samedi 31 août 2019

Ceux de qui on parle.

M. Georges Berr.

M. Georges Berr est l'un des plus fermes piliers de la Comédie (ne pas lire l'Académie) Française. Coquelin Cadet assure qu'il rappelle à Le Bargy* Got* et que Paul Mounet* révère Berr. C'est cependant l'un des plus jeunes sociétaires, puisqu'il n'a pas encore trente neuf ans, mais il a su faire son chemin de bonne heure.
Sorti à dix-neuf ans du conservatoire, où il avait reçu les leçons de Got et un premier prix de comédie, il entra au Théâtre-Français pour ne plus le quitter. Son rôle de début fut celui de l'Intimé, des Plaideurs, où il eut un grand succès. Depuis vingt ans il joue, dans le répertoire classique ou moderne, des emplois d'amoureux transis, de paysans finauds, quelque chose comme les Agnès mâles, où il remplit ces rôles avec autant de sincérité qu'il est possible.
Son jeu est sobre et fin, sa diction extrêmement nette et il est, je crois, le seul acteur de la Comédie-Française qui sache distinguer les vers de la prose, excepté toutefois dans les œuvres de M. Jean Aicard.



A vingt-cinq ans, M. Georges Berr passa sociétaire et il fut nommé huit ans après, professeur au Conservatoire. Sa classe est très recherchée, bien qu'il soit sévère, parce qu'il s'occupe beaucoup de ses élèves. Il pousse la complaisance jusqu'à s'informer des études qu'ils font en dehors du Conservatoire, et de crainte qu'ils ne gâtent leur talent en apprenant des pièces médiocres, il leur fait jouer les siennes toute l'année. Voilà un bon maître. On juge quelle figure fait auprès de lui M. Le Bargy qui n'a même pas écrit un acte pour Déjazet.
La littérature dramatique, voire poétique, a de nombreux adeptes à la Comédie-Française: on pourrait compter sur les doigts les pensionnaires ou les sociétaires qui n'ont écrit ni un vers ni une pièce de théâtre. Il faut croire que le métier d'acteur laisse beaucoup de loisirs et qu'il est plus difficile que celui d'auteur, car on voit très peu d'hommes de lettres arrivés s'essayer sur les planches. M. Georges Berr est plus heureux que tous ses camarades, car, après avoir donné ses œuvres sur différentes scènes, il voulut en faire jouer une au Théâtre-Français même, et il y a réussi. Je n'oserais en dire autant de la pièce.
M. Georges Berr est superstitieux: il avoue lui-même qu'il est ravi de voir un corbeau ou une pie passer de sa gauche à sa droite, mais qu'il n'aime pas les voir voler dans le sens contraire. Je souhaite que pendant le long temps qui lui reste à vivre, il ne connaisse pas de plus amères déceptions que celles qu'a pu lui causer le vol des oiseaux.

                                                                                                                                     Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 mars 1906.

* Nota de Célestin Mira:

* Le Bargy:


Charles Le Bargy.


Madame Simone décorant son époux
l'acteur Le Bargy.
* Edmond Got:


Edmond Got.
Comédie française.



* Paul Mounet:

Paul Mounet, acteur, Comédie française.
(1882)


* Virginie Déjazet:


Drapeaux français.

Drapeaux français.



La chape de Saint-Martin
de 373 à 1124.

La bannière royale sous Louis VII.

Drapeau sous Saint-Louis.

Étendard sous le roi Jean.
(Les étoiles ont remplacées les fleurs de lys.)





Drapeau sous Charles VII.



Drapeau de la maison d'Harcourt
de 1372 à 1400.



Étendard de 1423 à 1461.


Étendard sous Charles VII.


Étendard en 1525.


Drapeau du régiment soissonnais
sous Louis XIV (1684).


Drapeau du régiment d'Anjou
sous Henri IV (1604).



Drapeau de soldats matelots sous le titre
de régiment étranger de Dunkerque. 


Drapeau du régiment des gardes Suisses
sous Louis XVI en 1788.


Drapeau de la 72e demi-brigade.


Drapeau de la 73e demi-brigade.


Drapeau de la 74e demi-brigade.

Drapeau de la 75e demi-brigade.


Drapeau de la première restauration
(1814-1815).


Le Mois littéraire et pittoresque, janvier-juin 1911.

jeudi 29 août 2019

Parallèle.

Parallèle.


A Kiel, on vient de lancer deux cuirassés...
et à Paris, la jupe-culotte!

                    (Du Cri de Paris)

Le Mois littéraire et pittoresque, Janvier-Juin 1911.

mercredi 28 août 2019

Brûlez votre robe, madame...

Brûlez votre robe, madame...

C'est la mode nouvelle à San-Francisco, qui veut qu'on remplace le teinturier dégraisseur par une bonne flambée de bois sec, lorsque  de vilaines taches déshonorent la correction des vêtements.
Le dernier cri, là-bas, est aux complets et robes tailleur en asbeste, substance filamenteuse et souple qui résiste à des températures extraordinaires et dont l'amiante est une des variétés. Ils sont extra-légers et l'effet en est joli, dit-on. Maculés, on les envoie chez un industriel spécialement outillé qui les chauffe à blanc et vous les réexpédie propres et aseptiques;
Le prix de revient de ces costumes ne dépasse pas de beaucoup ceux en drap et leur résistance à l'usure est comparable à celle des vêtements de nankin qu'affectionnaient nos pères.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er avril 1906.

Le Musée des Têtes tranchées.

Le Musée des Têtes tranchées.




Le musée Broca, 2, rue de l'Ecole de Médecine.

Dans l'enfoncement que forme la rue de l'Ecole de Médecine, ci-devant rue des Cordeliers, s'élève une grande bâtisse fortement noircie par le temps, coiffée d'un comble très élevé, avec pignon aux deux extrémités, percée sur les côtés de grandes fenêtres ogivales. C'est l'ancien réfectoire des Cordeliers que la munificence d'Anne de Bretagne fit construire au XVe siècle, à côté de la basilique du chapitre et du cloître aujourd'hui disparus*. C'est là qu'après l'expulsion des ordres religieux, le club des Cordeliers vint tenir ses premières assises, que C. Desmoulins publia son journal Le Vieux Cordelier, et que, dans le jardin y attenant, Marat fut enterré le 16 juillet 1793. Passez le portail; au rez-de-chaussée est installé le musée Dupuytren, qu'on ne visite qu'avec une autorisation spéciale du concierge. A votre gauche, prenez le petit escalier tortueux et mentez-le jusqu'au troisième. Et vous voilà à la porte du musée Broca, dont le public ignore à peu près l'existence. Je gage qu'à l'époque romantique, il eût été un lieu de pèlerinage à la mode et que la littérature fantastique de cette génération y fut  venue volontiers renouveler son inspiration.

Vision macabre.

Dans la galerie qui y accède, d'immenses vitrines remplies de crânes: il y en a de tous les temps et de tous les pays, de Portugais des Açores, de Berbères de Biskra, de sauvages de la Guinée, du Gabon, du Congo, du Bengale; de nègres de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Nouvelle-Calédonie, du Sénégal, de Taïti, etc., etc.
Dans l'unique salle du musée, même spectacle: l'horrible le dispute au grotesque. Ce ne sont que crânes grimaçants, masques bouffons de laideur, squelettes qui ont l'air de danser la danse des Morts. dans toutes ces vitrines, comme à des fenêtres, la mort se donne en spectacle à la Vie; la même vision: toujours ces grosses billes d'un blanc jaunâtre et sans reflet, percées de ces trois trous envahis d'une ombre effrayante, s'étageant les unes sur les autres; toujours ces spectres aux chairs décomposées et terreuses, où la souffrance, le râle et la terreur ont marqué une empreinte indélébile. Devant soi, autour de soi, au-dessous de soi, la mort dans toutes ses agonies, où la vie avec toutes ses malfaçons. Sur tout cela plane l'écrasant silence d'un immense tombeau, nul bruit venu du dehors ne franchit le seuil de ce musée. Cette visite est une méditation.

Les avortements de la vie.

Un peu plus loin, la vie déroule ses avortements monstrueux; elle étale, dans ses fruits mal venus et dans ses rejetons informes, les caprices saugrenus, les fantaisies burlesques d'une imagination démoniaque. Ici, ce sont les faces blafardes des microcéphales*, avec leur nez proéminent comme une proue de navire, les oreilles rabattues ainsi que des auvents, la bouche élargie où le dernier soupir semble avoir fixé le dernier sourire d'hébétude. Qu'a-t-il pu se passer dans ces crânes gros comme le poing, au front fuyant, à la mâchoire projetée en avant et semblable à un groin? Voisinant avec les petites têtes, voici la file des grosses têtes: imaginez le visage émacié et délicat d'un être maladif, surmonté d'une énorme citrouille, tels sont les hydrocéphales*.



A droite, tête de microcéphale;
à gauche, un hydrocéphale.

A côté, une extravagance plus délirante encore: un œil énorme, prodigieux, d'un bleu éteint, qui occupe à lui seul la presque totalité d'une figure d'enfant, le nez pareil à un pois chiche greffé sur une lèvre en bec de lièvre.


Crânes de monstres humains;
au centre, une tête portant un œil, au milieu du front.

Puis défilent les nombreuses déformations des membres: mains déplacées de leur axe, pieds identiques à des mains, doigts multipliés.

Les estropiés de la mode.

Pour nous changer de ces horreurs, faisons quelques pas: ici la laideur est moins choquante car elle a quelque chose de la parodie et de la mascarade.
En voici qui sont aussi plaisantes que curieuses, ce sont celles qui résultent d'une mode qui eut son temps ou d'une esthétique qui fut propre à certains peuples. Les unes, comme les déformations observées dans le Tarn, la Haute-Garonne, l'Hérault, qui consistent dans une dépression annulaire au milieu de la tête, ou dans l'aplatissement et le rejet en arrière de la partie frontale, proviennent de l'usage de certaine coiffure en carton dur, dont on affublait autrefois les enfants, et dont les femmes même faisaient leur plus bel ornement*. Tout proche, la variété des déformations ethniques: crânes en pointe, crânes bosselés, crânes en forme de barque, crânes en tronc de cône*. Admirez, c'était alors l'idéal du goût, des vertus guerrières, de la force et de la beauté. Des bandelettes enroulées sur des planchettes, des compresses de terre glaise, appliquées savamment à l'endroit voulu, produisaient ces merveilleuses difformités.

Le coin du crime.

Mais voici plus actuel, voici surtout plus sensationnel. Devant moi, sur une étagère aux autres pareilles, des crânes sont soigneusement rangés, ni plus beaux, ni plus repoussants que les autres. Je m'approche et je lis: Criminels. Et tout au bas de la vitrine, j'aperçois rangés dans une discipline parfaite, servies sur un plateau de bois, les têtes d'une bonne douzaine de décapités. La science a sauvé de la poussière ceux que la justice destinait à l'oubli.
Voici les deux derniers venus: Vacher* d'abord, le sinistre coureur des campagnes, dont l'exécution en 1898 mit fin au sacerdoce du père Deibler*; puis Carrara* qui, de complicité avec sa femme, assassina le garçon de recette Lamarre, dont il incinéra le corps dans une champignonnière. A côté, cette tête à menton court, à favoris ras, est celle d'Emile Henry*, anarchiste, exécuté en en 1894, l'auteur de l'attentat de la rue des Bons-Enfants et du café Terminus. Qui ne se rappelle de l'attitude de ce jeune homme de vingt et un ans, revendiquant toute la responsabilité de ce qu'il appelait des "actes de justice" et se refusant à signer un pourvoi en cassation ou un recours en grâce? Voici Ribot et Jeantroux*, deux gamins de dix-huit ans, qui assassinent en 1890 une laitière, rue Bonaparte. Celui-ci est Gagny*, l'assassin de la Gloire-Dieu, à Troyes; son voisin est l'abject Kaps*, qui tue et mutile ensuite un menuisier du faubourg Saint-Antoine. Crampon* est ce cambrioleur qui, surpris dans sa besogne, se sauve par les toits d'une maison de la rue Saint-Denis, en abattant trois personnes. Ici, le triste héros de l'affaire Ducros de Sixte*. Qui était-il exactement? On ne le sut jamais. Campi était le nom qu'il prétendait avoir; il en avait un autre cependant, qu'il s'était fait tatouer sur le milieu du front: Pas de chance. Signe particulier, le nez est nettement cassé à sa naissance et dévié sur la droite sur toute sa longueur.
La liste est longue encore: citons Pranzini*, de célèbre mémoire, avec ses pommettes saillantes, son nez épaté et son féroce sourire, Barré et l'étudiant en médecine Lebièze*, les criminels de la rue Poliveau; Prévost*, le sergent de ville, meurtrier d'un garçon de banque et de Mlle Blondin; Menescloux* enfin, qui dépeça en morceaux une pauvre fillette. Dans une autre vitrine, fraternisant avec Lemaire, un parricide de dix-neuf ans, exécuté en 1867, se trouve le crâne de Frémont, l'assassin de P.-L. Courier.
Accrochés à une tringle, parmi quantité de squelettes de toutes provenances, se balancent ceux de quelques autres assassins, dont le plus célèbre est Gamahut*, qui monta sur l'échafaud en 1885. Tout en face, le squelette d'un homme géant, qui mesurait 2,14 m, et celui du célèbre Leroy, l'homme sans bras.


Squelette d'un géant de 2,14 m.
A droite et à gauche, squelettes d'assassins.

Mais à 4 heures viennent de tinter leurs coups grêles; dans l'obscurité qui lentement a envahi la salle, je crois voir s'animer tous ces spectres de la mort et je me hâte d'échapper à l'obsédant regard de ces milliers d'orbites emplies de mystérieuses ténèbres.

                                                                                                         Johannès Gros.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 25 mars 1906.


* Nota de Célestin Mira:

* Musée Broca:


Musée Dupuytren, de 1835 à 1937,rue de l'Ecole de Médecine,
aujourd'hui lieu d'expositions temporaires artistiques.

* Microcéphale:


Zip, microcéphale du cirque Barnum.


* Hydrocéphale:

Crâne de Léon d'Astros, surnommé l'hydrocéphale de Marseille,
vivant au XVIIe siècle.


* Déformation du crâne:




"Jusqu'au XIXe siècle, plus de la moitié de la France a déformé le corps des nouveau-nés et des jeunes enfants: le nez, les oreilles, la luette, les bouts de seins étaient modifiés, refaits; mais c'était le crâne surtout qui était l'objet de ce remodelage: il était allongé ou arrondi, car les techniques de contention variaient suivant les lieux. Si les déformations concernaient les deux sexes, la déformation crânienne était généralement plus accentuée chez les femmes à cause de la coiffe."
    
Refaire le corps. Les déformations volontaires du corps de l'enfant à la naissance.
Jacques Gélis, Université Paris VIII.


* Déformations crâniennes:


Techniques de déformations crâniennes.

Déformation crânienne pratiquée par les Incas.

Il semble que les déformations de ces crânes retrouvés au Pérou
 marquaient un rang social élevé.
Elles étaient pratiquées dès le plus jeune âge.

* Joseph Vacher:


Joseph Vacher, surnommé le "tueur de berger" ou "Jack l'éventreur du Sud-Est"
fut l'un des premiers tueurs en série français.
Vacher a inspiré Bertrand Tavernier pour son film: "Le Juge et l'Assassin".


* Anatole Deibler:

Anatole Deibler fut l'un des plus célèbres bourreaux français.
Il exécuta 395 condamnés à mort.


* Xavier-Ange Carrara:


Xavier-Ange Carrara, champignonniste, brûlant le corps d'Augustin Frédéric Lamare, garçon de recette.




* Emile Henry:

Emile Henry.
Attentat commis par Emile Henry.

* Ribot et Jeantroux:

Henri Ribot.

Albert Gentroux.


* Gagny:

Gagny, accompagné d'un complice Arnould,
fracasse la tête d'Adérit Delahache, de sa mère et de la bonne,
et s'empare du contenu du coffre-fort.





* Kaps:



* Eugène Crampon:




* Affaire Ducros de Sixte:


De son vrai nom inconnu, dit Michel Campi.
il assassina à coup de marteau, à son domicile  rue du Regard, à Paris,
l'ancien avocat Ducros de Sixte.
* Pranzini:


Henri Pranzini.

Le triple assassinat de Pranzini.


* Barré et Lebièze:



* Prévost:

Victor Prévost, surnommé le boucher de la Chapelle ou le bel homme.





* Ménescloux:



* Gamahut:


Gamahut, ancien moine devenu lutteur de foire. Il assomma à coup de bouteille et il égorgea Mme veuve Ballerich au 145 rue de Grenelle pour lui voler 2,50 Fr.


M. Tan-Tan:

Cerveau de Leborgne.
M. Leborgne, admis à l'hôpital Bicêtre en 1840, présentait un trouble de langage sévère ne pouvant prononcer que le mot "Tan" qu'il répétait souvent deux fois. C'est pour cette raison qu'il fut surnommé M. Tan-Tan. On sait aujourd'hui que M. Leborgne souffrait d'aphasie expressive ou aphasie de Broca,  du nom du médecin qui examina son cerveau présent au musée Dupuytren.