mardi 30 octobre 2018

La créatrice du Cours-la-Reine.

La créatrice du Cours-la-Reine.

Les occasions de s'attendrir sur le souvenir de Marie de Médicis sont extrêmement rares. Saisissons celle-ci au passage. Cette personnalité si peu parisienne doit être vénérée, en tant que marraine des Haussman et des Alphand. 
Dans les premières années du dix-septième siècle, la pleine campagne, la campagne utilitaire et laborieuse commençait aussitôt après les Tuileries. Au delà du jardin royal, des prés et des labours s'étendaient jusqu'aux vignes de Chaillot. La veuve d'Henri IV acheta tout un lot de terrains en bordure de la Seine; elle en fit démolir les masures paysannes. Trois allées, formées par quatre rangs d'ormes, remplacèrent les cabanes et les cultures. Cela fit une majestueuse promenade, fermée à ses deux extrémités par des grilles où la reine et ses dames se rendaient en carrosse pour prendre le frais. Le cours, long de plus de sept cents toises, allait de l'Abreuvoir-l'Evêque, hors la fausse porte des Tuileries, jusqu'à la Savonnerie de Chaillot. 


Les jardins actuels du Cours-la-Reine.

Cette allée était la première promenade plantée d'arbre que l'on voyait à Paris. Les ormes de la reine durèrent plus d'un siècle. Ils ne furent arrachés qu'en 1723, sous la surintendance du duc d'Antin. Le surintendant vint lui-même présider solennellement aux plantations nouvelles. Le Dictionnaire Historique de la Ville de Paris et de ses Environs rend hommage à son activité:
"Le duc d'Antin, pour lors surintendant des bâtiments du roi, fit la cérémonie de planter lui-même le premier de ses arbres et attendit que tous les autres le fussent."
Cette solennité mit la surintendance en goût de planter. Auprès du Cours-la-Reine, on traça des allées nouvelles parmi les terres labourables et les garennes. Et les Champs-Elysées se créèrent. Nous les devons, sachons le reconnaître à un caprice de Marie de Médicis. Cette petite réparation était due à la mémoire d'une personne qui n'est pas habituée à avoir une bonne presse. Une des découvertes de l'érudition moderne a été la réhabilitation morale et intellectuelle de Louis XIII. Nos anciens manuels scolaires s'accordaient à le présenter comme un malade et un pauvre d'esprit. Le moindre bachelier sait, aujourd'hui, qu'il fut un grand roi, épris de justice, sévère, appliqué, scrupuleux, et le plus magnifique soldat qui ait régné sur la France des lis. En revanche, sa mère est sortie en assez piètre état des mains des historiens. Toutes leurs enquêtes aboutissent à confirmer ce jugement de Saint-Simon:
"Impérieuse, jalouse, bornée à l'excès, toujours gouvernée par la lie de la Cour et de ce qu'elle avait amené d'Italie, elle a fait le malheur continuel d'Henri IV et de son fils et le sien même, pouvant être la plus heureuse femme de l'Europe, sans qu'il lui en coûtât quoi que ce soit que de ne s'abandonner pas à son humeur et à ses valets."


Marie de Médicis, médaille de Guillaume Dupré.

Marie de Médicis fut une dame d'une épaisse stupidité. M. Hanotaux a prononcé ce verdict équitable:
"Henri IV était un bien mauvais mari, mais Marie de Médicis avait un bien mauvais caractère."
Les témoignages contemporains nous la présentent comme le type parfait de la femme qui fait des scènes. Mme d'Arconville a publié un manuscrit de Béthune sur Les Principaux Sujets de la Mauvaise Intelligence d'entre le Feu Roy Henri IV et de la Reyne Mère du Roy. Ce document est un plaidoyer sans réplique en faveur d'Henri IV, considéré au point de vue conjugal. Sully assistait à de lamentables scènes de ménages; il vit la reine s'emporter contre son mari jusqu'à lever la main. Le veuvage ne la calma point. En 1615, Arnauld d'Andilly notait, dans son journal:
"La reyne s'est trouvée fort mal la nuit du 27, d'un grand flux du ventre qui la mène vingt-cinq ou trente fois avec du sang. On attribue la cause à une colère qu'elle avoit eue le jour précédent."
Une personne de ce tempérament avait évidemment besoin de faire de fréquentes promenades au grand air. D'où le Cours-la-Reine.
- Vous êtes entière, disait Henri IV à sa femme, pour ne pas dire têtue.
Les ambassadeurs vénitiens, ces merveilleux espions psychologues, si habiles à déshabiller les âmes, furent stupéfaits de la nullité de la régente.
"Le roi, dit l'un d'eux, a voulu souvent la faire rentrer au Conseil pour qu'elle se mette au courant des affaires et des intérêts du royaume. Mais indifférence ou incapacité, la reine n'a nullement répondu à ses intentions. Elle est d'ailleurs d'un caractère peu sympathique.

Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 26 octobre 1913.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire