samedi 25 août 2018

Merveilles électriques.

Merveilles électriques.


Le premier qui a vu un morceau d'ambre frotté attirer les poussières et les débris légers* serait plus qu'étonné si on lui présentait, aujourd'hui, quelques-uns des effets du merveilleux agent qui s'était révélé à lui d'une façon si discrète  et aussi bonasse.
La découverte du condensateur au XVIIIe siècle, celle des ondes électriques, récemment, ont transformé tant de choses qu'on ne peut plus sérieusement imposer une limite aux rêves de transformations futures qui germent dans certains esprits imaginatifs.
Le condensateur a révélé sa puissance le jour même de son entrée dans le cadre des études électriques, ou plutôt c'est sa puissance même qui l'a révélé.
On se rappelle l'accident qui a, le premier, attiré l'attention sur le phénomène de la condensation.
Un savant Hollandais, Cunéus, si j'ai bonne mémoire, tenait une bouteille de verre pleine d'eau, une tige de métal attenant à une machine électrique plongeait dans le liquide et quand, de l'autre main, l'expérimentateur voulut retirer cette tige, il reçut une violente secousse*. L'affaire fut soumise au jugement du "cher maître" de Cunéus, nommé Muschembrock*, si je ne me trompe, qui, héroïquement, renouvela l'expérience, mais dont l'héroïsme n'alla pas, après la magistrale secousse qui en résulta pour lui, jusqu'à ne pas s'écrier qu'il ne recommencerait pas "pour le beau royaume de France".
La découverte fut féconde au point de vue électrique. On se rendit compte de la surcharge électrique considérable que prend un corps conducteur en communication avec une source d'électricité, l'eau dans l'expérience de Cunéus, quand on fait intervenir dans son voisinage un autre corps conducteur séparé de lui par un corps isolant, la main qui tenait la bouteille, séparée de l'eau par le verre du vase. Lorsque les deux armatures, ainsi séparées par le verre, sont mises en communication, comme cela eut lieu par la seconde main saisissant la tige métallique, le condensateur se décharge et les deux électricités de nature contraire, en se combinant dans l'agent de communication, produisent le phénomène qui se traduit physiologiquement par le malaise plus ou moins accentué dont est accompagné la secousse. Cette décharge est rendue sensible aux yeux et aux oreilles par la production d'une étincelle qui rétablit entre les deux armatures de l'étincelle l'égalité de tension électrique, comme un courant d'eau, jaillissant dans un tuyau de communication entre deux réservoirs à niveaux différents, ramène rapidement les deux niveaux dans un même plan horizontal.
Seulement, tandis que le courant d'eau coule d'un réservoir à l'autre, l'étincelle, ainsi que l'a montré un jeune savant allemand, Henri Hertz, est formée d'une série de courants dirigés alternativement dans un sens et dans l'autre, avec une très grande rapidité dans ces alternances. La décharge se fait donc sous forme d'une oscillation très rapide, et la vibration ainsi produite se transmet dans l'air par une série d'ondulations comparables aux ronds sans cesse grandissants qui transmettent dans l'eau l'ébranlement dû à la chute d'une pierre. Ces oscillations électriques ne constituent que des agents de très faible puissance; un physicien américain, M. Tesla, se propose le problème d'en produire d'analogues mais aussi puissantes que possible. Mais avant de parler des résultats, invraisemblables, on peut le dire, auxquels est arrivé M. Tesla, rappelons à des lecteurs qui ont le droit de l'ignorer ou de l'avoir oublié, la signification de quelques mots et la portée de quelques nombres.
Un courant électrique est produit par une différence de tension, pour ne pas effrayer les timides par le mot savant de "potentiel" qui serait ici plus en place que celui de tension, comme le courant d'eau, qu'on me permette la redite, par une différence de niveaux. On évalue ces différences de tensions en unités qui s'appellent des volts et, pour se faire une idée de l'ordre de grandeur des différences de volts qui produisent les courants les plus ordinairement employés, on voudra bien se rappeler que les différences de volts qui interviennent dans l'éclairage électrique sont voisines de 110 volts.
Rappelons aussi que l'énergie électrique dépend à la fois de la différence de tension qui produit le courant et l'intensité même de ce courant. Certains courants, comme ceux des piles, sont assez intenses et d'assez faible tension; d'autres, comme ceux qui sortent d'une bobine de Ruhmkorff*  sont au contraire d'assez faible intensité et de tension très élevée.
M. Tesla* se servit d'une première bobine de Ruhmkorff actionnée par des piles de très grandes dimensions; un condensateur donnait par sa décharge les oscillations électriques. une seconde bobine de Ruhmkorff  augmentait considérablement la tension, si bien que les étincelles qui jaillissent entre les deux pôles de cette dernière partent à la faveur d'une différence de tension de plusieurs millions de volts. Qu'on se rappelle que le voltage usuel est voisin de 110 volts, et on se rendra compte à quel point la différence de tension dont dispose M. Tesla sort de l'ordinaire.
L'appareil ainsi constitué a reçu le nom d'oscillateur. Mais voici plus fort:
Tout le monde sait qu'un diapason situé à quelque distance d'un piano, par exemple, vibre toutes les fois que le piano donne la note que peut, de son côté, émettre le diapason en vibrant, note unique, car le diapason a la propriété, rare parmi les instruments producteurs des sons, de rendre un son simple. Sans parler même du diapason, qui de nous n'a entendu une vitre grincer, une bobèche tressauter dans son candélabre à une certaine note, toujours la même, du piano? Il en est ainsi pour les phénomènes électriques et, de même que des vibrations sonores d'une première source de son déterminent des vibrations dans des objets accordés de façon à pouvoir produire  des vibrations correspondantes, de même un oscillateur peut déterminer un courant dans un circuit de fils et de conducteurs, disposé, on dira  encore par extension accordé, de façon à ce que les vibrations électriques s'y produisent sous l'influence de celles d'une première source d'énergie électrique.
Les conséquences de ces faits sont multiples et, pour le moins, peuvent paraître merveilleuses. Et pour commencer, tandis que les courants sont normalement mortels, jaillissant sous une différence de tension de quelques milliers de volts, ils sont inoffensifs même pour une différence qui atteint plusieurs millions de volts, s'il y a dans le courant cent mille alternances par seconde.
Je ne pousserai pas la fanfaronnade jusqu'à penser, à en juger d'après moi-même, que la première fois que M. Tesla a fait passer dans son corps une décharge de ce genre, il l'ait fait sans appréhension. Et puisque j'ai écrit ces mots "à en juger par moi-même", je confesse très humblement que si j'avais eu l'honneur de faire la découverte de M. Tesla, j'aurai prié un bœuf ou quelque autre grosse bête, sauf votre respect cher lecteur, de me remplacer dans la glorieuse mission d'expérimenter la première décharge. C'est d'ailleurs un spectacle qui ne manque pas de provoquer une impressionnante émotion que celle de cet homme, illuminant un tube de Geissler* tenu à la main, par le passage d'une si formidable décharge à travers la fragile personne humaine.
La propagation à distance des ondes hertziennes peut allumer des lampes électriques dans un circuit disposé à plus de 20 mètres de l'oscillateur.
Elle permet, à l'aide bobines correctement accordées avec l'oscillateur, de percevoir les vibrations qui en émanent à des distances qui dépassent 900 kilomètres; de là un merveilleux procédé de télégraphie sans fil, qui présente l'avantage de garder le secret des communications, puisqu'il faut l'accord préalable de l'oscillateur et de la bobine, tandis que le procédé actuellement en vigueur permet à tout appareil récepteur, situé dans la zone de propagation électrique, d'enregistrer les signaux qu'elles transmettent.
A l'aide de décharges donnant des étincelles de plus de 10 mètres, sous des différences de 12 millions de volts, M. Tesla combine l'azote à l'oxygène de l'air et obtient en présence de la soude un nitrate dont il espère des merveilles pour l'agriculture.
Enfin, la décharge électrique à haute tension et la possibilité d'accorder des circuits sur les vibrations de l'oscillateur proposent une solution au grave problème de la guerre.
Sous le nom de Télautomate, M. Tesla a construit une machine de forme allongée, sorte de navire muni à l'intérieur d'un circuit qui, convenablement accordé avec l'oscillateur, déplace l'appareil dans un sens ou dans l'autre, selon les ordres de l'oscillateur. Ce télautomate m'a tout à fait l'air d'un engin maritime; mais, au point où nous en sommes, il ne me paraît pas impossible de faire des télautomates terrestres, et voilà la solution de la question de la guerre et des armées permanentes.
Pour quelques millions, on pourra s'offrir des flottes et des armées de télautomates à hélices ou à roulettes et, vlin, vlan,! les ingénieurs remplaceront les généraux et les rétameurs les infirmiers.
La guerre se passera au télautomatodrome et les peuples assisteront enthousiastes à ce nouveau sport. Reste à savoir si, après la course, les nationaux des télautomates vaincus souscriront au traité dicté par les vainqueurs et si, ramenés au point de départ, les peuples de demanderont pas au sort des armes la solution refusée au résultat de l'épreuve télautomatique.
Aussi accordons-nous plus de confiance à l'avenir de la télégraphie et de l'éclairage tels que les auront modifiés les découvertes de M. Tesla, qu'au télautomatisme comme succédané de la guerre.

                                                                                                                        P. M. Lenervien.

Les Veillées des chaumières, journal illustré paraissant le mercredi et le samedi, 11 décembre 1901.


* Nota de Célestin Mira:


* Electricité statique:


On frotte un volontaire habillé de vêtements de coton.
On le suspend de manière à l'isoler
et son corps attire des petits objets.
Jean-Jacque Flipart, 1748.

* Condensateur:


La bouteille de Leyde,
ancêtre du condensateur.

Expérience de Musschenbroeck (mal orthographié dans le texte):



Expérience de Musschenbroeck.


Bobine de Ruhmkorff:




* Expérience de Tesla:



Nikola Tesla dans son laboratoire.

* Tubes de Geissler:


Boite contenant trois tubes de Geissler et deux piles en verre, 1900.
(centre national du cinéma)


Tubes de Geissler.

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