mardi 3 octobre 2023

Les machines à coudre

avec

 chiens moteurs. 


Une grande infortune menace les caniches et autres espèces canines.
Depuis la création, ces fidèles compagnons de l'homme l'accompagnaient à la chasse, le gardaient la nuit, veillaient au troupeau, jappaient sur la diligence ou charmaient les loisirs des dames qui leur font des paletots d'hiver et d'été.
Ces diverses fonctions ne manquaient point de charme.
Un cruel inventeur vient d'imaginer une machine à coudre dans laquelle un caniche (c'est le meilleur marché et le plus sobre des chiens) est enchaîné sur une stalle au-dessus de la roue motrice. Un mécanisme permet de pousser la stalle en arrière, et le caniche, se trouvant ainsi jeté sur le versant de la roue du côté de sa queue, est exposé à glisser et il se met aussitôt à trotter en avant; la roue tourne, et plus le chien est en arrière, plus son poids s'ajoute au mouvement de ses pattes pour accélérer l'impitoyable machine.




Bientôt, l'animal est haletant, sa langue sort; alors, il la rafraîchit dans une écuelle élégamment disponible en avant de son supplice.
De temps en temps, on arrête la couture, et le pauvre coureur se repose au sommet de sa roue, en attendant que cette roue de Danaïdes reprenne sa marche insensée.
On s'aperçoit que le chien devient enragé quand son écuelle d'eau lui fait horreur, et comme il est attaché, on peut alors l'abattre sans danger.
L'origine de cette découverte a été une pensée d'humanité. M. Richard, qui confectionne les uniformes militaires et emploie une armée de machines à coudre, a reconnu que ces dernières une influence délétère sur les ouvriers qui les font marcher.
Il essaya divers moteurs mécaniques; mais le profit est si petit, que le moteur le plus économique mangeait la moitié du bénéfice, lorsqu'il imagina, comme complément des machines couturières, les chiens tailleurs qui travaillent beaucoup et mangent peu. Aujourd'hui, les beaux uniformes de nos soldats sont confectionnés par des caniches sous la haute surveillance de qui de droit.
Que la guerre entraîne après elle de souffrances! Pauvres caniches, que vous deviez envier la niche, dans laquelle les bouledogues et autres préparent de la mauvaise humeur pour la nuit.

Le Pèlerin, 17 avril 1880.

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