mardi 17 septembre 2019

Ceux de qui on parle.

M. Gabriel Fauré.


"Prenez ce remède pendant qu'il guérit" recommandait un médecin. Jean-Louis s'est dit: Parlons de M. Fauré pendant qu'il dirige. Que dirige M. Fauré, se demanderont, j'en suis sûr, bon nombre de lecteurs. Quelques-uns, mieux informés, penseront: c'est un musicien, il dirige évidemment un orchestre. Ceux-là approcherons de la vérité. Mais l'orchestre si l'on peut dire, qui a M. Fauré à sa tête, est très homogène: il se compose d'exécutants divers, les uns professeurs, les autres élèves, qui ne cherchent autre chose qu'à s'éclabousser mutuellement de leur talent et de leur chic et qui collaborent non pas à une symphonie, mais à une épouvantable cacophonie: car c'est le Conservatoire National de musique et de déclamation, titre que l'on devrait, pour plus d'exactitude, écrire: Conservatoire de musique et de réclamation.
Les élèves du Conservatoire ne croiraient pas faire consciencieusement leur apprentissage d'artistes et de comédiens s'ils ne se montraient pas un peu turbulents et jaloux. C'est pourquoi ils réclament quand un ou une camarade semble attirer l'attention d'un professeur, quand ils n'ont pas de récompense, ou même quand ils en ont, parce qu'ils en désireraient une autre. Les professeurs leur donnent l'exemple, en protestant si le ministre leur donne un collègue qui ne leur plait pas, si le jury ne récompense pas tous leurs élèves, ou si l'on veut les obliger à faire leur classe.
Il est d'usage que celui qui doit faire, de son mieux, régner l'harmonie dans cet établissement soit un musicien, mais non le premier de tous. On a donc envoyé M. Fauré après Auber, Ambroise Thomas et M. Théodore Dubois. Toutefois, averti par l'expérience, le ministre s'est préoccupé des inconvénients qu'il y avait à donner tant d'autorité à des personnes qui ne savent pas s'en servir; et pour éviter que M. Fauré qui, somme toute n'avait pas fait de tort à l'art musical par ses œuvres, ne lui en fit par sa direction, on étendit les pouvoirs de M. Bourgeat, le secrétaire du Conservatoire, et l'on dit au nouveau directeur: "Jusqu'à présent, vous touchiez de l'orgue et de modestes appointements; vous en recevrez à l'avenir de beaucoup plus gros. Tout ce qu'on vous demande, c'est de continuer à faire tranquillement votre petite musique."




Les musiciens n'aiment pas le bruit. Ce poste discret tenta M. Fauré et il l'occupe si docilement qu'on l'appelle, là-bas "le meilleur élève du Conservatoire". Son arrivée fut accompagnée de réformes trop soudaines pour qu'on puisse les attribuer au directeur, à peine installé, qui en accepta la responsabilité. On pria notamment les professeurs de ne plus faire l'école buissonnière, ce qui ne fut pas du goût de chacun: MM. de Féraudy et Le Bargy donnèrent leur démission, la dignité de ces messieurs leur interdisant de remplir avec exactitude des fonctions sollicitées par eux. Ils partirent en faisant claquer les portes, mais M. Fauré ne les entendit pas, étant occupé à mettre en musique le sonnet d'Arvers.
M. Fauré représente le goût classique. On l'a comparé à Schumann et à Schubert, c'est très flatteur. Il n'est pas encore de l'Académie, mais il y entrera un jour et ce sera la deuxième fois que l'on parlera de lui.

                                                                                                                        Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 27 mai 1906.

Nota de Célestin Mira:

Gabriel Fauré est né en 1845, à Pamiers, où son père était instituteur. Il n'a pas été l'élève du Conservatoire, où il entra seulement comme professeur de composition en 1896, après avoir été successivement organiste à Rennes (1866), puis dans les églises de Paris: Saint-Sulpice (1870), Saint-Honoré, La Madeleine (1896).
Parmi ses compositions on apprécie surtout ses mélodies, sur des paroles de Verlaine, de Baudelaire, d'Albert Samain etc., ses œuvres religieuses: Requiem, Ecce fidelis, Tantum ergo; des morceaux d'orchestre: La Naissance de Vénus, Prométhée, musique pour Caligula, Shylock, Pelleas et Mélissande, des morceaux de piano, etc.



Gabriel Fauré: il pleure dans mon coeur, poème de Verlaine.








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