lundi 27 août 2018

Pinel.

Pinel.


Sur la rive gauche de la Seine, un peu au-dessus de la vieille gare d'Orléans, et plus exactement devant l'hôpital de la salpêtrière, nous rencontrons la statue du docteur Pinel.
Que la philanthropie retienne son nom, car il a rayonné par les deux foyers suprêmes: l'intelligence et la bonté.
Le docteur Philippe Pinel ne fut point un Parisien. Il naquit même assez loin de ce théâtre thérapeutique qu'il devait révolutionner, au nom de la justice et de l'humanité, car il est originaire du Tarn où ses parents habitaient le château de Rascas. C'est là qu'il vint au monde en 1745.
Il avait vingt ans et suivait à Paris les cours de la Faculté de médecine, lorsque son meilleur ami, piocheur acharné, devint subitement fou à la suite de surmenage cérébral. Ce fut pour Pinel un grand chagrin amical d'abord, puis l'occasion d'entrer en contact avec les errements suivis par la médecine d'alors avec les aliénés.
Il garda des spectacles horrifiants entrevus une impression poignante qui décida de sa vocation. Résolument, il se se plongea dans l'étude de l'aliénation mentale qu'il éclaira d'une lumière intense, et dont il ramena le traitement à des formules intelligentes et douces.
On a peine à croire, aujourd'hui où les pires criminels sont ménagés comme de pauvres fous, que les malheureux déments étaient, il y a moins de cent ans, traités en ennemi du droit commun, jetés en des cachots dont la paille humide n'était pas une simple métaphore de romancier, chargés de fer et frappés avec la dernière violence pendant leurs accès. Et, cependant, c'est ainsi que Pinel, nommé médecin de Bicêtre en 1792, trouva les malades que l'on confiait à ses soins*.
Alors, avec l'autorité que lui donnait sa science indiscutée, il bouleversa, en un tour de main, l'ordre établi. Tout d'abord, il congédia les gardiens et les infirmiers qui, jusqu'alors, se recrutaient uniquement parmi les malfaiteurs et les assassins, que l'on condamnait à surveiller les fous comme aujourd'hui on les envoie au bagne. On devine sans peine combien fut misérable le sort des infortunés sous une semblable tutelle. Pinel fit maison nette et plaça auprès des malades de braves gens ayant vocation charitable et instruction suffisante.
Puis il fit enlever les fers, les chaînes, les entraves, les fouets, les carcans et autres engins de supplice avec lesquels on "soignait" alors les fous, et les remplaça par des chambres aérées, des coins de verdure, des promenades en presque liberté, des égards, de la pitié, de la justice*.
Et l'on s'aperçut alors, aux merveilleux résultats qu'il obtint, que la folie était amendable et souvent guérissable, ce dont on ne s'était jamais avisé jusque là.
Il était adoré de ses malades et la confiance qu'il en obtint lui permit d'étudier, avec les caractères de leurs désordres, les différentes causes produisant ces derniers et leurs sièges respectifs dans le cerveau. Ce sont ses recherches, parties d'un noble élan, de justice et de pitié, qui ont ouvert la voie merveilleuse suivie depuis par les cliniciens, Pitre et Charcot en tête.
De Bicêtre Pinel passa à la Salpétrière. C'est devant cet établissement que se dresse aujourd'hui sa statue, oeuvre de Ludovic Durand. L'artiste a représenté le médecin regardant une pauvre folle dont il vient de briser les fers. Le socle porte cette inscription: "A Philippe Pinel, la société médico-psychologique de paris, 1880."




Remarquons cette dernière date et rapprochons-là de celle qui marque la mort de Pinel, 1826. Est-ce parce que nous fûmes ingrats que cet écart de cinquante quatre ans s'est produit entre le bienfait et le remerciement? Non. Certes, comme nous le disions dans notre précédente causerie, parce que, jadis, étudiant mieux les livres, on savait plus généralement les hommes, et qu'il y a cinquante ans encore l'on ne se pressait pas pour élever des statues à ceux dont on gardait plus longtemps le souvenir connu et vénéré, tandis qu'aujourd'hui nous nous rendons compte que les utiles seraient vite oubliés si leurs gloires n'étaient écrites qu'au sable mouvant de nos mémoires surmenées.

Les veillées des chaumières, journal illustré paraissant le mercredi et le samedi, 4 juin 1902.

Nota de célestin Mira:


* Suppression des fers:

Visite de Pinel à la Salpétrière, après la suppression des chaînes entravant les aliénés.

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