dimanche 27 mai 2018

Chronique du dimanche 5 septembre 1858.

Chronique du dimanche 5 septembre 1858.


Un exemple de somptuosité rare a été donné par un voyageur de Francfort-sur-l'Oder.
Un monsieur déjà âgé et une jeune dame, arrivés de Breslau, dans un coupé de première classe du chemin de fer*, se rendirent au buffet pour se rafraîchir. Le punch froid aux fraises est la liqueur la plus à la mode de cette année; ils en demandèrent deux verres.
Tandis qu'ils savouraient le délicieux breuvage, le sifflet retentit et le train se remit en marche.
La jeune femme, ayant fait remarquer à son compagnon que le convoi repartait, le monsieur lui fit gracieusement signe de continuer à se rafraîchir. Ensuite, il s'informa près du directeur de la gare du prix d'un convoi extraordinaire pour Berlin; il lui fut répondu que c'était 110 thalers. Le voyageur paya cette somme et commanda le convoi. Comme il y avait nécessairement un instant à attendre, ce fut pour lui l'agréable occasion d'offrir à la jeune dame un second verre de punch aux fraises.
Voilà pour un monsieur déjà âgé un beau trait de galanterie.

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Mais la chevalerie vaut encore mieux, et à propos de la générosité du seigneur de Francfort, on a rapporté le mot d'un Français pendant la guerre de Crimée.
Un jeune lieutenant eut le bras emporté par un boulet de canon. Il se retourna alors et cria aux soldats qui le suivaient:
- Ma bague! au nom de Dieu! rapportez-moi ma bague!
Celle qui avait donné l'anneau dut en être bien fière!

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Voici un autre signe d'amour non moins touchant à côté de nous.
Cette semaine, vers dix heures du matin, un jeune homme d'une vingtaine d'années s'était présenté au gardien de la colonne de juillet*, en demandant la permission d'y monter. Le gardien, selon sa consigne, répondit qu'il était défendu de monter seul. Mais à l'instant il arriva ce que ces messieurs les concierges des monuments publics appellent une compagnie. La porte de l'escalier tournant fut ouverte, et le jeune homme monta avec les personnes qui s'étaient présentées.
Gravissant les marches avec une précipitation extraordinaire, il arriva le premier au somment, s'avança sur la plate-forme et s'élança  dans l'espace.
Un cri de terreur rempli à cet instant la place de la Bastille. Le corps de la victime était venu se briser sur la grille, au pied du monument, et la vie avait déjà cessé.
Le jeune homme est inconnu. Mais on a trouvé sur lui un indice qui laisse assez deviner la cause de sa mort. Sur un simple feuillet était écrit: "Adieu, Marie!"

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La commune de Singles est en ce moment préoccupée d'un événement mystérieux:
Il y a quelques jours, le bruit se répandit que la femme d'un propriétaire de ce pays était accouchée d'un enfant mort, et qu'elle l'avait fait enterrer sans les déclarations nécessaires de sa naissance et de son inhumation.
L'autorité fut informée. Le maire de la commune, le juge de paix, la gendarmerie se rendirent au cimetière. La terre fut creusée dans l'endroit désigné par les habitants. A une certaine profondeur, on découvrit le petit cercueil qui devait renfermer le corps de l'enfant. Ce cercueil fut ouvert, et au lieu d'un cadavre, on y découvrit une poupée enveloppée d'un linceul.
Il a été impossible de deviner quelle pensée avait conduit cette femme à cacher son enfant vivant et à vouloir le faire passer pour mort. Et dans l'incertitude de ce qui s'est passé, la femme coupable de cet artifice a été arrêtée.

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Voici un incident qui montre à quel point Paris était dépeuplé cet été:
Un employé chargé de relever le nombre de locataires d'une maison de l'Almanach du Commerce*, demanda à la femme du concierge:
- Où sont les locataires du premier étage?
- Ils sont aux eaux de Bade.
- Et les négociants qui habitent le second?
- Ils sont aux eaux des Pyrénées.
- Et l'officier en retraite du troisième?
- Il est parti avec sa famille pour les eaux de Bourbonne.
- Et le petit rentier du quatrième?
- Il est des eaux d'Enghien.
- Et votre mari, le concierge de la maison?
- Il est aux eaux Vigier.
Bouleversé, le commis recenseur alla prendre un bain.

Le Journal du dimanche, 5 septembre 1858.



* Nota de Célestin Mira:


Les wagons et leur confort vers 1850.



Colonne de Juillet, place de la Bastille, 1850.




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