samedi 8 juin 2019

Personnages de l'ancien théâtre.

Personnages de l'ancien théâtre.


Arlequin* avait un grain de philosophie; c'est lui qui disait:" Si Adam s'était avisé d'acheter une charge de secrétaire du roi, nous serions tous gentilshommes." Il disait encore: "Autrefois les gens de qualité savaient tout sans rien avoir appris; mais à présent ils apprennent tout sans rien savoir." Nul type n'a été plus employé que celui-là.
Pierrot* ne fut inventé que pour jouer les rôles de l'ancien Arlequin: lorsque celui-ci eut acquis la réputation d'un homme d'esprit, c'est au pauvre Pierrot qu'échut l'héritage de la bêtise.
Colombine* était la compagne obligée des valets maîtres fourbes; c'était la fille alerte et rusée, tour à tour maîtresse ou suivante, amante de Celio* l'amoureux ou d'Arlequin serviteur, tient plus du caractère français que les autres types. Colombine est coquette avant tout.
Isabelle*, sa cousine, est une fille de bel air qui donne un peu dans le sentiment.
Le Capitan* tenait du soldat fanfaron de la comédie latine; son rôle, qui était peu agréable pour l'acteur, consistait à recevoir des coups de bâton supportés très patiemment après beaucoup de bruit et de rodomontades. Il avait vu le jour ordinairement en Calabre. Plus tard l'Espagne s'en empara; elle en fit les matamores*.
Polichinelle*, assurent quelques auteurs, ressemble aussi beaucoup au Maccus*, acteur des atellanes* des Latins. Voilà des origines bien respectables. M. Charles Magnin, l'intelligent érudit, a démontré, du reste, que les fantoccini* de Rome et de Florence sont renouvelés des Grecs. Il est curieux de remonter l'origine des marionnettes en France. Les fantoccini français n'ont été établis qu'en 1677, au Marais. On avait élevé un théâtre d'enfans, surnommé le théâtre des Bamboches, titre emprunté au surnom d'un peintre hollandais, nommé Laër, et surnommé Bamboche, parce qu'il se bornait à peindre de petites figures. Les bambochades eurent du succès; mais les directeurs trouvant que leur petite troupe était trop dispendieuse, imaginèrent d'employer de nouveaux acteurs moins coûteux à nourrir, à loger, à vêtir. Ils formèrent alors une troupe d'acteurs de bois, et s'en trouvèrent bien. Ils n'eurent plus à contenter les exigences de chacun. Les jalousies, les rivalités de coulisses furent supprimées. Point de relâche par indisposition; point de rôle refusé: la paix régna dans la maison. Le cadre dramatique fut bientôt trouvé. On dit à Polychinelle: Toi, tu seras invulnérable et toujours triomphant; à Cassandre*, Tu seras toujours dupé; à l'aveugle, Tu te laisseras tuer; au commissaire, Tu seras battu; aux archers, Vous serez emportés par le diable. Nul acteur ne murmura. Ce qui fut dit, fut fait, et voilà, deux cents ans que la pièce se recommence, quatre ou cinq fois le jour, sur toutes les places publiques du monde civilisé.
Scapin* appartenait au pays d'Arlequin, il était de Bergame; c'était un fourbe de première volée, toujours prêt à servir les amours des jeunes gens, à tirer de l'argent des pères, et ayant eu l'honneur de servir le roi sur ses galères. Ce Scapin est devenu un personnage de la comédie française. Il a engendré les Frontin, les Hector, les Lafleur, et toute cette race des valets fripons et libertins. 
Mezzetin* doublait les Scapins, mais sans le manteau de velours et la dague que les Crispins *de Regnard conservèrent; il portait une fraise, une petite veste, une culotte et un manteau d'étoffe rayée de différentes couleurs. Il a donné naissance au Gros-René* et aux Covielle*. Mezzetin était quelquefois aussi un bourgeois à aventures; il avait une crédulité apparente, mais au fond on ne lui en donnait pas aisément à garder; il devinait les bourdes auxquelles il faisait semblant d'ajouter foi. Angelo Constantini* passe pour avoir inventé ce caractère, et l'on raconte même une aventure singulière arrivée à cet acteur, qui avait pris le surnom de Mezzetin. Auguste, roi de Pologne, le fit son camérier intime, trésorier de ses menus plaisirs, garde des bijoux de sa chambre... Mais parmi ces bijoux se trouvait sa maîtresse, et Angelo osa jeter les yeux sur elle. Il s'émancipa jusqu'à agir avec cette dame illustre comme il le faisait avec Colombine. Le roi Auguste le fit jeter dans un cachot. Il y resta vingt ans. On l'avait cru mort à Paris. Il reparut en 1729; il avait alors soixante quinze ans. On a de lui sous le nom de Mezzetin, quelques pièces de théâtre, et la Vie curieuse de Scaramouche.
Le chapeau rond, la fraise, le justaucorps noir à basques courtes, la ceinture de cuir jaune avec une grande boucle de cuivre, le manteau noir, les moustaches, l'épée et les bottines, voilà le costume de Crispin. Pourquoi celui-là, et non un autre? On a prétendu que c'était celui des déserteurs espagnols qui, après avoir fait une vie de miquelets, s'étaient vus forcés, pour subsister,  d'entrer au service des personnes riches qui voulaient avoir des hommes de main comme domestiques. Crispin se vante en effet d'avoir servi; il est certain d'ailleurs que le costume, conservé par la tradition, est d'origine espagnole. Crispin n'est pas plus brave qu'il ne faut; mais, à l'occasion, il paiera de sa personne; il fera du moins voir sa grande épée; c'est l'homme qui en imposera aux tuteurs et les fera trembler. Crispin est naturellement fanfaron: il a de l'esprit, il plait à Marinette par sa bonne mine; il a toujours l'air de revenir de la guerre; il raconte volontiers les campagnes qu'il n'a pas faites.
Le caractère de ce valet fut inventé, en 1630, par le comédien Raimond Poisson, autrement dit Poisson l'ancien, pour le distinguer de son fils et de sont petit-fils François Arnould, qui, plus tard, continua les traditions de son aïeul et de son père, et surpassa même leur réputation.
Pasquin* est intrigant, bel esprit, beau parleur et menteur en diable: aussi est-il rarement cru; il a mauvaise réputation, et il brouille plus souvent les affaires de son maître qu'il ne les raccommode. s'il faut tendre la main pour recevoir une bourse, oh! Pasquin est là; il ne la laissera pas tomber à terre, ne le craignez pas. Mais comme Pantalon*, poursuivi par un guignon inévitable, Pasquin mène rarement les choses à bien. Pasquin s'amuse trop à jaser avec les suivantes. Ce sont ses propres intérêts qui l'occupent avant tout. Voulez-vous rendre Pasquin le plus heureux des hommes? placez-le dans les Jeux de l'amour et du hasard, habillez-le en grand seigneur; qu'il croie courtiser une belle de condition, qu'il ait l'épée au côté... Alors Pasquin se déploiera dans toute sa splendeur! Quelle pirouette, quelle démarche déhanchée! la belle insolence!...
Scaramouche* était Napolitain; il jouait aussi les rôles des fanfarons poltrons. Scaramouche doublait les Capitans. Il obtint les bonnes grâces de Louis XIV; pendant plus de trente ans, il divertit ce prince. Louis XIV daigna un jour lui verser à boire; lorsqu'il eut vidé son verre, le roi lui demanda de quel pays il croyait ce vin: "Sire, reprit Scaramouche, le plaisir que j'ai eu en le buvant m'a empêché d'y réfléchir." Sa Majesté, et c'était ce que coulait Scaramouche, lui versa un second verre de vin pour connaître son opinion. Mazarin lui dit à ce sujet: "Tu peux te vanter que le plus grand monarque du monde t'a versé à boire. - Je ne manquerai pas de le dire à mon boulanger, reprit Scaramouche.- Eh bien! reprit Louis XIV qui était de bonne humeur, tu lui diras aussi que j'augmente ta pension de dix pistoles."
Scaramouche, n'ayant mangé un jour qu'une grosse poularde à son dîner, sentit que sa fin était proche... En effet, il était mort le lendemain, mais non sans confession! Il avait le don des grimaces; il était ce qu'on appelle, en termes de coulisses, bien facé. Il se présenta comme un acteur consommé dans une troupe nomade; il demanda à paraître d'abord dans le Festin de Pierre, "qu'il estimait sur toutes les autres comédies, dit Mezzetin, à cause du repas qu'on y fait." Il paraît qu'à le seconde représentation, le directeur, satisfait de ses talens, lui fit servir un gros poulet d'Inde, deux perdreaux et une tourte de pigeonneaux. Il expédia le tout aux grands applaudissemens du public.
La galerie des acteurs du Théâtre-Français nous offre d'abord les noms singuliers de Turlupin*, Bruscambille, Gaultier- Garguille*, Gros-Guillaume*, farceurs dont la réputation s'est conservée jusqu'à nos jours. Quelques-uns d'entre-eux jouaient des rôles de femmes, car la licence du théâtre ne permit pas dans le principe aux femmes de s'y montrer. Si l'on en croit les recueils d'anecdotes, le cardinal de Richelieu ordonna l'admission de Turlupin, de Gros-Guillaume et de Gaultier-Garguille, à l'hôtel de Bourgogne, après leur avoir fait jouer des scènes burlesques dans son propre palais. Bruscambille improvisait des intermèdes dont nous n'oserions citer ici les argumens. Gaultier-Garguille remplissait d'ordinaire les rôles composés d'après le Pantalon de la comédie italienne, dont nous venons de retracer le caractère; il portait un masque et s'acquittait convenablement des rôles sérieux. Il avait épousé la fille du célèbre Tabarin qui représentait des parades sur le Pont-Neuf*. Gros-Guillaume jouait à visage découvert, ou plutôt avec un masque de farine au moyen duquel, en remuant les lèvres adroitement, il blanchissait ses interlocuteurs.
Guillot Gorju*, acteur masqué, remplissait les rôles de médecins ridicules, personnages mis au théâtre avant Molière; il avait été élevé à l'école d'un opérateur. C'est ce Guillot-Gorju dont Molière, au dire d'un zoïle du temps, avait acheté ses manuscrits.
Jodelet* servit de type à Scarron*. Mondory* est le premier acteur sérieux qui ait réellement marqué. Mondory avait une déclaration ampoulée. On prétend que le rôle d'Hérode, dans Marianne, fut cause de sa mort: il le jouait avec trop de chaleur. Mondory était un homme d'esprit; il faisait des vers agréables; il était bon orateur. Il eut la faveur du cardinal de Richelieu.
Bellerose, autre acteur de renom, était, si l'on en croit Tallemant des Réaux, un "comédien" fardé, qui regardait où il jetterait son chapeau, "de peur de gâter ses plumes." Scarron lui a fait à peu près le même reproche dans son Roman comique. On croit que Bellerose a joué d'original le rôle de Cinna. Tallemant des Réaux lui préférait d'Orgemont. Michel Baron*, père du célèbre Baron, acquit aussi une belle réputation.
Floridor, gentilhomme sans fortune, prit le parti du théâtre, et y apporta la grâce et la noblesse du monde. Il gagna l'estime de Louis XIV et celle de Molière, lui fit la faveur de ne pas l'attaquer dans son Impromptu de Versailles, où il passa en revue la troupe rivale de l'hôtel de Bourgogne.
La Baron, la Béjart*, la Beauchâteau, la Baupré, Mlle des Urlis se distinguèrent dans ce temps. On cite entre ces deux dernières un duel à l'épée qui eut lieu sur le théâtre. Mlle des Urlis fut blessée au cou.
Enfin Molière se fit connaître comme acteur, et voici de quelle façon cavalière Tallemant des Réaux en parle:" un garçon nommé Molière quitta les bancs de la Sorbonne pour suivre la Béjart!... Il fait des pièces où il a de l'esprit. Ce n'est pas un merveilleux acteur, si ce n'est par le ridicule. Il n'y a que sa troupe qui joue ses pièces; elles sont comiques." Tel est le jugement porté par Tallemant des Réaux sur l'auteur du Dépit amoureux et de l’Étourdi, les seules pièces que le garçon nommé Molière eût alors composées.

                                                                                                       Hippolyte Lucas.

Le Salon littéraire, dimanche 18 juin 1843.

Nota de Célestin Mira:

* Arlequin:



* Pierrot:



* Colombine:



*Celio: Il s'agit probablement de Lelio.



* Isabelle:


* Le Capitan:




* Matamore:



* Polichinelle:




* Maccus:



* Masque des atellanes:




* Fantoccini:




* Cassandre:




* Scapin




* Mezzetin:




* Crispin:




* Gros-René:


Marinette et Gros-René
dans le Dépit amoureux
de Molière.

* Covielle:




* Angelo Constantini:


Angelo Constantini
 dans le rôle de Mezzetin.

* La Vie curieuse de Scaramouche:




* Pasquin:


Statue de Pasquin à Rome.

* Pantalon:




* Scaramouche:



* Turlupin:



* Gaultier-Garguille:




* Gros-Guillaume:


* Tabarin sur le Pont-Neuf:


* Guillot Gorju:


* Jodelet:


* Scarron:



* Mondory:



* Michel Baron:



* Béjart:


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