mardi 30 juin 2020

Les dieux de Violetta.

Les dieux de Violetta.


Ce que je vais vous raconter se passait quelques jours après la Révolution de Juillet, c'est à dire pendant l'âge d'or du romantisme. En ce temps-là, Paris entier avait la tête folle, mais superbement folle. Tout était au lyrisme, même chez les bourgeois. Lisez les Mémoires d'alors, vous y verrez que les femmes n'ont jamais été plus charmantes. Il n'y en avait pas une qui ne vit des étoiles en plein midi.
Il y avait à cette époque un fort galant homme, habitant la Chaussée-d'Antin. Il était notaire de son métier. Nous l'appellerons, si vous le voulez bien, maître Clypeus. Le digne homme est mort depuis quinze ans environ. Je le vois tel qu'il était dans son étude, propre, toujours rasé de frais, toujours souriant. Une bonne figure, un bon naturel, de très bonnes paroles.
On ne lui connaissait qu'un travers, celui de faire des chansons, tantôt bachiques, tantôt grivoises. Plus d'une fois, en dressant un acte de vente entre majeurs et mineurs, il s'était trompé et avait jeté des flonflons sur le papier timbré. Si maître Clypeus était membre émérite de la chambre des notaires, il tenait aussi à être membre du Caveau*, académie chantante, où il dînait régulièrement tous les mois (sept francs cinquante centimes, le vin compris.)
Maître Clypeus, notaire royal, était marié. Fort bien loti par le sort, il avait pour épouse une des plus jolies femmes de Paris.
Pour mieux voir la dame, prenez le plus joli parmi les ravissants dessins qu'Achille Devéria* laissait tomber de son prestigieux crayon. Ainsi lecteur, imaginez une femme qui soit l'expression de ces temps poétiques. Ce sera une créature, moitié Marie Dorval*, moitié Delphine Gay*. Elle aura un front d'ivoire tout rêveur, des cheveux dorés retombant en grappes sur le cou comme les branches d'un saule pleureur. Elle aura une oreille divine, comparable à une coquille nacrée. Elle aura enfin une bouche d'un dessin irréprochable, et une taille à enserrer entre deux doigts de la main.
Voilà pour l'enveloppe charnelle. Au moral, Mme Violetta aurait respiré l'air byronien du commencement de ce siècle. Elle voulait à toute force aimer et être aimée. Tout ce qui se passait d'extravagant dans le domaine de l'art la charmait au plus haut point. Vous vous le rappelez: ces lendemains de 1830 étaient tout remplis d’œuvres jeunes et enivrantes. Les statues abondaient, les romans pleuvaient, les tableaux grêlaient; le drame et la musique faisaient un bruit d'enfer. Que de source d'ivresse! Mme Violetta était particulièrement éprise de beaux vers. Ah! dame, elle était romantique depuis la plante de ses pieds de sylphe jusqu'à la racine de ses magnifiques cheveux.

Tandis que maître Clypeus, tout entier à la goguette, faisait des couplets à boire sur l'air de la Calpigi* ou bien sur cet autre rythme: J'en guette un petit de mon âge,  rêveuse, distraite et pensive, accoudée sur l'oreiller de velours vert d'un sofa, la jeune belle dévorait d'un régal d'esprit toutes les stances du jour: les Harmonies*, les Feuilles d'automne*, Eloa*, les Iambes*, les Contes d'Espagne et d'Italie* et tout l'orchestre  prosodique d'alors, le plus bel épanouissement lyrique qu'on ait jamais vu dans aucun autre temps ni dans aucun autre pays.
En Ève de Paris qui s'entend à mêler le positif à l'idéal, Mme Violetta, s'élançant toute éveillée dans ses rêves d'amour, allait par la pensée des œuvres aux artisans. Après avoir lu des vers, elle se représentait les virtuoses qui les avait forgés. Elle passait donc de toutes ces strophes ailées à ce vaillant bataillon de bardes, presque tous jeunes alors.
Or, pour donner encore plus de consistance à sa pensée, Mme Violetta, pieuse jusqu'à l'idolâtrie, avait changé son boudoir en une sorte de temple. Pradier* et David (d'Angers)*, dans la plénitude de leur génie, avaient tirés de la glaise le figure de tous les contemporains illustres. Vingt statuettes de plâtre étaient donc alignées sur la cheminée et sur les étagères, le front couronné de lauriers et de fleurs. A cette collection il ne manquait pas un des demi-dieux en vogue, pas un surtout du cénacle.
Quels beaux petits dieux c'était là! Comme ils avaient les yeux allumés! Que leur front était hardi! Que de promesses on lisait couramment sur leurs lèvres entr'ouvertes par l'éloquence ou par la volupté! Charme, subjugué, maître Clypeus avait très volontiers passé tout cet assortiment de célébrités à sa jeune femme.
- Au fait, disait-il, à chacun son passe-temps. Pendant que je vais chatouiller la muse de la gaudriole au Caveau, pourquoi ne viendrait-elle pas dans sa jolie chapelle faire ses dévotions à ses dieux, à elle?
Ces dieux d'argile, Mme Violetta les aimait tous avec ferveur; mais, à l'user, elle finissait par voir qu'ils n'étaient tous qu'une vaine image. Plus elle grandissait, plus elle était belle, et plus elle sentait son cœur s'épandre en flammes trop comprimées. Un jour vint où le plâtre ne pouvait plus lui suffire, il lui fallait des dieux vivants, agissant, parlant, aimant.
Il en était un, en première ligne, dont la gloire avait frappé au plus haut point cette imagination de blonde néophyte. C'était... mais non. Taisons-nous, parce que, au bout du compte, comme tous les immortels, il porte un nom redoutable. Les vers de celui-là, vers héroïques, vers d'amour, vers imprégnés des incendies du ciel d'Orient, elle les savait pas cœur et les récitait à tout propos comme un nourrisson du Conservatoire le fait pour son morceau de bravoure.
- Ah! s'écriait maître Clypeus, ravi jusqu'au septième ciel, quelle femme artiste que ma Violetta! En septembre, la grive d'Argenteuil se soûle  de raisin noir. Toute l'année Violetta se grise avec la mousse de champagne des belles rimes. Elle sait tout ce grand poète sur le bout du doigt.
Oui, elle le savait, sans en rien omettre; mais il lui tardait de l'approcher, de l'entendre, de lui parler. Dans ses desiderata, elle allait jusqu'à souhaiter de mettre sa petite main de femme gantée de blanc dans la main marmoréenne de ce titan de la poésie.
Pour y parvenir, elle s'était faufilée où l'on assurait que le géant de l'inspiration daignait se montrer. Ce que femme veut, Dieu le veut. On l'avait présentée dans dix salons divers. Est-ce qu'une jeune et belle notairesse n'est pas de celles que l'on reçoit partout? Elle avait su pénétrer chez des gens de finance; mais le poète n'y mettait jamais les pieds. Elle avait pu s'introduire très honorablement, chez des artistes en vedette; mais le parfileur de beaux vers ne s'y montrait que quelques minutes, et le hasard voulait qu'elle ne se trouvât pas là pendant ses apparitions. Que vous dire? l'obstacle ne faisait qu'exciter son envie.
- Comment! ne le rencontrerai-je donc jamais? disait-elle en gémissant. Est-ce que je suis ensorcelée?
Et, dans la posture de Phèdre irritée par le dépit, elle récitait à haute voix une élégie ou une ode du maître.
Un jour, le hasard, cet habile joueur d'échecs, machina la situation de telle sorte que maître Clypeus eut une signature à demander au dieu. Une machine notariale à parapher. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'en présentant la plume à l'auguste poète, il sut obtenir qu'il promit de passer une soirée chez lui.
Grand poète, saviez-vous qu'il y eût dans la maison une notairesse blonde, blanche et éthérée? Saviez-vous que cette âme rêveuse raffolât de vos œuvres? mettons que vous avez ignoré ce charmant détail.

Toujours est-il que le dieu daigna venir. Il descendit donc de cabriolet, et ce fut pour l'intérieur de maître Clypeus un jour de fête. La résidence bourgeoise éclairait comme un palais. Un autre Jupiter se montrait, sans ses foudres, chez un autre Amphytrion.
Si j'avais à la main la plume de colibri que Léon Gozlan* faisait si bien courir sur le papier, je vous dirais l'émoi de Violetta au moment où l'illustre visiteur fit son entrée. Mais, faute de ce don, je raconterai les choses plus naïvement. La notairesse trembla, pâlit, rougit, salua, balbutia, le tout en dix secondes; puis elle se remit et, finalement, elle recouvra un peu de sang froid, en voyant que, par bonheur, les dieux sont parfois faits comme les autres hommes. 
Pourtant, elle tenait à son culte.
- Puisque vous nous avez fait l'honneur de venir dans cette humble maison, dit-elle au poète, il faut que vous sachiez tout, il faut que vous voyez tout.
Et, en donnant ordre à maître Clypeus et aux autres de rester à l'écart, elle entraîna le géant dans son boudoir, je veux dire dans son temple.
Aussitôt que le seuil fut passé et la porte close, il vit que sa propre statuette était placée là comme une idole dans un sanctuaire. Mais il ne s'y trouvait pas seul. Vingt autres idoles de seconde grandeur l'entouraient comme l'aurait fait une foule vulgaire et importune. Cette pensée fit sans doute passer un nuage noir sur son vaste front;
- Permettez, maître, lui dit Mme Violetta. Ces pygmées ne sont tous là que pour bien faire ressortir votre grandeur. Au surplus, si leur présence vous gêne, elle ne vous gênera pas longtemps.
En disant ces mots, elle s'empara d'un petit marteau d'argent.
Cet ustensile de démolition, elle l'agitait de la main droite tandis que, de la main gauche, elle tenait le dieu par le bras; puis, passant en revue toutes les autres divinités de plâtre, elle ajouta, sous forme de flatterie:
- Toutes vont tomber, l'une après l'autre, sous mon marteau. Tenez, voilà Chateaubriand. Eh bien! que l'auteur de René soit brisé!
Et, en effet, sous le coup de marteau impitoyable, le petit grand homme de Saint-Malo vola en éclats.
- Voici Béranger, reprit-elle. Cassé! Voici Casimir Delavigne. Cassé! cassé! Voici Lamartine. Brisé! brisé, le chantre du Lac! Alfred de Vigny, Alfred de Musset, Sainte-Beuve, Méry, en pièces, tous les quatre! Auguste Barbier, Emile et Antony Deschamps, Théophile Gautier, je les anéantis de même! Edouard Turquéty, Jules de Saint-Félix, Charles Nodier, le poète de la prose, pulvérisés comme les autres!
- Mais, s'écria le poète, de plus en plus ému; mais, madame!...
- Mais, maître, il n'en reste plus qu'un, et c'est vous!
Ici le titan la regarda fixement entre les deux yeux. Il avait tout compris.
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Lorsqu'il vint retrouver le notaire:
- Eh bien, maître, s'écria M. Clypeus, que dites-vous de l'Olympe de ma femme?
- Ce n'est pas un Olympe, monsieur, répondit sentencieusement le poète, c'est un Eden, où je suis le seul qui ai eu le bonheur de ne pas avoir eu le nez cassé.

                                                                                                            Philippe Audebrand.

La Vie populaire, jeudi 2 juillet 1885.

* Nota de Célestin Mira:

* Caveau: la Société du Caveau, créée en 1729 à Paris, rue de Buci, était une société bachique, chantante et littéraire.

Société du Caveau en 1807.

* Achille Devéria connu pour ses portraits et ses nombreux dessins érotiques.

Achille Devéria: Jeune femme.



* Marie Dorval: elle fut une des actrices les plus célèbres du XIXe siècle dont les aventures sentimentales furent multiples.

Extrait d'une lettre d'Alfred de Vigny à Marie Dorval:
"Tiens, voilà ce que ta main devrait faire ou plutôt ton corps
tes cuisses brunes et je devrais sentir mes cheveux sur les tiens
et sur mes poils..."

* Delphine de Girardin, née gay est une femme de lettre dont le salon fut très fréquenté, entre autre par Balzac, Musset, Hugo, Lamartine, Litz, George Sand, etc...

Delphine Gay de Girardin.

* Air de Calpigi: à l'origine, il s'agit de l'air Je suis natif de Ferrare, tiré de l'opéra Tarare de Salieri (1787) chanté par Calpigi, chef des eunuques et esclaves européens.




* Les Harmonies poétiques et religieuses: poème d'Alphonse de Lamartine publié en 1830
* Les Feuilles d'Automne: poème de Victor Hugo.
* Eloa ou la sœur des Anges: poème d'Alfred de Vigny.
* Les Iambes: poème d'André Chénier.
* Les contes d'Espagne et d'Italie: poème d'Alfred de Musset.

* Jean-Jacques Pradier dit James Pradier est un sculpteur et peintre français.

James Pradier: femme retirant sa chemise.

* Pierre-Jean David d'Angers est un sculpteur et médailleur français.

David d'Angers: jeune fille grecque.

* Léon Gozlan est un écrivain français.


samedi 27 juin 2020

Le mangeur de rêves.

Le mangeur de rêves.


Une exception? Non pas. Ils sont nombreux déjà, très nombreux, et seront bientôt innombrables si l'histoire que je vais raconter, ne galvanise pas, par l'épouvante et l'horreur, le ressort de leur vie énervée, ne fait pas se redresser leur volonté gisante.

I

Il s'en va par la ville, le menton sur la poitrine, les bras abandonnés. Cinquante ans sans doute. Mais les plus las quinquagénaires, ceux qu'a le plus exténués, rompus, avilis l'immonde et laborieuse débauche, n'ont pas cette démarche vague, errante, qui chancelle, tâtonne l'air, s'appuie aux murs. Dans ses yeux démesurément ouverts, fixes, dont on ne voit jamais se baisser les paupières, deux agates jaunes, sans lueur, il y a l'hébétude nulle des yeux des vieux aveugles. En face de tout, ils semblent ne rien voir, ils sont comme morts: c'est comme la contemplation du néant par le néant. Sa face, d'un jaune lisse, dont la peau très tendue n'a pas un pli vivant, ressemble au visage d'un cadavre que l'on tarde à inhumer, fait songer aussi à une tête de mort, bien vernie. On dirait que, médusée, un jour, par quelque épouvantable vision, elle garde éternellement la blême immobilité stupéfaite de la peur.
A qui l'interroge, il ne répond jamais; l'air de ne pas comprendre; mais il entend, il trésaille avec le sursaut d'un animal endormi qui reçoit un coup de trique, et il s'éloigne de travers, les mains jointes sous le menton, s'accule dans quelque coin, et s'y resserre, effaré. Sa voix, car il lui arrive de parler, non pas à d'autres, mais à lui-même, est quelquefois très frêle, très grêle, presque imperceptible, pareille à une vibration de chanterelle aiguë, comme si elle descendait de très haut, quelquefois épaisse et lourde, sourde, comme si elle émanait de quelque rauque profondeur; mais, toujours, c'est un bruit de chose qu'une parole humaine; Après chaque mot, sa bouche reste longtemps ouverte, et alors sa langue exsangue pend hors de ses dents noires, comme celle d'un nègre qui chique du bétel, et, longue, bat un peu; la langue d'un chien qui lape. Et on le voit partout! à toute heure! Dans les rues remuantes du fracas des roues qui le frôlent, sur les boulevards tumultueux où la foule le roule, il va perpétuellement, vague épave, à vau-l'eau. Morne, plein d'un effroi qui effraie, il a l'air d'un ressuscité, qui continuerait, à travers la vie et le jour, la lente promenade commencée dans l'ombre du caveau autour de son cercueil rouvert.
Eh bien! cet homme n'a pas cinquante ans, il en a trente à peine; et naguère, il était beau, et naguère la généreuse jeunesse lui battait dans la poitrine, lui mettait des rires aux lèvres, des flammes dans le regard, et, sur le front, le rayonnement de vivre! Quand il sortait sans les rues pleines de soleil, il sentait monter à sa gorge de chaudes bouffées de joie. Car, en même temps que jeune, il était heureux, avec emportement, ayant dans son esprit le rêve et l'amour dans son cœur. Artiste, il poursuivait, il allait atteindre, avec la certitude des premières fougues, son idéal hautain;amant, il connaissait le suprême délice d'être l'époux de celle qu'on adore, et de la voir sourire, la nuit, endormie, la tête dans ses cheveux. O fiertés! ô douceurs!, bientôt toute la gloire, déjà toute la tendresse. La joie et l'espérance activaient éperdument son être; prodigue de lui-même, prêt à toutes les nobles audaces, loyal comme un serment de vierge, brave comme une épée de héros, il était la jeunesse elle-même, épanouie et triomphante!
Mais un jour, par une curiosité perverse, ou pour griser quelque ennui d'un instant, il entra, comme Roméo chez l'apothicaire de Mantoue, dans la détestable boutique où l'on vend la pâte verte qui contient la damnation et la mort; et il y est revenu souvent, très souvent.

II

O délicieuse et sinistre drogue! que tu sois la pâte épaisse, pesante, qui, s'agglutine, ou que tu te dérobes, quintessenciée, sou-l'argent des pilules, dawamesk* ou haschichine, tu es terrible, Haschich!
Oui, tu es adorable; oui, tu donnes la langueur exquise ou la joie effrénée, la paix, comme Dieu, l'orgueil, comme Satan; oui, par toi, l'on oublie! Hors des médiocrités de la vie réelle, loin de la sottise rampante et des devoirs étroits, l'homme par toi s'élève, avec les ailes de la délivrance, dans les chimères et dans les victoires. Tu es la fausse clef du paradis! Si tu ne crées pas, tu transformes.
Tu élargis les horizons; tu fais d'une rose, une forêt de roses, d'une masure un palais, un soleil d'une lanterne. Celui qui t'appartient baise la bouche de Béatrix sur les lèvres d'une fille, retrouve, centuplée, dans de sales accouplements, la pure extase du premier amour. Tu dis, toi aussi:"Vous serez comme des dieux!" et tu tiens la promesse; celui qui convoite l'or entend s'écrouler autour de lui des niagaras somptueux de monnaies; celui qui aspire à la gloire des Dante et des Shakespeare, voit se précipiter sur son passage l'enthousiasme éperdu des foules; et pour celui que tout le triomphe des chefs militaires, tu sonnes dans les clairons héroïques et flottes dans les victorieuses bannières.



Mais tu vends cher tes ivresses, Haschich! Ton ciel se retourne en enfer. Un enfer spécial où vous attend cet unique et abominable supplice, le plus insupportable de tous: la désolation immense, éternelle, l'infini écœurement. Si tu te bornais, ô redoutable Seigneur, à éteindre les regards, à éteindre le sourire, à mettre sur les fronts la pâleur des cadavres, à courber les épaules, à faire de la virilité quelque chose qui ressemble à une loque qui tombe, tes esclaves te remercieraient encore, à cause du souvenir de tes dons ineffables ! Souffrir dans son corps, qu'est-ce donc pour ceux à qui furent accordées toutes les extases de l'âme divinisée? Hélas! tu es un bourreau subtil. A force d'exaspérer les forces vives des cœurs et des esprits, tu les brises, ces cœurs, tu les tues, ces esprits. Rien de ce qui doit être aimé ne semble digne de l'être, rien de ce qui peut être rêvé ne paraît plus digne d'une pensée. A quoi bon vivre? Est-ce que le ciel vaut un regard? Quelle femme vaut un baiser? Une morne indifférence lasse, on ne sait quel énorme dégoût, passif. Le sentiment du devoir à jamais aboli. On a sous ses pieds le respect de soi-même, ainsi qu'une chose sur quoi l'on peut marcher. La conscience, longtemps surchargée de délices coupables, cède enfin, défaille comme un estomac d'ivrogne, n'a pas même de remords, s'abandonne dans un opaque et mol ennui comme dans un vomissement.

III

L'autre jour, sur le boulevard, le misérable dont je dis l'histoire a été souffleté par un passant qu'il avait coudoyé: il a fui comme un enfant qu'on bat, retournant parfois la tête, craignant d'être poursuivi! il ne sait même plus ce que signifient ces mots augustes: l'art, la gloire, la beauté. Est-ce un homme encore? Non, quelqu'un qui mange, boit, dort, et, réveillé, va droit devant lui, sans but, sans pensée. La femme élue, l'épouse infiniment adorée, dont il baisait les genoux comme un dévot baise l'autel, elle est pour lui comme si elle n'était pas. il ne voit plus les rayons qu'elle a dans les yeux, la rose qu'elle a sur sa bouche. Lasse de ce compagnon morose et lâche, elle a prit un amant; il le sait, il ne peut pas l'ignorer: l'amant est là toujours, donnant des ordres aux domestiques, commandant le dîner, tutoyant sa maîtresse devant tout le monde, disant, le soir:" Il est tard, viens te coucher." Mais lui, il ne s'irrite pas, ne s'étonne même pas. Ce qu'il est, il l'accepte. Jamais de révolte. Comme il a pour lit un canapé du salon, il entend des baisers et des rires dans la chambre voisine, et s'endort. Non seulement imbécile, mais infâme. Ne travaillant plus, il est pauvre: l'appartement où il loge, les habits qu'il porte, le pain qu'il mange, le tabac qu'il fume, c'est l'amant qui les paie. Soit! il ne dit pas non, il veut bien, ou il ne songe pas à cela. Abject, n'importe. Il s'affaisse de plus en plus dans l'irrémédiable inertie de l'ennui. Et il vivra ainsi, non vivant,  jusqu'à l'heure où, passant, par un beau soir, sur un pont, et voyant se mirer dans l'eau bleue les réverbères et les étoiles, pâles souvenirs des premières visions splendides du haschich, il se laissera tomber dans le fleuve, sans désespoir, à cause de l'occasion, comme il eût continué sa route. En fouillant le noyé, on trouvera dans sa poche un peu de la pâte verte, mêlée de tabac, puante.

                                                                                                          Catulle Mendès.

La Vie populaire, dimanche 25 octobre 1885.

* Nota de célestin Mira:

* Dawamesk: Confiture au haschich ou confiture verte, chère à Beaudelaire. 




jeudi 18 juin 2020

Une consultation pour la Pompadour.

Une consultation pour la Pompadour.


I

La santé de Mme de Pompadour ne fut jamais très brillante.
De bonne heure, Mme Poisson, sa "digne" mère (1), avait donné tous ses soins à l'éducation de celle dont elle préparait l'avenir dès le berceau; elle avait seulement négligé de lui assurer ce qui retient l'amant une fois enchaîné: un tempérament solide, résistant à tous les assauts.
Cette infériorité, très fâcheuse chez une favorite, faillit souvent rendre vains et ses talents naturels et toutes les grâces dont l'avait parée l'éducation maternelle (2).
Dès sa prime jeunesse (3), Mlle Poisson avait donné des inquiétudes à son entourage (4). A maintes reprises, elle avait craché le sang. Elle s'enrhumait facilement, ce qui fit de bonne heure craindre qu'elle fût attaquée de la poitrine.
Dans une des lettres qu'elle écrivait à son frère, pendant son voyage d'Italie, elle se plaint de ces hémoptysies:"On vous mandera de Paris que je crache le sang; c'est aussy vrai que toutes les fois qu'on l'a dit" (5).
Au début de sa faveur, alors même qu'elle semble dans tout l'éclat de sa beauté, la pâleur de son teint frappe les yeux; aussi le relève-t-elle d'un peu de rouge (6). Trois ans après, d'Argenson notait" sa mine sucée et malsaine."
La santé déjà si éprouvée de la maîtresse royale avait été encore affaiblie par de fréquentes fausses couches.
Le duc de Luynes écrit, à la date du 2 avril 1749: "Il y a deux ou trois jours que Mme de Pompadour est incommodée et on ne la voit point. J'ai appris aujourd'hui que cette incommodité étoit une fausse couche; on m'a assuré que c'étoit au moins la troisième depuis qu'elle est habitante ici."
Toute la Cour est frappée de son amaigrissement, de la totale disparition de sa gorge, de la teinte jaune du bas de son visage.
Les chansons couraient la ville; on la représentait:


La peau jaune et truitée
Et chaque dent tachetée.

Ailleurs, on parle sans ambiguïté, "d'une haleine qui n'embaume pas". (7)
Il existe un indiscret portrait, daté de cette époque, qui est effrayant de réalisme: c'est la préparation de la Tour, du Musée de Saint-Quentin, la préparation d'après nature, qui n'a rien du "joli officiel", et qui nous montre  la marquise avec sen teint de papier mâché, avec les bleuissements au dessus de ses yeux, avec des colorations truitées de la chanson satirique du temps.
Par la suite, il n'est guère d'années où d'Argenson ne mentionne, et cela à maintes reprises, les indispositions de la marquise: tantôt un gros rhume, tantôt un mal de gorge, des maux de reins, des accès de fièvre. (8)
De Luynes parle également de ses palpitations, de ses rhumes, de ses maux de gorge; le duc de Croy, de "sa colique". (9)
Que d'heures de fièvre, que de journées passées au lit, que de saignées au pied notent les correspondances et les journaux du temps!
Mme de Pompadour écrit à plusieurs reprises des lettres pareilles à celles-ci:

                                                                                                     "Marly, 20 mai 1752.

"J'ai un rhume assez fort qui m'a donné la fièvre vingt-quatre heures, il va un peu mieux. Je descends au salon ce soir qui, par parenthèse est diabolique pour les rhumes; il y fait un chaud énorme et froid en sortant, aussi entend-on tousser jusqu'à Noël..."

La médecine du temps recourait à la saignée pour ces sortes d'incommodités: la favorite dut s'y soumettre et ce fut pas de très bonne grâce, si l'on en croit cette mention dans les comptes de Mme de Pompadour, publiés par le Dr Le Roi, de 6 000 livres données par Louis XV, en juin 1761, pour récompenser la favorite de s'être laisser saigner!
C'était un événement dont on s'entretenait jusqu'à chez la Reine.
Au sujet d'une de ces saignées, Maris Leczinska n'écrivait-elle pas:

"Mme de Pompadour a eu de la fièvre hier soir et a été saignée; cela m'a fait une peur horrible, dont j'avoue que la charité n'a pas été tout le motif.
Mais cela alloit mieux au soir, et l'on disoit seulement qu'il n'y auroit pas de voyage de Crécy." (10)


(1) Voir la généalogie de la famille Poisson-Pompadour, par Alf. Potiquet, dans l'Amateur d'autographes, n° 352-354 (janvier, février, mars 1833)
Dans un article sur l'histoire de la rue de l'Ecole de médecine, de notre confrère le Dr Beluze nous relevons cette note, qui a rapport au père de Mme de Pompadour: "Le sieur Poisson, père de Mme de Pompadour, a été anobli et il a acheté à l'Académie de chirurgie la terre de Marigny... qui avait été laissé à l'Académie par le testament de son fondateur, M. la Peyronie. Cette terre valait au moins 200 000 livres. Elle a été érigé en marquisat en faveur du sieur Poisson." Journal de E. J. F. Barbier, t. IV, p. 26.
(2) Cf. l'article de notre collaborateur, le Dr Potiquet (Chron. méd., 15 février 1901), écrit sous notre inspiration directe et auquel nous ferons, au cours de ce travail, maints emprunts.
(3) Dans l'enfance, elle n'avait eut que de légères incommodités: une "petite rougeole vérolée" accompagnée de fièvre, qu'un purgatif anodin suffit à guérir. Plus tard, elle eut la coqueluche, mais qui n'eut pas de suites fâcheuses.
(4) Le soin avec lequel on informe le père de la "petite Reinette", ainsi appelait-on la future favorite, de son vrai nom Antoinette, des moindres accidents de santé de l'enfant, prouve une sollicitude inquiète de la part de ce personnage, qu'on nous dépeint, à l'ordinaire, comme un père dénaturé, un débauché cynique, tirant parti de l'inconduite de sa femme, à l'influence de laquelle il chercha, au contraire, à soustraire la fille qu'il adorait.
(5) Mme de Pompadour, par E. et J. de Goncourt.
(6) Histoire de la marquise de Pompadour, 1758 (Ms de la bibliothèque de Dr Potiquet.)
(7) Journal de Collé, t. I, pp.50 et 62.
(8) Journal et Mémoires de d'Argenson, Paris 1859- 1867, tomes VI, VII, VIII, IX, passim.
(9) Mémoires du duc de Luynes, tomes XII, XIII, XIV et XV passim. - Mémoires du duc de Croy, Paris 1897, p. 168.
(10) Idem du duc de Luynes, t. XI.


II

Cette "vie toujours en l'air et sur les grands chemins" n'était pas pour la rétablir; son état, au lieu de s'améliorer avec les années, ne fit que s'aggraver.
Comment songer au repos, au milieu d'une cour où, sans compter la galanterie, les fêtes, les chasses et les déplacements qu'elles nécessitent, le jeu, la table occupent tous les moments du souverains et ne parviennent pas à dissiper son ennui? Comment y obtenir le calme de l'esprit?
"Ma vie est un combat", répète la marquise, après le saint homme Job; sans cesse occupée d'affaires, au milieu d'un tourbillon de monde continuel, sans cesse elle lutte pour retenir le Roi, toujours prêt à se dérober. Elle lutte contre les grandes dames titrées qui aspirent à la supplanter; elle lutte pour soutenir son crédit, pour déjouer les intrigues qui se nouent contre elle, pour maintenir ses créatures: ces ambassadeurs, ces ministres, ces maréchaux de haute lignée, qui doivent leur élévation à sa faveur, bien plus qu'à leurs talents militaires ou à leur courage et qui conduisent nos armées aux pires défaites.
Il faut lutter et s'ingénier pour remplir sa bourse que ses goûts luxueux mettaient trop souvent à sec; pour établir et gorger les siens. Enfin elle lutte, mais là en vain, contre la frigidité de son tempérament, à grand renfort de chocolat à triple vanille ambré, de truffes, de potage au céleri, etc...
Sur ce dernier point, elle finit, on le sait, par perdre courage et en vint à s'accommoder du poste de simple pourvoyeuse.
Un soir, au temps où déclinait sa faveur, Mme de Pompadour vint mystérieusement trouver Boucher; elle était affolée d'inquiétude, car Louis XV s'ennuyait, et qu'inventer de nouveau pour réveiller ce palais blasé? C'est alors que, d'un commun accord, le peintre et la favorite imaginèrent de faire au Roi la surprise d'un boudoir mystérieux où seraient exposées les plus voluptueuses images.
Boucher brossa sur-le-champ une série de compositions érotiques (1), qu'il exécuta avec un art tel, que les amateurs qui les ont vus affirment que, pour la magie des coloris et la grâce des formes, ce sont "les plus beaux Boucher du monde." (2)
A peine avait-elle vécu quelques années avec le Roi sur le pied d'une maîtresse, lit-on dans un manuscrit du temps, qu'elle fut mise hors d'état de remplir ce qu'on regarde ordinairement comme le point essentiel de cette condition. Un dérangement, auquel son sexe est sujet, vint l'attaquer avec tant de force que, pour éviter les dangereuses suites qui n'étaient que trop à craindre, le Roi, de l'avis de ses médecins, fut obligé de rompre tout commerce voluptueux avec elle.

(1) On attribue à Mme de Pompadour la gravure de quelques planches érotiques connues sous le titre: "Mes loisirs, dédiés à mes amis, petit recueil pour exciter la ferveur des fidèles aux matines de Cythère par un amateur de l'office." 1764
La preuve absolue nous manque, mais la femme qui possédait, dit-on, le Portier des Chartreux, et qui faisait usage du chocolat  à triple vanille ambré, pour forcer sa nature rebelle à s'associer aux plaisirs qu'exigeait le roi, était bien capable d'occuper ses loisirs à ces distractions excitantes. (Cf. Quentin-Bauchart, Les Femmes bibliophiles de France, t. II)
(2) Ces peintures étaient encadrées à l'Arsenal, qu'habitait alors Mme de Pompadour, dans de riches panneaux.
Quand louis XVI, au commencement de son règne, visita ce palais, sous la conduite de M. de Maurepas, celui-ci le conduisit au fameux boudoir. Il faut faire disparaître ces indécences, dit-il, sur le champ. Le courtisan se le tint pour dit et s'empara de ces belles peintures. Après diverses fortunes, elles font actuellement partie d'une grande collection anglaise (Baron Roger Portalis.)


III

Un événement, survenu peu après, acheva de l'abattre, et pendant plusieurs mois, la plongea dans une tristesse profonde.
Le 15 juin 1754, mourrait brusquement, à l'âge de 10 ans, au couvent de l'Assomption, sa fille unique, Alexandrine, qu'elle avait eue de son mariage avec M. Lenormant d'Etioles et pour qui elle rêvait une haute destinée.
Déjà souffrante, elle avait été mise au régime du lait d'ânesse, la fillette avait été prise, après une purgation, de frissons, de vomissements et de coliques; puis, après quelques heures d'accalmie, de fièvre, "avec oppression au ventre."
Barbier dit qu'elle fut enlevée par une convulsion causée par le percement d'une grosse dent; d'Argenson attribue sa mort à une indigestion de lait!
Quoi qu'il en soit, Alexandrine était tombée malade le 14; le lendemain, quand arrivèrent les médecins du Roi La Martinière et Senac, ils la trouvèrent morte.
On parla de poison; le bruit courut même que les Jésuites étaient pour quelque chose dans cette fin foudroyante. Le vrai est, qu'à l'autopsie, les médecins trouvèrent le péritoine gangrené et, comme l'écrit d'Argenson, "pas de quoi tuer un poulet, seulement quelques gouttes de sang dans le bas-ventre."
La cause? Ulcère perforant de l'estomac, aurait-on dit il y a quinze ans; appendicite, penserait-on aujourd'hui.
La nouvelle subite de cette mort trouvait justement Mme de Pompadour mal disposée: "ses règles s'arrêtèrent et il fallu la saigner du pied." On ne savait si elle en reviendrait!...
Trois ans plus tard, nouvelle crise, mais cette fois moins forte; elle écrit, le 1er septembre 1757:

"Ma santé n'est pas bonne depuis quinze jours; la crise où nous sommes par le Parlement m'a fait un mal aux nerfs effroyable."

En 1762, elle a mal aux yeux et consulte Demours, l'oculiste en renom. (1)
Quand d'Argenson sera menacé à son tour de perdre la vue, c'est le même spécialiste que réclamera le ministre (2) qui devra, au préalable, en demander l'autorisation expresse à la Marquise.

(1) Emmanuel de Broglie: Le fils de Louis XI, 1887, p. 291- Mémoires du Président Henault, mise en ordre par le baron de Vigan, 1855, p. 247.
(2) Demours trouvait les yeux du ministre en très mauvais état et ne pouvait cependant obtenir pour lui la permission pour être à portée des remèdes. D'Argenson n'obtiendra qu'après la mort de Mme de Pompadour de revenir à Paris et juste à temps pour y mourir.

IV

A la fin de février 1764, Mme de Pompadour était, avec toute la cour (1), au château de Choisy, lorsqu'elle fut prise d'une "grosse fluxion de poitrine" qui, suivant la règle, débuta par un frisson.
La correspondance de Mme de Deffant avec Mme de Choiseul nous renseigne très exactement sur cette grave maladie de Mme de Pompadour.

"Ne me plaignez pas, ma chère enfant, écrit la duchesse à sa vieille amie, mais réjouissez-vous avec moi. Mme de Pompadour est enfin hors d'affaire. Je nage dans la joie."

Un peu plus tard, elle se montre moins rassurée.

" Mme de Pompadour a été saignée trois fois depuis hier. Elle est infiniment mieux aujourd'hui. Je pars pour Choisy."

De la même à la même:

"Mme de Pompadour a beaucoup de toux et assez de fièvre cette nuit, ma chère enfant. cependant, on assure qu'il n'y a aucun danger à son état, mais je suis inquiète parce que je l'aime, et comment ne l'aimerai-je pas? Je joins pour elle l'estime et la reconnaissance. Croyez-vous d'après cela, qu'elle ait à la Cour une meilleure amie que moi? Je voulais aller à Choisy pour la voir; le temps, ma santé et mon mari m'en ont empêchée. Il y est allé avec M. de Gontaut, et, comme elle n'est pas en état d'être transportée à Versailles, le Roi reste jusqu'à samedi à Choisy."

Quelques jours plus tard, nouvelle épître:

"Vous ne m'effrayez pas par vos noirs pressentiments, parce que les médecins et mes yeux me rassurent plus que vous m'alarmez. Mme de Pompadour a dormi cinq heures cette nuit (dans le fauteuil, il est vrai), parce que le lit l'étouffe, mais elle se trouve si bien qu'elle essaiera le lit ce soir; elle ne tousse presque plus, la respiration est libre. Depuis qu'elle est dans un fauteuil, il n'y a plus de redoublement, et la fièvre est si légère que les médecins disent qu'ils ne seraient pas étonnés qu'il n'y en eût plus demain ou après-demain, et qu'elle retournât mercredi à Versailles. Il n'y en a plus que ce qu'il faut pour achever de cracher ses tubercules, qui sont à leur fin, mais il est certain qu'elle aura besoin pendant longtemps de ménagements."

Après avoir été à deux doigts de la tombe, l'intéressante malade se remettait assez pour faire quelques promenades en voiture dans le parc de Choisy.
Cochin recevait l'ordre de dessiner, pour la convalescence de la marquise, un cartel, dans lequel Favart encadrait ces vers de circonstance:


Le soleil est malade
Et Pompadour aussi;
Ce n'est qu'une passade;
l'un et l'autre est guéri.
Le bon Dieu qui féconde
Nos vœux et notre amour
Pour le bonheur du monde
Nous a rendu le jour
Avec la Pompadour.
Votum populi, laus ejus.

Cette estampe, devenue rare, représentait, sous le soleil voilé, les Muses de la Peinture et de la Musique suppliantes, pendant que la Médecine arrête la Parque, au moment où elle va couper le fil de la vie de la marquise (2).
Cette convalescence d'un moment, Boucher la célèbre aussi, par un dessin aux trois crayons, qui passa à la vente du frère de Mme de Pompadour: des amours fêtaient la convalescence d'une jolie femme, qui s'élevait en repoussant les nuages, avec la légende écrite au-dessous: Nous renaissons.
Enfin Gay, dans deux entailles, dont l'une, sur cristal de roche, ne fut pas achevée, faisait des vœux pour pour le rétablissement de la santé de Mme de Pompadour.
Estampes et chansons devaient arriver trop tard.
Enlevée aux soins de Quesnay, qui connaissait son mal et son tempérament, livrée aux mains maladroites de Richard, la marquise se mourrait...


(1) Elle y était pourtant assez maltraitée." M. le Dauphin et Mesdames, écrit d'Argenson, n'appelaient plus Mme de Pompadour que maman p...., ce qui n'est pas d'enfants bien élevés" Mémoires, édit. Jannet, t. III, p. 254.

(2) Jombert, dans le catalogue de l'Oeuvre de Charles-Nicolas Cochin fils, 1770, dit, à propos de cette gravure: "La mort de cette dame qui, survint quinze jours après cette fausse apparence d'un retour de santé, a empêché qu'on ne fit usage de cette ingénieuse composition de M. Cochin fils et la planche a été supprimée" De Goncourt.


V

C'est, selon toute apparence,, à cette date que doit se placer la consultation qui fut rédigée pour la favorite moribonde, et qu'un hasard heureux a mis en notre possession, il y a quelques années.
L'authenticité de la pièce ne peut faire de doute: la nature du papier, les caractères de l'écriture en témoignent; et, plus encore que ces preuves matérielles, le texte lui-même. On y trouve, en effet, rassemblés, bon nombre de traits, épars çà et là dans les lettres et dans les mémoires du temps, sur la santé de la marquise, moins toutefois certaines fleurs, qui inspirèrent à quelqu'un de l'entourage de Maurepas une sanglante épigramme.(1)
Voici le texte de la pièce origine en notre possession, que nous faisons suivre d'un commentaire (2) qui servira à l'expliquer et à l'éclaircir:

                                                                                                               26 mars 1764.

Il y a dix huit ou vingt ans que Madame étoit fort sujette à de violentes migraines dans les approches et à la suite du tems des règles; surtout quand le ventre se trouvoit un peu constipé. Les remèdes laxatifs écartoient ou diminuoient les accès de cette maladie; et pendant longtemps on n'a pas eu besoin de se servir d'autre remède que du petit lait, qui à la fin devenant moins efficace, m'obligea d'avoir recours à l'usage de l'eau de Miere (Miers) en Quercy, qui la purgeoit sûrement.
Les migraines sont devenues beaucoup moins fréquentes, et Madame devint plus sujette à une toux sérieuse, qui quelquefois durait 7 à 8 jours avec beaucoup d'opiniâtreté et en forme de coqueluche, dans laquelle elle rendoit une grande quantité de salive puituiteuse et salée.
La fréquence des retours de cette toux me détermina à l'usage du lait d'ânesse (3) dans les deux saisons de l'année: le lait lui procuroit d'abord la liberté du ventre, ce qui dispensoit de recourir à d'autres remèdes; si ce n'est qu'on lui prescrivoit de tems en tems du petit lait avec quelques gros de sel de sedlitz.
L'humeur séreuse claire se manifestoit assez habituellement, tantôt par des récidives de la toux, tantôt en attaquant les amygdales et y causant une irritation inflammatoire, quelquefois elle se portoit sur les dents et d'autres fois sur différentes parties du corps en forme de rhumatisme: ce qui obligeoit de fois à autre de purger Madame à fond avec l'électuaire panchymagogue et le petit-lait pour boisson par dessus; on a toujours continué l'usage du lait d'ânesse, même dans toutes les saisons de l'année.
Cependant Madame engraissa beaucoup, mais depuis environ une année ou dix-huit mois, elle a commencé de maigrir: ses digestions sont devenues difficiles, souvent sa tête s'est trouvée occupée d'affaires qui paroissoient l'affecter beaucoup, ce qui contribuoit fort aux dérangements des digestions.
Pour rétablir l'estomach, elle a fait un usage assez fréquent du quinquina, et elle a pris assidûment quelques verres d'eau épurée de Passy.
Il y a environ dix ans que Madame fut affectée d'un chagrin très vif à la mort de Mademoiselle sa fille, elle eut un violent saisissement qui occasionna des palpitations de cœur qui se sont renouvelées toutes les fois que Madame a fait quelques mouvements un peu pénibles, surtout celui de monter des escaliers, ce qui l'obligea depuis à se servir de porteurs; Les mêmes palpitations arrivoient aussi lorsque Madame cheminoit un peu longtemps. Mais elle ne paroissoient point dans l'état tranquille.
Madame se tenoit facilement couchée à plat et dans toutes les attitudes. Elle a parlé de ces palpitations à différens médecins qui ont tous soupçonné qu'il y avoit dilatation de l'oreillette droite du cœur; voilà quel a été son état jusqu'au moment de la maladie actuelle où la veille, elle eut sans cause apparente une attaque d'étouffement qui fut presque accompagnée de syncope, ce qui dura environ une heure; le lendemain Madame eut un frisson qui fut suivi de la fièvre et de la maladie présente."

Un coin de la feuille porte cette mention, d'une autre écriture: 1764, Pompadour, cart. 4, n° 18.

(1) Est-il besoin de la rappeler:

Iris, on aime vos appas,
Vos grâces sont vives et franches
Et les fleurs naissent sous vos pas.
Mais hélas! ce sont des fleurs blanches.

(2) Ce commentaire est dû à l'obligeance de notre excellent confrère et ami le Dr Potiquet, à qui nous avions communiqué la pièce originale, et qui a bien voulu nous transmettre les réflexions qu'elle lui avait suggérés.
(3) En 1744, après  de la marquise de Châteauroux, Louis XV était venu s'installer à Trianon. Une peu plus tard, il y emmena Mme de Pompadour.
Pour le désennuyer, la favorite imagina de lui faire prendre part à l'élève des oiseaux de basse-cour. "Le roi et Mme de Pompadour, rapporte le duc de Luynes dans ses Mémoires (t. X, p. 439), s'amusent beaucoup beaucoup des pigeons et poules de différentes espèces. Ils en ont partout, à Trianon, à Fontainebleau, à Compiègne, à l'Ermitage, à Bellevue, et même le roi en a dans son cabinet, dans les combles."
Ce goût, joint à celui des laitages, qui convenait sans doute au tempérament de Mme de Pompadour, ajoute M. Desjardins (Le Petit Trianon, p. 3), fut la cause de la construction de la ménagerie dont parle le duc de Luynes.
Le marquis d'argenson parle également de la ménagerie et de la laiterie  de Trianon (Mémoires, t. VI, p. 85)

VI

A qui attribuer cette note? Au médecin ordinaire de Mme de Pompadour, Quesnay; à Mme du Hausset, ou à quelque autre médecin ou camériste de son entourage? La question reste pour nous indécise.
En tout cas, elle est due à quelqu'un qui suivit de près Mme de Pompadour, pendant de longues années, et elle semble bien avoir été rédigée en vue des consultations qui se tinrent à son chevet, à Choisy, où elle se trouvait malade à cette date (26 mars 1764).
Posons tout de suite, Potiquet et moi, notre diagnostic: Mme de pompadour paraît avoir succombé à une broncho-pneumonie ou à une pleuro-pneumonie, consécutive à une affection du cœur ou aggravée par elle.
Elle-même, dans une de ses lettres, nous indique qu'elle était, dès 1756, l'opinion de ses médecins sur son état:
"Mon accès de fièvre n'a pas eu de suites, écrit-elle le 18 septembre de cette année, et je me porte aussi bien qu'il est possible avec ma pauvre oreillette." (1)
En ce temps, où la percussion et l'auscultation étaient inconnues; où, en dehors des signes fonctionnels, le diagnostic des affections du cœur s'établissait à l'aide de la palpation de la région cardiaque et des caractères du pouls, la dilatation de l'oreillette droite dominait toute la pathologie du cœur: "Le cœur, dit Senac (2) (qui fut justement un des médecins de la marquise) est sujet à des dilatations extraordinaires; c'est presque toujours l'oreillette droite qui se dilate. Cette dilatation cause une difficulté de respirer... les palpitations en sont une suite constante et les défaillances accompagnent ou suivent de tels accidents..."; et ailleurs: "l'orthopnée, le crachement de sang, l'asthme, la phtisie sont souvent des suites des dilatations." Or, Mme de Pompadour souffrait un peu de tout cela: maintes fois, dans ses Mémoires, Mme du Hausset parle des palpitations, des accès d'étouffement, des défaillances, des suffocations de la marquise. (3)
A cette époque, où l'action de la digitale, déjà connue en  Allemagne et en Angleterre, était ignorée en France, le traitement des maladies du cœur consistait, suivant Senac, en saignées, en purgatifs et dans l'éloignement de toutes les causes physiques ou psychiques capables de provoquer une excitation cardiaque.
Les saignées ne furent point épargnées à Mme de Pompadour, comme en témoignent les Mémoires de Mme du Hausset, ceux d'Argenson, de de Luynes, et le document précité. Au reste, Quesnay  n'était-il pas le médecin ordinaire de la marquise, Quesnay, l'Art de guérir par les saignées?
Sur le chapitre des purgations, la note manuscrite que nous publions fournit des renseignements plus copieux que les Mémoires du temps. Cela se comprend: il est un secret qu'une femme élégante, qui veut rester désirable, ne livre pas volontiers à la curiosité publique, c'est celui de ses garde-robes et du souci qu'elles lui donnent. Remèdes laxatifs variés, petit lait, eau de Miers en Quercy (4), sel de Sedlitz, électuaire panchymagogue, la marquise, très constipée, connut toutes les armes dont on use contre un intestin rebelle aux évacuations.
L'eau de Miers, prescrite à la fois, au XVIIIe siècle, contre la constipation et contre les flueurs blanches, convenaient à Mme de Pompadour pour cette double raison.
Senac conseillait, dans les maladies du cœur (5), l'usage des eaux minérales ferrugineuses: Mme de Pompadour prit de l'eau épurée de Passy, qui était une eau ferrugineuse faible.
Senac recommandait encore le repos du corps et celui de l'esprit. "Les passions, dit-il, portent le trouble sur le cœur, elles l'agitent... c'est donc une nécessité de les éviter ou de les modérer." Prescription bien difficile à suivre, pour la maîtresse d'un Roi comme Louis XV!...

(1) Correspondance de Mme de Pompadour (Paris, 1878)
(2) Senac (J.-B.) Traité de la structure du cœur, de son action et de ses maladies; Paris, 1777, tome II, pages 410 et passim.
(3) Mémoires de Mme du Hausset, 1891, passim.
(4) L'eau de Miers (Lot), sulfatée sodique, froide, rappelle beaucoup l'eau de Carlsbad par sa composition minérale; aussi a-t-on qualifié Miers de Carlsbad français.
Elle est employée avec succès dans les affections gastro-intestinales, notamment contre la constipation, et dans les maladies des reins et de la vessie.
Suivant Lieutaud, qui vivait au temps de Louis XV, elle était alors prescrite contre la constipation, les flueurs blanches et les affections des reins et de la vessie. (Cf. Des eaux minérales de Miers, par le Dr Gresset, 1892)
(5) Mme de Pompadour, malade par le cœur, éleva, en 1752, un autel, un des premiers en France, au culte du Sacré-Cœur de Jésus. Peut-être dans cette dévotion inattendue, entrait-il chez la favorite, quelque souci de son propre viscère, et comptait-elle, pour restaurer son cœur, sur une faveur céleste de Celui qu'elle faisait sculpter au fronton de l'autel; ou plutôt faisait-elle déjà la dévote "pour plaire à la reine", suivant le mot de d'Argenson.
A ce moment, en effet,


............................... le soliloque
Et les traits fins de Marie Alacoque

étaient fort goûtés d'une partie de la cour, la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus prenait faveur et Marie Leczinska, dont on n'ignore ni le genre d'éducation, ni le degré de culture intellectuelle, s'employait de son mieux à répandre en France ce fétichisme grossier.
L'autel élevé par la Pompadour peut se voir dans la petite église de Crécy-Couvé (Eure-et-Loir), où la marquise possédait une demeure somptueuse. Les boiseries en sont de ce style néo-grec, aux lignes élégantes, aux proportions harmonieuses qui fut conçu par la marquise et les artistes qu'elle protégea, et qui, par un injuste anachronisme et une ironie singulière, porte désormais, dans l'histoire des arts, le nom du plus balourd des monarques: elles sont du plus pur Louis XVI.
Une petite partie des communs, quelques pans de mur, les ruines d'un perron, la trace de quelques bassins, çà et là, des bouquets de lilas, voilà tout ce qui reste de ce que fut Crécy (Dr Potiquet).

VII

Mme de Pompadour mourut le jours de Pâques fleuries (15 avril 1764), âgée seulement de 42 ans 1/2: sa mère était morte presque au même âge. (1)
Plusieurs médecins, parmi lesquels Petit, médecin du duc d'Orléans, Renard, médecin du Marais, Renard, dont les avis auraient, suivant une rumeur, hâté sa fin, furent appelés près d'elle. (2)
Mme de Pompadour mourrait persuadée, affirme Soulavie (3), que sa fin avait été hâtée par Choiseul;
Un refroidissement entre Mme de Pompadour et Choiseul semble incontestable, mais de là à soupçonner le poison, il y a loin! Il suffit de se reporter aux lettres de la duchesse de Choiseul pour anéantir cette calomnie.
A peine est-elle enterrée, la fière marquise, devant laquelle, de son vivant, tous tremblaient, que la reine Marie Leczinska écrit au président Hénault:
" Au reste, il n'est non plus question ici de ce qui n'est plus, que si elle n'avait jamais existé. Voilà le monde, c'est bien la peine de l'aimer!" (4)
La plupart des historiens ont parlé du transport quasi clandestin des restes de la marquise de Versailles à Paris et de la prétendue sécheresse de cœur de Louis XV, lors du passage du convoi. Légendes que tout cela!
Notre collègue, M. Fromageot, a eu entre les mains un curieux dossier de pièces originales, provenant du marquis de Marigny, pièces relatives à la mort et aux obsèques de la favorite, qui permettent de rectifier sur bien des points la version officiellement admise.
Tout d'abord, ces documents attestent que Mme de Pompadour fut transportée  à son hôtel, à Versailles, le dimanche 15 avril (1764): sa chambre fut transformée en chapelle ardente, et, le surlendemain seulement, il fut procédé à son ensevelissement. Il est donc certain qu'elle n'a pas été expédiée hâtivement à Paris, ni le jour de sa mort, ni le lendemain. Elle fut, au contraire, enterrée en grande pompe.
"Un cortège, composé de cent prêtres, vingt-quatre enfants portants de grands chandeliers, dix chantres et deux serpents, deux bedeaux et un suisse", assisté à la levée du corps à l'hôtel et l'accompagne à l'église.
Derrière le cercueil, "porté à bras par huit porteurs, viennent quarante-deux domestiques en livrée de deuil, portant des cierges, et soixante-douze pauvres, couverts de manteaux noirs et portant aussi des cierges."
Les grosses cloches sonnent à deux reprises; enfin l'église est entièrement tendue de draperies; le catafalque est élevé sur une estrade et "un grand poêle, herminé" est suspendu au-dessus.
Après le service à l'église, a lieu le transport à Paris, dans un corbillard avec dais de duchesse, poêle et couronne posée sur un carré de velours, carrosse drapé, douze chevaux de louage, portant douze caparaçons à moire d'argent, dix-huit chevaux de selle, quatre hommes pour la conduite du convoi, quatre officiers, quatre suisses, soixante-cinq domestiques, etc.
Le convoi sortant de l'église n'a pas cessé d'être accompagné d'un grand nombre de gens, portant des flambeaux allumés.
Il faisait ce jour-là, comme l'a relaté Cheverny (5) dans ses Mémoires, un temps épouvantable: ce détail se trouve absolument confirmé par une des pièces du dossier de M. Fromageot, d'où il résulte que deux domestiques avaient perdu leurs chapeaux, enlevés par le vent, et n'avaient pu les retrouver, à cause de l'obscurité, dans les fossés remplis d'eau.
Ainsi, l'ancienne légende (6) du transport à Paris du corps de la marquise, en hâte et presque furtivement, le soir ou le lendemain de son décès, est entièrement contredite par des documents authentiques, indiscutables.
Le cortège funèbre, entré à Paris par la grille de Chaillot, fut reçu avec une grande pompe au couvent des Capucines, où il fut harangué par un des religieux, qui en profita... pour faire l'éloge des vertus de la reine Marie Leczinska!
L'église des Capucines de la place Vendôme, située dans l'axe de la rue de la Paix actuelle, faisait face à la place. On descendit le cercueil dans le vaste caveau d'une chapelle dédiée à Notre-Dame de Tongres, que la défunte avait acquise de la famille de La Trémoïlle (7), chapelle placée en main gauche en entrant, en face de celle où reposait Louvois; il y resta jusqu'en 1804. Cette année, la rue de la Paix fut percée, l'église des Capucines démolie et les ossements de l'église, comme ceux du cloître du couvent, portés aux catacombes et rangés dans un ossuaire particulier. (8)
Là gisent quelque part, pêle-mêle avec les restes de Louise de Lorraine, reine de France et de Pologne, d'Henriette-Catherine de Montpensier, de Louvois, du duc de Créquy et de nombre de religieuses capucines, les os de celle qui, suivant une des épigrammes dont on poursuivit son luxe et son arrogance, était si longtemps:

La substance du peuple et la honte du roi (9)!


(1) Mme Poisson, qui n'avait encore que 46 ans, avait succombé, le 24 décembre 1745, au dire de d'Argenson, d'une maladie innommable. On lui fit l'épitaphe satirique que voici:

Ci gît qui, sortant d'un fumier,
Pour faire une fortune entière,
Vendit son honneur au fermier
Et sa fille au propriétaire.

(2) Revue rétrospective, tome III, 1re série, p. 272; Comte Fleury, Louis XV intime, 1899: tout le chapitre XII de ce dernier ouvrage est à lire.
(3) Soulavie, Mém. du maréchal duc de Richelieu, t, X.
(4) Mém. du Président Hénault, 1855, Dentu.
(5) Il y a tout lieu d'accorder créance au récit de Cheverny: les documents originaux lui donnant raison sur tous les autres points, il y a fort à présumer que son récit est véridique jusqu'au bout.
(6) Légende encore l'indifférence qu'aurait témoigné Louis XV à la mort de sa maîtresse. Voici comment les faits se seraient réellement passés:
"Le roi, écrit Cheverny, prend Champlost (son premier valet de chambre) par le bras; arrivé à la porte de glace du cabinet intime (donnant sur le balcon qui fait face à l'avenue de la cour), il lui fait fermer la porte d'entrée et se met avec lui en dehors, sur le balcon. Il garde un silence religieux, voit le convoi enfiler l'avenue, et malgré le mauvais temps et l'injure de l'air auxquels il paraissait insensible, il le suit des yeux jusqu'à ce qu'il perde de vue tout l'enterrement. Il rentre alors dans l'appartement, deux grosses larmes coulaient encore le long de ses joues et il ne dit à Champlost que ce peu de mots: Voilà les seuls devoirs que j'ai pu lui rendre! paroles les plus éloquentes qu'il pût prononcer dans cet instant."
Comme nous voilà loin des récits universellement admis!
(7) Lorsqu'elle acheta le caveau des Capucines, quelqu'un dit: "Les grands os de La Trémouille vont être bien étonnés d'avoir à côté d'eux les arêtes de Poisson."
(8) Héricart de Thury, Description des catacombes de Paris, 1815 p. 205. -E. Gérard, Les Catacombes de Paris, 1802, p. 139 et suivantes, et 150.
(9) Diderot a assez durement résumé ce que le gouvernement de Mme de Pompadour a coûté à la France:
"Eh bien, qu'est-il resté de cette femme qui nous a épuisés d'hommes et d'argent, laissés sans honneur et sans énergie, qui a bouleversé le système politique de l'Europe? Le traité de Versailles, qui durera ce qu'il pourra, l'Amour de Bouchardon qu'on admirera à jamais; quelques pierres gravées de Gay, qui étonneront les antiquaires à venir; un bon petit tableau de Van Loo, qu'on regardera quelquefois et une pincée de cendres.

                                                                                                                  Docteur Cabanès.

Les Indiscrétions de l'Histoire, deuxième série, 1903-1907.