lundi 25 septembre 2023

Le redresseur de nez et

le raccommodeur d'oreilles. 


Que les gens dont l'âge a fatigué le visage ou dont les traits sont plus ou moins imparfaits se consolent. On a trouvé les moyens de dissimuler ou du moins d'atténuer les traces de la vieillesse comme de remédier aux imperfections de la physionomie. Bientôt, même, avec les progrès apporté chaque jour dans cette thérapeutique, il n'y aura plus ni vieillard, ni gens laids. Tous beaux, ou presque, tous jeunes, ou avec l'apparence de la jeunesse. Nos lecteurs vont pouvoir en juger. Mais en ont-ils besoin?

Les oreilles d'un caissier.

L'histoire qui suit se passa il y a quelques années dans une des grandes usines des environs de New-York. Un nouveau directeur y faisait sa visite officielle et passait la revue du personnel, quand son attention fut attirée par l'un des employés présents, attaché à la comptabilité. La tenue de cet employé était parfaite; il avait seulement le désavantage, important comme on va le voir, de posséder des oreilles décollées et grandes à l'excès, ce qui lui donnait un aspect un peu particulier. Or, le nouveau directeur avait en matière d'oreilles des idées très arrêtées. Il n'eût pas plus tôt vu cet employé, que s'adressant au chef du personnel:
- Quel est cet homme, lui demanda-t-il?
- C'est notre caissier, un homme de confiance.
- Eh bien, continua-t-il avec autorité, vous lui donnerez son congé. Regardez ses oreilles. Tout homme qui en possède de semblables à une tendance à la malhonnêteté. Cet employé peut avoir été honnête jusqu'ici, mais sûr qu'un jour il changera. Avec le poste qu'il occupe chez nous, nous devons éviter cela. Ainsi donc, je vous le répète, vous le congédierez.
Heureusement pour l'employé, il avait entendu cette conversation. C'était bien le moins, du reste, qu'avec de si grandes oreilles il entendit facilement. Il s'empressa de demander un congé d'un mois, sous prétexte d'affaires de famille, et il se rendit à la clinique de l'Institut dermato-facial, à New-York, réputé pour la correction de la physionomie, par le moyen de légères opérations de chirurgie plastique. Une heure après, il en sortait, la tête entourée de bandages, et, au bout de trois semaines il était rétabli et transfiguré. Ses oreilles étaient devenues si régulières et d'un écart si juste, qu'une jolie femme eût pu les envier. Il retourna à l'usine, où, pendant son absence, on avait vérifié ses livres, sans y trouver, comme on le devine, la moindre irrégularité. Il se retrouva devant le directeur qui avait ordonné son renvoi.
- Mais on ne vous a donc pas dit que vous étiez remercié, lui dit le directeur, sans lever la tête de dessus ses papiers.
- Mais pas du tout, monsieur, du reste je ne vois pas pour quelle raison...
- La raison, c'est que nous ne pouvons garder un employé qui a des oreilles comme les vôtres.
- Comment? Mais il me semble que mes oreilles sont comme celles de tout le monde. Monsieur le directeur peut en juger lui-même.
Le directeur leva la tête, et l'on juge de sa surprise.
- Ah! par exemple, par exemple, répéta-t-il, j'aurais juré que vous aviez les oreilles très grandes et très décollées. C'est à n'y rien comprendre.
L'employé restait sans rien dire, amusé en lui-même.
- Enfin, reprit le directeur, j'aurai mal vu. Je vous demande pardon. Vous garderez votre place.
Et le lendemain, l'employé était appelé devant le conseil des directeurs, félicité pour ses bons services, et il lui était accordé, une assez forte augmentation.
Cette petite histoire peut sembler imaginaire. Elle est cependant réelle, et montre quels préjugés on a en Amérique contre certaines oreilles. En fait, il est difficile à quiconque en possède de très grandes et très décollées, de trouver un emploi dans une maison de commerce.

La chirurgie de la beauté.

L'Institut dermato-facial de New-York possède des succursales dans plusieurs villes américaines, ainsi qu'un siège général à Londres.
L'amélioration des oreilles défectueuses est l'opération le plus fréquente. Pour les enfants, on se contente d'un bandage qui maintient les oreilles collées contre la tête et qu'on laisse un certain temps. Mais ce procédé est insuffisant le plus souvent, et l'on a recours à la chirurgie plastique.
L'opération consiste dans l'enlèvement d'une étroite bande de peau dans les replis derrière l'oreille. On obtient ainsi un petit sillon dont on rapproche les deux bords que l'on coud ensemble. L'épiderme se trouvant tendu oblige les oreilles à rester appliquer contre la tête.
L'opération est exécutée avec les derniers progrès de l'antisepsie et sans la moindre douleur, grâce à une anesthésie locale complète.
Au bout de huit jours, la blessure est guérie, on enlève les bandages et les oreilles du patient se trouvent transformées du tout au tout.
Après les oreilles, c'est le nez qui fournit le plus d'opérations. On sait qu'il y a cinq genres de nez: le nez romain ou aquilin, qui a quelquefois des tendances à être un peu rugueux et épais; le nez large et épais qui va en s'accusant davantage jusqu'aux narines, et qui, chez les gens âgés, est souvent bulbeux et coloré à son extrémité; puis le nez légèrement relevé du bout, qu'on appelle vulgairement "nez en trompette" ou en "pied de marmite"; et enfin, le type parfait, le nez grec, qui est absolument droit et finement modelé.
Les savants docteurs de l'Institut dermato-facial peuvent établir sur mesure le nez que l'on désire.
Il y a en ce moment sur une grande scène de Londres une actrice aussi célèbre pas sa beauté que par son talent et qui le doit pour beaucoup à l'un de ces habiles docteurs. Elle avait un nez retroussé qu'elle corrigeait chaque soir avant d'entrer en scène, à l'aide d'une sorte de mastic, ce qui lui demandait beaucoup de temps et de soins. On lui indiqua l'institut de beauté, où on lui injecta à la place défectueuse de son nez un sérum qui s'incorpora rapidement aux tissus. La dépression se combla peu à peu, et cette actrice put bientôt s'enorgueillir d'un nez parfait.
Tel encore un chanteur d'opéra, également très renommé à Londres. Il avait un nez d'une grandeur démesurée. Une admiratrice inconnue lui donna par lettre le conseil de se rendre à l'Institut. Après quelques semaines de traitement, son nez se trouva ramené" aux proportions normales.
On a beaucoup fait de réclame en ce qui concerne l'amélioration des nez, pour certaines machines à nez*. En réalité, on obtient un résultat satisfaisant que par le chirurgie plastique. Désire-t-on corriger un bout de nez trop proéminent? il suffit d'enlever une petite portion de cartilage entre les narines et de recoudre les deux bords de la section. A-t-on affaire à un nez trop charnu? On fait de petites incisions dans les tissus dont on enlève ainsi le superflu.
Dans le cas d'un nez en bec d'aigle, il faut inciser l'os et le cartilage qui forme la courbe. Cette incision s'obtient avec l'écraseur électrique. Après quoi, il est facile, au moyen d'une pression prolongée, d'obtenir un nez parfaitement droit. Toutes ces opérations sont très simples, et faites sans douleur, à l'aide d'une anesthésie locale.
Les lèvres, la bouche et les yeux sont aussi traités par les médecins de beauté. On amincit les lèvres trop épaisses, on agrandit les yeux, on rétrécit les bouches. On fait même disparaître les cicatrices des blessures, en pratiquant l'ablation de la partie défectueuse et en rapprochant ensemble les lèvres de la plaie. Il ne reste plus qu'une ligne très faible, qui disparaît vite.



Aux docteurs de beauté, la foule des laiderons reconnaissante.



Les rides, le massage de beauté.

On ne s'étonnera pas que le traitement des rides entre pour une grande part dans cette curieuse thérapeutique de la beauté. Il n'est pas une dame, en effet, qui ne s'attriste certains jours, à voir apparaître sur son joli visage ces petites lignes fâcheuses qu'on appelle les rides et qui viennent déranger la blancheur d'un cou charmant, de joues roses et d'un front très uni.
Aujourd'hui, les deux meilleurs moyens pour l'effacement des rides sont ceux-ci: avec une seringue hypodermique, on injecte dans les rides ce même sérum dont nous avons parlé à propos du nez. Les rides se trouvent ainsi comblées et disparaissent peu à peu. Le second moyen s'emploie surtout dans le cas de rides très profondes. On incise celles-ci avec soin, et l'on rapproche et coud ensemble les deux bords des coupures.
On n'ignore pas non plus qu'on émaille le visage. Cela consiste en un léger vernis que l'on étale sur la figure en laissant juste ce qu'il faut de solutions de continuité pour permettre les jeux de la physionomie. L'émaillage coûte fort cher, environ 800 à 1000 francs, et il demande en plus une vie oisive et très fortunée.
Enfin, il n'est pas jusqu'aux moindres accidents du visage, tels que taches, verrues, loupes et même le tatouage, qui sont traités avec succès par les docteurs de la beauté.

Art capillaire.

C'est la dernière partie des soins donnés à l'Institut dermato-facial. L'enlèvement de productions pileuses intempestives sur le visage est souvent demandé aux docteurs de beauté. Par exemple, des messieurs qui veulent se débarrasser pour jamais de leur barbe, ou rectifier leurs sourcils qui se rejoignent au dessus du nez. On a recours alors à la méthode électrique, la seule qui ait un résultat définitif. Une aiguille très fine est attachée à un fil qui la relie à une pile électrique. On enfonce cette aiguille à la racine des poils pendant une ou deux secondes, et le courant décompose et détruit aussitôt le bulbe capillaire.
Cette opération est seulement un peu ennuyeuse, à cause du temps qu'elle demande, mais aucunement douloureuse. Quant aux cheveux, c'est moins souvent leur surabondance, on le devine, que leur rareté qui fournit les clients à l'Institut.
Naturellement, il ne s'agit pas de faire pousser des cheveux dont le bulbe est mort; dans ce cas rien ne pourrait les faire naître. Mais si le bulbe existe encore, on peut stimuler son activité au moyen de l'électricité statique. Le client prend place sur une machine électrique qui est mise en relation avec une autre machine plus puissante, établie sur le principe de Wimshurst.
Au dessus de sa tête est suspendue une couronne de laiton reliée à l'un des pôles de la machine. Celle-ci est mise en mouvement, et, c'est à la lettre, les cheveux du client se dressent alors sur sa tête. On renouvelle l'opération à des intervalles assez rapprochés, on arrive à stimuler ainsi la croissance des cheveux.

Mon dimanche, revue populaire illustrée, 20 août 1905.

Nota de Célestin Mira:

* Réclame pour machine à nez:



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire