lundi 9 septembre 2019

La vie inconnue des grands peintres.

La vie inconnue des grands peintres.

J. F. Millet, peintre de l'Angélus.



Un tableau de 800 000 francs.

Le Parisien ne connaît pas Paris.
Les étrangers connaissent nos musées mieux que nous; c'est un fait incontestable qu'ils puisent dans leurs promenades à travers nos musées des leçons qui forment leur esprit et élèvent leur cœur.
C'est pourquoi Mon Dimanche a l'intention de se promener d'abord au Louvre, le plus beau, le plus complet des musées d'Europe, avec ses lecteurs et ses lectrices, de passer en revue les chefs-d'oeuvre des immortels génies de la peinture et de la sculpture.

Le peintre de l'Angélus.

Nous commençons par le peintre de l'Angélus*, Millet, car ce tableau, qui a connu une des fortunes les plus fantastiques, a été si souvent reproduit par l'illustration de la carte postale qu'il est connu de tous*.
Vendu 1.800 francs en 1859, l'Angélus passe ensuite dans diverses collections, est enlevé par l'Amérique, puis revient en France. Il est aujourd'hui la propriété de M. Chauchard, directeur des magasins du Louvre*, qui n'a pas hésité à payer 800.000 francs l'oeuvre autrefois dédaignée de Millet.
Jean-François Millet est né le 1er octobre 1814, au village de Gruchy, commune de Gréville, dans le département de la Manche. Son père, Jeans-Louis Millet, et sa mère, Aimée-Adélaïde Henry, étaient des cultivateurs. Il conduisit la charrue, bêcha la terre, fit sa part de labeur dans les semailles, les récoltes et les fenaisons.

Sa misère à Paris.

A dix-huit ans, il dit à son père son désir de se faire peintre et son père le plaça, à Cherbourg, en apprentissage chez le peintre Mouchel. Il quitta Mouchel pour Langlois, puis Cherbourg pour Paris, où il débarqua en janvier 1837.
A Paris, il entre à l'atelier de Paul Delaroche* où il resta deux ans. Pendant ces années, et les années suivantes, il vécut d'une petite pension que lui versait le conseil municipal de Cherbourg, des portraits à bon marché et enfin de sujets où il essayait, bien à contre-cœur, de s'approprier la grâce et la galanterie du XVIIe siècle. Il se maria, devint veuf, se remaria. Ce fut alors qu'il connut la vraie misère. Son biographe, Alfred Sentier, raconte que l'on obtint un jour pour lui à la direction des Beaux-Arts un encouragement de 100 francs, qui tomba chez Millet alors que sa femme et lui n'avaient pas mangé depuis deux jours, et que toute la famille grelottait dans l'atelier sans feu. 
Il n'était pas seulement malheureux de cette pénurie et de la souffrance des siens. En lui, l'artiste était mécontent, inquiet. Ce qu'il faisait, ces petits tableaux de nu pour les marchands ne lui donnaient aucun plaisir, le laissaient toujours un peu honteux. On raconte cette anecdote: un soir qu'il errait dans le quartier des marchands de tableaux, il entendit le dialogue de deux passants arrêtés devant un tableau de lui: "De qui est-ce? disait l'un. C'est un dénommé Millet qui ne peint que des femmes déshabillées!" répondit l'autre. Millet reçut un coup au cœur, rentra chez lui énergique et volontaire, demanda à sa femme si elle voulait quitter Paris avec lui pour toujours pour qu'il pût enfin créer les œuvres pour lesquelles il se sentait né.




Millet paysan.

Ils allèrent se fixer à Barbizon, dans la forêt de Fontainebleau, et Millet y resta jusqu'à sa mort.
Millet* et les siens, il eut neuf enfants, connurent là aussi la misère. Une lettre de lui datée du 1er janvier 1856, publiée par Sentier, avoue le manque de pain à la maison, le boulanger ayant refusé tout crédit.
Heureusement Millet a repris son métier de paysan. Il a un grand jardin qu'il cultive et qui nourrit la famille. Quand il a terminé son travail de laboureur, il se met à son travail de peinture. Il se promenait dans les champs, il dessinait les silhouettes des gens et les aspects des paysages. Avec ses dessins, il faisait des tableaux.
Toutefois, il serait inexact de dire qu'il ne connut pas le succès de son vivant. Après avoir été souvent refusé aux Salons annuels, il y trouva l'admiration de la critique et la curiosité du public. Ce succès lui vint tard, il est vrai. Il avait 54 ans en 1868 lorsqu'il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur, et que son nom fut acclamé au jour de la distribution des récompenses. Il ne changea pas sa vie pour cela, resta dans son logis rustique à Barbizon, dans sa chère forêt de Fontainebleau, où il eut pour ami le grand paysagiste Théodore Rousseau.
Il mourut dans sa maison de paysan, fidèle à ses origines et à sa vie. C'était le 20 janvier 1875. On l'enterra sans aucune cérémonie officielle.

L'oeuvre de Millet.

Maintenant, examinons ensemble quelques-unes des œuvres de Millet qui sont au Louvre. Nous les trouverons en parfait accord avec l'existence qui vient d'être racontée.
C'est d'abord, dans les salles Thomy-Thiéry (deuxième étage, musée de la Marine), l'Eglise de Gréville*, église de campagne au clocher carré et massif, entourée d'un petit mur.
Ici, c'est la représentation des paysans occupés aux travaux de leur intérieur ou des champs. La Lessiveuse* va et vient entre la marmite suspendue dans l'âtre et l'énorme baquet rempli de linge. Millet n'oublie pas un détail. Il place le morceau de savon sur l'extrémité de l'un des tréteaux, et il fait faire à sa paysanne tous les gestes instinctifs de son occupation: elle verse l'eau bouillante à bout de bras, se recule pour éviter la vapeur et retient son tablier de la main gauche pour ne pas le mouiller. Le Vanneur*, qui agite le grain dans le van. Le Fendeur de bois*, Les Botteleurs*, La Brûleuse d'herbes*, dont les titres disent suffisamment les occupations, silhouettes d'homme et de femmes de la plus savante simplicité.
Dans l'ancienne salle des Etats (premier étage), Le Printemps*, des arbres fruitiers en fleurs, des planches de légumes, un ciel d'orage traversé par un arc-en-ciel. Et tout à côté, Les Glaneuses*, scène de la moisson sous le soleil du mois d'août. Au loin, les moissonneurs ont élevé des meules, ils lient les gerbes, chargent la charrette. Au premier plan, trois pauvresses cherchent les épis oubliés. Elles sont courbées vers le sol; on entrevoit sous leurs coiffes leurs visages brûlés par le soleil, on voit leurs mains noires saisir leurs trouvailles.
L'Angélus, dont nous parlions au début de cet article, représente au premier plan deux paysans, un homme et une femme. L'homme, le chapeau à la main, la tête baissée; la femme, les mains jointes sur la poitrine, la tête aussi inclinée vers la terre, tous deux en prière. C'est la tombée du jour. L'homme et la femme regagnaient leur logis avec leur brouette et leur panier chargés de pommes de terre, quand ils entendirent les tintements de la cloche s'égrenant dans l'air; voyez tout au fond du tableau le petit clocher dressé sur la ligne d'horizon. Le paysan s'est arrêté, a piqué sa fourche en terre, la femme a laissé le panier ou la brouette, tous deux se sont signés et, penchés vers le sol, ils font la prière du soir.
Toute l'oeuvre de Millet est l'histoire des paysans racontée par un paysan qui était un grand artiste.

                                                                                                                 Marcel Dufresne.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 11 mars 1906.

* Nota de célestin Mira: 

* L'angélus de Millet:




L'angélus de Millet,
carte postale vers 1900.


* M. Chauchard:

Hippolyte, François, Alfred Chauchard,
fondateur des Grands magasins du Louvre.

* Paul Delaroche:


Paul Delaroche,
le supplice de Jeanne Grey.

* Jean-François Millet:

Jean-François Millet
auto-portrait.


* L'église de Gréville de Jean-François Millet:


Eglise de Gréville,
Jean-François Millet.


* La Lessiveuse de Jean-François Millet:

La lessiveuse,
Jean-François Millet
.

* Le Vanneur de Jean-François Millet:

Le Vanneur,
Jean-François Millet.

* Le Fendeur de bois de Jean-François Millet:


Le Fendeur de bois,
Jean-François Millet.

* Les Botteleurs de Jean-François Millet:

Les Botteleurs de foin,
Jean-François Millet.

* Le Brûleuse d'herbes de Jean-François Millet:

La Brûleuse d'herbes
Jean-François Millet.

* Le Printemps de Jean-François Millet:

Le Printemps
Jean-François Millet.

* Les Glaneuses de Jean-François Millet:

Les Glaneuses
Jean-François Millet.



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