mercredi 18 septembre 2019

Celles de qui on parle.

Mme Bartet.

Sans être précisément une enfant de la balle, Mme Bartet appartient à une famille à qui les choses de théâtre sont depuis longtemps familières. Sa grand'mère a rendu à la Comédie-Française des services dévoués, mais sans éclat: elle n'était qu'une ouvreuse. Le père de Mme Bartet était également un serviteur de l'art: il faisait partie De la garde qui veille aux barrières du Louvre, c'est à dire qu'il était gardien de musée. (Les alexandrins viennent d'eux-mêmes quand on parle de la fameuse tragédienne.)
A douze ans, Mme Bartet, qui s'appelait alors Julia Regnault et qui accompagnait souvent sa grand'mère au théâtre, s'éprit follement du spectacle et de celui qui personnifiait à ses yeux l'art dramatique: Delaunay*. Instruit de cette passion, Delaunay désira connaître l'enfant: celle-ci lui déclara avec assurance qu'elle voulait faire du théâtre. Delaunay approuva... et la fit reconduire chez ses parents. On la plaça dans les modes. C'est très joli, les chapeaux et les fleurs, mais la petite tenait à son idée et manœuvra si bien, qu'aidée par une actrice, Mme Pruvost-Pousin et son camarade Régnier*, elle quitta à dix-sept ans l'atelier pour le Conservatoire.
Régnier l'avait prise dans sa classe. Au bout de deux ans, elle en sortit avec un second accessit de comédie seulement. Elle relevait de maladie et était passée devant le Jury à la fin de la journée, après toutes ses concurrentes: peut être son jeu avait-il été moins brillant que celui des autres. Francisque Sarcey* fut un de ceux qui en pénétrèrent le charme et la délicatesse.
Depuis cette époque (1873) la carrière de Mme Bartet* se raconte en quelques mots: elle a joué au Vaudeville pendant sept ans et ensuite au Théâtre Français, où elle fut nommée sociétaire en moins d'un an et demi et dont elle est aujourd'hui la doyenne.



De son talent, je ne dirai que peu de choses car il est inutile d'ajouter des épithètes à toutes celles qu'on lui prodigue généralement et qui se résume dans le surnom flatteur qui est le sien: la divine. Si elle a séduit tant d'admirateurs, c'est, je crois, grâce à la mesure, au tact dont elle a fait preuve; c'est à cela qu'elle doit d'être toujours égale à elle-même, soit qu'elle aborde la tragédie ou la comédie.
Par contre, certains critiques l'accusent d'impassibilité et regrettent de ne pas trouver dans son jeu ces élans de passion qui ont fait la réputation de Sarah Bernhardt.
Cette mesure que Mme Bartet met dans l'expression de ses rôles, comme dans ce qu'elle livre de sa vie privée, lui vaut une grande considération dans la compagnie solennelle à laquelle elle appartient. Les pouvoirs publics eux-mêmes ont arrêté leur attention sur cette artiste qui s'est consacrée à son art, et on lui a donné, pour ce simple motif, la croix de la Légion d'honneur. C'est la première comédienne qu'on ait décoré, pour sa carrière d'artiste, sans chercher à justifier cette faveur par des prétextes pris au dehors du théâtre.
Ah! pourquoi faut-il que Mme Bartet, qui avait donné une nouvelle preuve de son intelligence en se réjouissant de cette victoire sans fracas, pourquoi a-t-elle adhéré à l'Oeuvre des Amis des éléphants? Dites-nous, Madame, ce que vous avez à faire avec ces intéressants mais lourds pachydermes, et quel concours vous donnerez à ceux qui ont formé le noble projet d'en perpétuer l'espèce? Vous ne songez pas sérieusement à prendre part à une représentation au bénéfice des éléphants veuves et orphelins? Vous n'allez pas renvoyer votre dévouée femme de chambre pour la remplacer par un de ces ruminants, même s'il vous arrivait au bras de votre camarade Truffier* qui s'est déclaré, lui aussi, ami des animaux à trompe. On vous en conjure, cessez de penser à l'avenir des éléphants et d'assombrir par ce souci votre front; sans quoi, nous serions contraints, nous, de fonder "l'oeuvre des amis de Mme Bartet", pour protéger contre elle-même l'exquise interprète de Sophocle et d'Hervieu.

                                                                                                                                   Jean-louis.

Mon Dimanche, revue populaire et illustrée, 3 juin 1906.

* Nota de Célestin Mira:

* Delaunay:

Louis Arsène Delaunay.

* Régnier:

François Regnier de la Brière.


* Francisque Sarcey:



* Mme Bartet:

Jeanne Julia Bartet.

* Truffier:

Jules Truffier.

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