de la gélatine, du blanc d'œuf, de la décoction de son, des crevettes pilées, etc.



Biberons qui servaient à nos ancêtres.

De gauche à droite: 1- Biberon en bois tourné (Sarthe). 2- Biberon gallo-romain.
3- Biberon en grès du Midi. 4 et 5- Biberon bouteille en verre. 6- Biberon creusé dans un morceau de bois (Ariège). 7 et 8- Biberons en faïence XVIIIe siècle.
 9- Biberon en fer blanc. 10- Biberon fait d'une corne percée. 11-Biberon en
faïence (Bretagne). 
(Communiqués par Mme Landrin. Photographies d'après les objets originaux réunis par Mme Landrin pour l'exposition universelle de 1900)



Encore cela ne serait-il pas le plus grave, mais le lait de vache versé, transvasé dans des pots, des cruches, des bouteilles souvent malpropres, se peuple de microbes. Ainsi, dans du lait trait à six heures du matin, M. Miquel a trouvé, deux heures plus tard, 9 000 microbes par centimètre cube. Sept heures après, il y en avait 60 000; quinze heures après la traite, 100 000 à une température de 15 degrés, et 72000 000 à 23 degrés, car plus la température est élevée, plus rapidement se multiplient les microbes. Parmi ces microbes, quelques-uns, en décomposent le lait, formant des poisons violents, des toxines qui provoquent chez les enfants des maladies, par exemple le choléra infantile, et telle est la principale cause de la mort si fréquente des enfants élevés au biberon.
A côté de ces microbes déjà si dangereux, il en existe d'autres que l'on nomme pathogènes, parce qu'ils sont capables de produire une maladie déterminée, comme la tuberculose, la fièvre typhoïde, la diphtérie, etc. Le docteur Brouardel a cité l'exemple d'un couvent où cinq pensionnaires de quatorze à dix-sept ans sont mortes de tuberculose. De même, le choléra, la fièvre typhoïde, la rougeole, la scarlatine, peuvent se transmettre par le lait de vache. On évalue à 700 le nombre de personnes qui ont succombé en Angleterre à la diphtérie contractée de cette façon.
Pour éviter ces dangers, le lait doit être stérilisé à une température de 100 degrés au moins, et le biberon lavé  avec un soin méticuleux. L'appareil de Soxhlet*, où l'on peut faire bouillir le lait contenu dans plusieurs biberons, facilite ces diverses manipulations. Toutefois sachons bien que ce mode d'alimentation n'est qu'un expédient.
Suivre les indications de la nature, telle est, en effet, la loi qui s'impose. Donner à l'enfant le lait de la mère, le laisser se développer librement, absorber l'air et la lumière, voilà le grand secret. Bien loin de chercher à réformer ou corriger l'œuvre de la nature, le rôle du médecin se borne ici à la surveiller, afin qu'elle s'accomplisse sans trouble.


Une manière commode mais cruelle de faire tenir les bébés tranquilles.

Lorsque dans certaines régions du Midi, les parents partaient,
ils laissaient l'enfant planté debout dans un tronc de bois évidé.




Lectures pour tous, Paris, hachette et Cie, 1908.


* Nota de célestin Mira:

* Déformations crâniennes:

Allongement:


Crânes allongés du Pérou.

Il semble que ces déformations pratiquées dès la naissance
aient été réservées à des personnes de rang social élevé.



Front fuyant:


Le Crâne toulousain.

Ce type de déformation crânienne volontaire, fréquent dans
la région de Toulouse a perduré en France jusqu'à la
première guerre mondiale.





La dame de Dully (Suisse)

Reconstitution numérique 3D de la tête au crâne déformé d'une
femme burgonde du Ve siècle après JC, retrouvée dans
une nécropole à Dully
.


* Enfants emmaillotés:



Nativité (détails) Giotto di Bondone, 1306.




* Indiens Têtes-Plates:



Indiens Têtes-Plates d'Amérique du Nord.

On voit sur ce dessin, un bébé, emmailloté et sanglé, dans un berceau
de bois muni d'une planche lui compressant la tête. Les adultes portent
 tous les stigmates de ce traitement, d'où ils tirent leur noms de
Têtes-Plates (Flat Heads).


* Fontaine Sainte-Candide:



Saint Candide aurait fait jaillir l'eau de la terre qui donna naissance
 à cette fontaine.

C'est dans cette eau que les nouveau-nés étaient
 plongés afin de leur assurer la vigueur et la longévité.
Cette eau avait aussi la réputation de guérir certains
 maux comme la fièvre et les problèmes oculaires.
(Source: Fontaines de France)


* Biberon:



Les biberons munis d'un long tuyau eurent beaucoup de succès
au XIXe siècle car ils permettaient aux bébés de boire tout seul,
mais le nettoyage du tube était très difficile. Ils furent surnommés
les "biberons tueurs d'enfants".


*Hygiène de l'enfant:


Avant le XIXe siècle.



Le devoir paternel, Adriaen Brouwer, 1631.

Les bébés étaient changés une fois par semaine ou moins. On se contentait
de l'essuyer sans eau ni savon. Parfois, on lui saupoudrait les fesses avec
des débris de bois vermoulu. Les langes souillés étaient étendus devant la cheminée, sans être lavés, l'urine jouant le rôle, croyait-on, de désinfectant.
(Source: "Les petites mains" histoire de mode enfantine.)



Une mère faisant la toilette de son enfant au XVIIIe siècle.
Une autre enfant plus âgée, fait sécher la couche mouillée
devant la cheminée.


Au XIXe siècle:







La toilette au baquet.



La toilette dans un tub, ancêtre du réceptacle de douche.


* Les délices de la maternité:



Un accouchement en 1889 en Pennsylvanie.


Les délices de la maternité gravé par Isidore Stanislas Helman.




Portrait de femme par Adélaïde Labille Guiard.



Jeune mère ou Maternité par Puvis de Chavannes.




Berceau par Berthe Morisot.


* Appareil de Soxhlet:






Stérilisateur de biberons vers 1880.


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