mardi 3 octobre 2023

Ceux dont on parle. 


M. Albert Brasseur.


M. Albert Brasseur a, comme on dit, de qui tenir: son père a, le premier, rendu ce nom célèbre en jouant au Palais-Royal. Il a dans la suite fondé les Nouveautés, où il a accueilli son fils, en 1879, au sortir...  du conservatoire? Non: du lycée Condorcet. Car M. Brasseur est, s'il vous plait bachelier, et l'uniforme de collégien lui allait sans doute fort bien puisqu'il ne voulut pas le quitter sur la scène et débuta dans un rôle de potache de Fleur d'oranger, où il remporta un vif succès grâce à sa voix aigre et discordante qui, tout est relatif, lui aurait assuré ailleurs, et par exemple à l'Opéra, un four honteux.




Depuis ses créations ont été innombrables.
Le succès de Brasseur n'est pas dû à des moyens tirés de la grosse farce, comme ceux qu'emploient couramment MM. Footit et Coquelin Cadet. Son jeu est simple et ne manque pas trop de naturel, de ce naturel qu'on ne voit qu'au théâtre. Une pointe d'émotion s'y mêle à l'occasion. En somme, Brasseur a tout juste le degré de finesse voulu pour être compris immédiatement des boulevardiers, gens qui sont généralement ménagers de leur matière cervicale, tout en donnant à ces esprits candides le sentiment qu'ils assistent à des prodiges de subtilité.
Brasseur doit plusieurs de ses meilleurs rôles à M. Ladevan, qui faisait d'excellentes pièces, quand il les écrivait en argot. Cet acteur joue avec un art consommé les personnages de viveurs.
Mais il ne faudrait pas croire qu'à force d'imiter des pantins, il se soit vidé la cervelle. M. Brasseur est un esprit distingué. Il se donne tout à son art, mais il ne se laisse pas absorber par lui. Il sait occuper ses loisirs autrement qu'en jouant au billard ou en buvant des bocks. Il a des distractions intellectuelles et raffinées. On pouvait le voir, il y a un an et demi, pendant les entr'actes, procédant dans sa loge, à l'introduction de grains de blé dans un litre en verre. A première vue, ce travail ne semble pas présenter un intérêt bien captivant, mais il faut savoir qu'il était motivé par un concours dont le gagnant devait être celui qui indiquerait le nombre exact de grains de blé contenu dans un litre rempli jusqu'à une certaine hauteur. Il y avait donc un réel intérêt, un intérêt presque scientifique, à trouver ce chiffre, et M. Brasseur avait inventé des petites boîtes servant au remplissage du litre. Il fut récompensé de ses efforts et gagna une garniture de cheminée, imitation vieux bronze, d'une valeur de 7 fr. 50, qui lui causa une fierté légitime: il ne manifesta qu'un regret, c'est de n'avoir pas fait la même opération avec des grains de sable, dont le dénombrement eût été encore plus difficile.
Bien que de pareils passe-temps n'annoncent pas un tempérament très belliqueux, M. Brasseur est officier de réserve. Il l'est aussi d'Académie du Nicham Iftikhar.

                                                                                                      Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 30 janvier 1905.

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