mercredi 8 mai 2019

Les bêtes condamnées par les tribunaux.

Les bêtes condamnées par les tribunaux.



Les animaux qui causent la guerre civile.

Tous les ans, le nombre est plus grand des Parisiens qui s'en vont habiter la banlieue, dans l'un de ces coins délicieux de verdure, l'été, que l'on trouve encore, en cherchant un peu, dans les environs de la capitale.
Or, ceux-là seuls qui ont habité des sites de plaisances savent les rivalités, les querelles qu'engendrent les animaux qualifiés de domestiques.
Qui dira les dégâts causés par les chats, dans les plates bandes, par les chiens dans les pelouses, même par les tendres pigeons. Heureux encore lorsque les querelles ne se terminent pas par quelques invectives, car souvent il arrive qu'un grincheux assigne son voisin devant les tribunaux, le rendant responsable, au civil, des méfaits de sa bête.

L'accusé Cochon et le cambrioleur Chat.

Lointainement, au temps du moyen âge, l'on incriminait point les propriétaires, c'était directement que l'on assignait: reconnu coupable, la bête était condamnée, puis exécutée bel et bien. On a conservé de ces curieux procès des sentences nombreuses: M. Albert Denis, un avocat et un chercheur, en a dressé la nomenclature la plus intéressante.
Il convient d'établir, d'abord, deux catégories: les bêtes étaient traduites en justice pour méfaits isolés, et c'était alors de véritables procès criminels, jugés en général par des juges laïques; ou bien, on s'en prenait à une espèce entière, qui, en raison de sa façon de vivre, causait dommage aux populations; tels les rats, les hannetons, limaces, chenilles, sauterelles et autres insectes, s'attaquant aux vignes, parfois aussi les oiseaux, les poissons.
Les crimes les plus fréquents, de la première sorte, provenaient de blessures causées par un animal domestique, blessures ayant ou non occasionné la mort. Les criminels ordinaires étaient des bœufs ou des taureaux ayant fait de leurs cornes usage meurtrier, des chevaux ou mulets, ayant, d'une ruade, blessé ou tué, et surtout, les porcs convaincus d'avoir dévoré des enfants.
On reprochait également aux animaux d'avoir contrevenu aux lois de la nature. ils étaient alors considérés comme coupable de sorcellerie et subissaient la peine du feu. Ainsi une brebis, ayant, en 1490, à Pont-à-Mousson, eu un agnelet pourvu de cinq pattes, fut jugée, condamnée, brûlée vive, en bonne et due forme. Une autre affaire dite de sorcellerie se déroule à Metz. Là, dans une ruelle d'un très vilain quartier, habitait, avec son chat, une pauvre vieille aux allures étranges. Le chat, probablement mal nourri, avait pris la fâcheuse habitude de se procurer gratis des suppléments chez le boucher du coin. Un beau soir, ce dernier, se mit en embuscade, et, au moment où le matou allongeait sa griffe, il reçut sur la patte un coup de hache.




Le malheur voulut que la vieille, s'étant blessée, sortit le lendemain, le bras en écharpe. Il n'en fallut pas plus pour la faire accuser de sorcellerie: on prétendit qu'elle-même et le chat ne faisaient qu'un et que le soir, métamorphosée en bête de race féline, elle allait au marché, commodément, sans bourse déliée. Le chat fut pris, brûlé. Quant à la bonne femme, il est probable qu'elle trouva le quartier malsain pour elle et qu'elle déménagea en sourdine, laissant ses voisins convaincus qu'elle avait été brûlée sous la forme chat.

Œil pour œil, dent pour dent.

Mais, sauf dans ces procès de sorcellerie, de magie où le feu se trouvait le châtiment tout indiqué, les juges semblent avoir été inspirés par le souci de rendre à la bête le mal pour le mal et de lui appliquer, dans toute sa rigueur, la peine du talion. C'est comme cela qu'en 1386, une truie ayant déchiré le visage et les bras du fils d'un artisan de Falaise, fut condamnée à être mutilée de la même manière. Quand l'animal fut amené au lieu de supplice, il était accoutré d'une veste, d'un haut de chausse et de gants et, afin que l'illusion fut complète, il portait sur la tête un masque représentant une figure harmonieuse.




En 1389, les échevins de Dijon condamnèrent à mort un cheval pour avoir méchamment occis un homme. En 1527,  la même peine fut prononcée à Brionne contre un cheval rétif, coupable d'avoir cassé la jambe à un manant. Un taureau homicide fut pendu, en 1512, par l'exécuteur de Metz, sur le chemin de Sainte-Barbe, lieu de la perpétuation du crime.

Pour pendre une truie.

Après l'histoire des procès, celle de l'exécution telle qu'elle est établie par l'attestation que voici, du baille de Mantes, datée du 15 mars 1413, pour les frais de la pendaison d'une truie qui avait dévoré un enfant:

" A tous ceux qui ces lettres verront, Symon de Baudemont, lieutenant à Meullent, de noble homme Mons-Jehan, seigneur de Maintenon, chevalier chambellan du roy nostre sire, et son bailli de Mantes et dudit lieu de Meullent, salut.
Savoir fassions que pour faire et accomplir la justice d'une truye qui avait dévoré un petit enfant, a convenu faire nécessairement les frais, commissions et despens ci-après déclarés; c'est à savoir:
Pour dépense faite pour ladite truye dans la geôle: 6 sols parisis;
Item, au maître des hautes œuvres qui vient de Paris à Meullent faire ladicte exécution par le commandement et ordonnance de notre dit maistre le bailli et du procureur du roy: 54 sols parisis;
Item, pour la voiture qui mena ladicte truye à la justice: 9 sols parisis;
Item, pour cordes à la lier et haler: 2 sols, 8 deniers parisis;
Item pour gans: 2 deniers parisis.
Lesquelles parties font en somme toute: 69 sols et 8 deniers parisis; et tout ce que dessus est dict nous certifions estre vray par ces présentes, scellées de notre scel, et à greigneur confirmation et approbation de ce, y avons fait mettre le scel de la châtellente dudict lieu de Meullent, le quinzième jour de mars de l'an 1443.

                                                                                                                               Signé:
                                                                                                                      de Baudemont."

On le voit, des gants étaient fournis au bourreau pour lui éviter le contact avec l'animal. on respectait ainsi la dignité humaine.




Aujourd'hui, quand les animaux causent des dégâts, leurs maîtres ne font que s'injurier!


                                                                                                                       Edmond Le Roy.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, dimanche 14 mai 1905.

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