mardi 7 août 2018

Ceux dont on parle.

Jacques Lebaudy.
    Empereur du Sahara.


Le mois d'août 1903 a été témoin de deux événements historiques d'une importance capitale. Par une coïncidence remarquable, tandis qu'un empire changeait de maître, naissait un autre empire. 
L'empereur du Sahara a pris possession de ses Etats au moment où mourait l'empereur des camelots*. M. François Coppée étant bien malade et M. Edmond Rostand silencieux, la France allait manquer de grandes figures. L'habit bariolé et le redoutable yatagan que portait sous la Commune Napoléon Hayard resteraient-ils vacants? Non. M. Lebaudy les ramasse et s'en va chercher le sacre à la Haye, où siège, comme l'on sait, la Cour internationale d'arbitrage.
Qu'a-t-il fallu à M. Lebaudy pour fonder l'empire du Sahara? Aborder non loin du cap Juby, débarquer sur la côte quelques marins recrutés au Havre, en leur disant: "Vous êtes la garde impériale"; transformer son secrétaire en officier d'ordonnance, et faire imprimer sur son papier à lettres un en-tête impérial. Encore ne suis-je par certain qu'il ne s'en soit tenu au papier à lettres...



Par malheur, la garde impériale était à peine installée à terre que les indigènes, qui ne demandaient pas à changer leur régime politique, lui cherchaient chicane. Ils étaient dix fois plus nombreux: la garde pouvait mourir ou se rendre. Elle préféra se rendre, et fit bien, car le gouvernement français obtint peu après sa mise en liberté.
M. Lebaudy, qui l'avait laissée, sans secours, en danger de mort, pour ne point faire couler de sang, ne regretta pourtant pas cet incident: grâce à lui l'attention publique était nécessairement appelée sur son projet.
De là à faire reconnaître officiellement son empire, il n'y avait qu'un pas. Il augmenta alors d'une unité sa flotte, qui se compose à présent du Frasquita et du Dahlia. Détail curieux, M. Lebaudy, qui ne daigne pas se soumettre à la surveillance des autorités françaises, navigue sous le pavillon de la république nègre de Libéria, qui a reconnu l'Etat nouveau; ce pays est le seul qui  permette aux étrangers de porter ses couleurs.
L'Empereur songea aussi à son armée, mais il est à craindre que le fâcheux début de son entreprise ne fasse réfléchir ceux qui seraient tentés de servir sous ses ordres. On le vit, infatigable, aux îles Canaries, à la Haye, à Londres, traitant un jour avec des plénipotentiaires, et le lendemain avec des entrepreneurs. Il commanda des maisons démontables, des bassins, un port, une guillotine, le tout destiné à Troja, la ville future.
Verrons-nous s'élever cette cité déjà fameuse? Verrons-nous dans son palais le plus riche des raffineurs, revêtu d'un uniforme somptueux, appuyé sur une canne à sucre, et donnant audience aux délégués des grandes puissances? Déclarera-t-il la guerre, d'un coup de chasse-mouche, à la Chine, à l'Angleterre ou à la France? Cela n'est pas impossible, si le destin qui fit mourir l'empereur des Camelots d'un accident d'automobile ne réserve pas un coup de pied de chameau à l'empereur du Sahara.

                                                                                                                             Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 novembre 1903.

Nota de célestin mira:



Jacques Lebaudy est fils de Jules Lebaudy, banquier, possesseur d'une riche fortune immobilière et des sucreries Lebaudy, dont il a hérité.




Caricature de Jacques Lebaudy, emprisonné.
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* L'empereur des camelots: Napoléon Hayard.
Voir: http://chroniquesintemporelles.blogspot.com/2016/07/lempereur-des-camelots.html

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