mercredi 9 mai 2018

Dimanches parisiens.

Dimanches parisiens.

Une simple promenade dominicale aux environs des gares de banlieue, ou autour des points terminus des tramways extérieurs suffirait à convaincre les plus incrédules qu'il y a, malgré la canicule, encore beaucoup de monde à Paris.
Hélas! malgré les faciles villégiatures mises à la portée de toutes les bourses, malgré les séjours à la mer, vendus par abonnement, pour le plus grand nombres des Parisiens, gens d'affaires, commerçant, employés, ouvriers, ne quittent pas, l'été, la fournaise où les retiennent leurs intérêts.
Aussi quelle joie, lorsqu'arrive le dimanche qui permet de se donner l'illusion de la campagne, ou quelque "pont" qui autorise une excursion à bon marché jusqu'à Dieppe, au Tréport, voire sur une des plages plus lointaines de la basse Bretagne!
Aujourd'hui, nous n'irons pas si loin. Nous nous contenterons d'accompagner les plus modestes de ces amis de la villégiature hebdomadaire dans leurs coins favoris des espaces libres parisiens. Ils ne sont pas nombreux ces espaces libres, surtout ceux où l'on peut trouver une protection contre les ardeurs du soleil. Ils se résument dans les bois de Boulogne et de Vincennes.
Mais déjà, pour gagner ces bois, il faut emprunter un véhicule municipal, et les familles nombreuses ne peuvent pas toujours s'offrir un déplacement aussi coûteux. Celles-ci se contentent tout simplement de transporter, dans un panier, le repas familial du soir, sur un coin moins pelé que les autres, des fortifications, de ces fortifications que les hommes d'argent voudraient encore leur arracher pour les couvrir de casernes à sept étages.



Fortif'sPlage

Les promeneurs des "fortifs" forment, le dimanche, un mélange curieux de braves gens et de faces patibulaires, gênées par le voisinage des premiers dans la jouissance de leur ordinaire apanage.
Mais plus pittoresques encore apparaissent les "forêts" parisiennes, par les fortes chaleurs qui sollicitent aux longs repos dans la verdure. Par les tramways, la ceinture, le Métro, arrivent, dès le matin, sous le feuillage, des théories de promeneurs, jeunes et vieux, armés de grands paniers, porteurs de pains énormes et de comestibles variés. Tous ces amis de la campagne à bon marché recherchent avant tout le bon endroit où ils pourront "casser la croûte", une pelouse ombragée, autant que possible, et assez loin des grandes allées pour qu'on puisse faire la sieste dans une paix relative.



L'heure du déjeuner sur les pelouses
du bois de Boulogne.

Durant les trois mois d'été, quelque cent mille Parisiens des deux sexes s'emparent ainsi de leurs bois, par les beaux dimanches, et s'en donnent à coeur joie de grand air et de verdure.
Je sais bien que leur séjour sur les pelouses donne, aux autres promeneurs, des lundis pleins de tristesse. A chaque pas, ce ne sont que bouteilles vides et papiers gras. Mais comment se plaindre de ces traces de joies dominicales, saines et réconfortantes?



Un pique-nique d'agents.

Peut-être parviendra-t-on, petit à petit, à faire l'éducation artistique du bon peuple parisien, à le convaincre qu'il doit respecter la beauté de ces promenades, dont il profite si largement, et ne pas dédaigner la muette invitation des paniers de bronze qu'une administration prévoyante a fait placer aux bois de Boulogne et Vincennes pour recevoir les détritus de ses repas champêtres.

                                                                                                                       Sergines.

Les Annales politiques et littéraires, revue paraissant le dimanche, 23 août 1908.

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