samedi 23 juillet 2022

Chronique du 16 janvier 1864.


Si l'hiver a commencé tard, il répare le temps perdu. Pendant les premiers jours de janvier, le thermomètre a marqué continuellement, vers six heures du matin, de huit à dix degrés au-dessous de zéro, et, dans la journée, entre cinq et six degrés. A la date du 8 janvier, le grand bras de la Seine était couvert de glaçons charriés par le fleuve, qui était presque complètement pris à Choisy-le-Roi, à la hauteur duquel les glaces, formant comme deux rives, ne laissaient qu'un petit courant entre elles. Le bras Saint-Michel, au milieu de la Cité, où le courant est très-faible, a été entièrement pris dans toute sa longueur, depuis le pont de l'Archevêché jusqu'à l'écluse de la Monnaie. Sur la haute et basse Seine, comme sur les canaux, la navigation s'est trouvée arrêtée. Les lacs des bois de Boulogne, du bois de Vincennes, les bassins des Tuileries et du Luxembourg, se sont couverts de patineurs, et les gamins de Paris ont pu se livrer au plaisir de la glissade en chantant la chanson sur Nadar, la Nadarienne, qui menace de détrôner l'Pied qui r'mue, destiné à rejoindre dans la boîte aux oublis les Bottes de Bastien, et la chanson du Mirlitire, précédée, on le sait, par le Sire de Framboisy.
A l'occasion des grands froids qui ont pris cette année, on rappelle, comme à l'ordinaire, les hivers rigoureux du passé. Puis viennent les prédictions des anciens almanachs, je ne parle pas des nouveaux, à cause de la récente déconvenue de M. Mathieu (de la Drôme). Ainsi un almanach de 1774 contient le proverbe suivant:

Les hivers les plus froids
Sont ceux qui viennent aux Rois.

La fin de décembre et le commencement de janvier ont été marqués par d'effroyables tourmentes sur la mer. Sur les côtes ouest de la France, sur la Manche, sur la mer du Nord, et vraisemblablement sur la Baltique, ont régnés des vents très-forts; sur quelques points, comme sur le littoral de Bayonne, on a vu éclater de véritables tempêtes dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier. Le nombre des naufrages a été grand en 1863. Le Shipping Gazette, journal anglais, donne le chiffre des sinistres maritimes constatés pendant cette année, il ne s'élève pas à moins de 2 604.
Sur les chemins de fer il y a eu aussi des sinistres. Des trains sont restés deux jours en détresse dans les neiges, entre Mouchard et Pontarlier, à peu de distance de Besançon. La garnison du fort de Joux a été mise en réquisition pour déblayer la voie. Sur la ligne du Nord, un grave accident est arrivé à la station de Pierrefitte. Un train omnibus, qui venait de Calais, le 5 janvier, ayant éprouvé une avarie dans la locomotive, un peu après Gonesse, a été obligé de s'arrêter à Pierrefitte, et là il a été heurté par un train omnibus venant de Bruxelles, malgré les signaux qui avaient été faits sur la voie. Cinq voitures ont été brisées; on parle de cinq voyageurs tués et de trente blessés ou contusionnés. Dieu veuille que le mal ne soit pas plus considérable encore!
Parmi les hivers les plus froids du dix-huitième siècle, pour ne pas remonter plus haut, on signale celui de 1709, où le thermomètre marqua 20 degrés 1 dixième; celui de 1716, où il y eut 18 degrés; celui de 1740, où la Seine fut entièrement prise; celui de 1776, où il y eut 19 degrés 1 dixième, et où la gelée dura vingt-cinq jours; celui de 1783, où il y eut 20 degrés, et où la gelée dura soixante neuf jours; l'effroyable hiver de 1788, où le thermomètre descendit à 22 degrés au-dessous de zéro, et durant lequel Louis XVI et Marie-Antoinette épuisèrent leur épargne pour venir au secours des pauvres; l'hiver de 1795 où le thermomètre descendit à 23 degrés 5 dixièmes au-dessous de zéro, et pendant lequel la gelée dura quarante-cinq jours; il y eut encore en 1798 un hiver fort rude: le thermomètre marqua 17 degrés, et la gelée dura trente-deux jours. Les hivers les plus rigoureux du dix-neuvième siècle sont ceux de 1812, campagne de Russie; 1820, 14 degrés 6 dixièmes; 1829-1830, 16 degrés 3 dixièmes, la Seine fut prise; 1836, 17 degrés; 1838, 19 degrés. Le dernier hiver très-rigoureux fut celui de 1840; le 15 décembre, jour de l'entrée des cendres le l'empereur Napoléon à Paris, le thermomètre marquait 17 degrés, et plusieurs personnes moururent de froid.

***

On parle d'un train de plaisir monstre qui serait organisé pour l'inauguration du canal de l'isthme de Suez. La presse parisienne en particulier, et la presse européenne en général, seraient conviées à faire partie du voyage, et un navire serait frété par la compagnie pour transporter les journalistes de toutes les opinions, de tous les pays et de toutes les langues. Si ce navire n'a pas encore de nom, nous proposons à ses parrains et marraine celui de Babel. Les anciens appelaient la Renommée la déesse aux cent voix. La renommée contemporaine, qu'il s'agisse d'embarquer pour l'isthme de Suez, en aura mille. M. Mathieu (de la Drôme) promet d'assurer un beau temps pour toute la durée du voyage; s'il y a des tempêtes à l'ordre du jour, il les enverra souffler ailleurs.

La semaine des familles, samedi 16 janvier 1864.

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