dimanche 19 août 2018

Les deux cafés à propos des deux sucres.

Les deux cafés à propos des deux sucres.

Assez long-temps la betterave et la canne se disputent à la tribune; il est temps d'accorder les honneurs d'une lutte à la fève d'Arabie et à la chicorée française.
Les deux cafés méritent notre sollicitude au même titre que les deux sucres, et les deux questions ne sont pas tellement éloignées qu'on ne puisse passer de l'une à l'autre sans transition.
La question des sucres touche de tout côté celle des cafés; elle y plonge même toute entière dans un grand nombre d'établissements publics et de tasses de porcelaine.
Entre la cafetière et la raffinerie, il n'y a que l'épaisseur de la râpe. Le même bain de pied absorbe souvent les deux matières en question.
D'ailleurs, n'y a-t-il pas entre les deux cafés le même principe d'antagonisme qu'entre les deux sucres?
La betterave et la chicorée sont sœurs. Toute deux jouaient l'humble rôle de matière à salade avant que Napoléon n'eût commandé à l'une de se faire sucre et à l'autre de se faire café.
Qui pouvait résister à un ordre impérial? Les deux plantes potagères obéirent à Napoléon, comme si elles n'avaient été que les ducs de Dalmatie ou des princes de la Moskowa.
Elles renoncèrent généreusement au saladier habituel et à la rosée d'huile et de vinaigre que le sort leur avait accordée pour remplacer la canne et la fève exotique sur les marchés nationaux.
Napoléon leur en fut reconnaissant, et c'est à elle surtout que s'adresse le célèbre mot historique: "Végétaux, je suis content de vous!"
Eh bien, je l'avouerai, quoi que j'apprécie mieux que personne les sentimens personnels de Napoléon, j'avoue que je ne partage pas son opinion au sujet des végétaux susnommés.
Lorsqu'on me sert du café national, c'est-à-dire de la chicorée, je conviens que je ne suis pas content du tout. Je préfère essentiellement le moka, fût-il même un peu Martinique ou légèrement Île-Bourbon.
A la rigueur et si le blocus continental était rétabli, je consommerais, comme une foule d'honnêtes gens,  le sucre sucrifié de la betterave. La betterave sucre moins que la canne, c'est vrai; mais on en est quitte pour insérer dans sa tasse cinq morceaux de matière sucrante au lieu de trois.
Plus vous mettez de betterave dans votre café, et plus votre café sentira le sucre. En revanche, plus vous combinerez de chicorée avec votre sucre, et moins votre demi-tasse sentira le café.
Si donc, il fallait à tout prix sacrifier une des denrées nationales, mieux vaudrait faire rentrer la chicorée dans le saladier qu'enfoncer la betterave à cent pieds sous terre.
Il est temps encore, messieurs les députés. Voyez, réfléchissez, sucrez et cafetez! et si vous persistez à condamner à la mort industrielle une des deux denrées napoléoniennes et indigènes, débarrassez-nous, je vous prie de cet abominable café de chicorée!

                                                                                                                        (Corsaire)

Le Salon littéraire, jeudi 25 mai 1843.

Nota de célestin mira:

Le compromis moderne:


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