lundi 21 mai 2018

Révolution aux Halles.

Révolution aux Halles.


Grande effervescence aux Halles centrales...
Il s'agit du repos hebdomadaire. Les marchands n'en voulaient pas; les employés et les commis l'ont imposé... Résultat: les Halles seront closes, désormais, chaque lundi. Mais ces "dames" ne cachent point leur mécontentement.
Les "dames de la Halle" sont légendaires. Autrefois, on les appelait les "poissardes"*; elles formaient une corporation dont les privilèges étaient mieux définis. Quelle est l'origine de cette appellation tombée en désuétude, parce que devenue terme de mépris, qui, dans l'espèce, n'a plus d'emploi?
C'est assez difficile à dire. D'après Robert Estienne, le grand philologue du seizième siècle, poix serait l'origine du mot poissard, et le "poissard" serait celui dont les doigts se collent aux objets, ainsi que la "poix", d'où le sens dérivé de "grossier" dans ses allures et dans son langage.
Le langage des Halles, qui se composait d'une sorte d'argot très imagé, était, jadis, qualifié de langue poissarde et se résumait volontiers en un lexique qu'on appelait familièrement le "catéchisme poissard".
Elle était pittoresque, cette langue, avec laquelle on s'injuriait familièrement, à la manière de Bruant et des cabarets modernes, qui ont repris une tradition, mais n'ont rien inventé. Elle eut ses amateurs et ses poètes, elle fit même son entrée en littérature, par la plume du poète Vadé, qui venait s'installer aux Halles et régalait les petits soupers de la première moitié du dix-huitième siècle d'une poésie spéciale, la "poésie poissarde"*, pleine d'imprévu et d'entrain.
Il passait ses nuits dans les cabarets des Halles, comme beaucoup de gentilshommes viveurs de l'époque, qui prenaient plaisir à "s'encanailler" et venaient y souper de coquillages, de tripes à la mode de Caen, de gras-double aux oignons roussis, et surtout de pied de mouton en blanquette, c'était la grande renommée. On arrosait ces plats très relevés d'un petit vin blanc de Gaillac sucré et mousseux, et l'on attendait ainsi la "fin du monde", que les esprits chagrins prédisaient pour l'an de grâce 1760. Elle vint plus tôt pour le pauvre Vadé, qui, de santé délicate, ne sut résister au régime et mourut tout jeune encore.
Beaumarchais, paraît-il, fréquentait volontiers aux"étales", ainsi disait-on, avide d'entendre les "engueulements" auxquels lui même, il prenait part. Cette langue poissarde, d'une gauloiserie très colorée, le ravissait, et il riait aux chapelets d'injures dont le gratifiaient les marchandes de poissons. On raconte qu'un jour, abruti d'épithètes par l'éloquence d'une commère, et pris de court, sans réponse, ne trouvant rien de mieux, il riposta par des termes de rhétorique sans doute inconnus aux Halles.
- Vieille onomatopée, s'écria-t-il, infâme catachrèse!
La vieille dame fut tellement saisie de l'éclat de ces mots bizarres, qui lui semblèrent des injures héroïques, qu'elle prit la fuite, abasourdie.

Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 20 septembre 1908.


* Nota de Célestin Mira:








 * Voir sur le site de la Bnf, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5612727d.texteImage
 La Pipe cassée, poème épitragipoissardihéroïcomique, de Vadé .

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