mercredi 11 avril 2018

La résurrection d'un fou.

La résurrection d'un fou.




L'hôpital de Taxin à Constantinople vient d'être le théâtre de la plus macabre et de la plus tragique aventure, telle que les romanciers les plus imaginatifs et les plus outranciers n'en pourraient imaginer de plus effarants.

A cet hôpital sont mis en traitement toute une catégorie de fous, à vrai dire peu dangereux, et qui se trouvent ainsi avoir l'autorisation de circuler à peu près librement dans les jardins.
Or, l'un de ces jours derniers, mourait un des hospitalisés, et comme de coutume, le corps fut déposé provisoirement dans une salle réservée.
Vint à passer un des fous, pensionnaire de la maison, qui, par la porte entr'ouverte, aperçut le cadavre. Quelle idée de fou traversa cette cervelle malade? Sans doute ne le saura-t-on jamais. Toujours est-il que le nouveau venu entra dans la pièce funèbre et en ferma la porte derrière lui.. Puis, saisissant le cadavre, il s'en fut le placer dans une armoire où l'on serrait des médicaments et divers appareils. Cette pénible besogne accomplie, il enferma le défunt dans l'armoire.
Revenu au milieu de la pièce, le fou s'enveloppa du linceul et prit la place du mort.
Bientôt arriva l'aumônier, un digne vieillard qui commença lentement à dire les prières des morts. 
Tout à coup, il se troubla. Le mort avait bougé légèrement la tête et maintenant il dardait sur lui le feu de ses prunelles fixes. Un effroi sans bornes, une terreur glacée s'empara du pauvre homme qui lâcha son bréviaire et tomba d'un seul bloc, à la renverse. Il était mort.
Le fou en eut-il conscience? Était-il lui-même en proie à d'étranges troubles nerveux? Toujours est-il qu'il demeura étendu sur la dalle enveloppé dans son suaire en attendant les événements.
Ceux-ci ne tardèrent pas à se produire. Des infirmiers arrivèrent, pour un motif quelconque et découvrirent le corps du prêtre étendu sur le plancher.
Croyant à un simple évanouissement du vieillard, et voulant d'abord lui porter secours, ils se précipitèrent vers l'armoire aux médicaments. Mais en ouvrant la porte du placard, ils reçurent entre leurs bras le cadavre mal étayé qu'y avait enfermé le fou.
Saisis à leur tour d'une véritable panique, ils reculaient pour s'enfuir, quand ils s'aperçurent que le corps étendu quelques instants avant, à côté de l'aumônier, s'était maintenant dressé dans son linceul et que cet autre revenant les regardait blêmir en ricanant.




Ce fut la déroute. A leurs cris d'horreur, d'autres employés accoururent. Les malades valides les suivirent, ainsi que les infirmières. Et le spectacle qui s'offrit à leurs yeux ne fut pas de nature à les rassurer.
A terre, gisait, convulsé, les yeux grands ouverts, la bouche plissée par la suprême grimace de l'horreur, le cadavre du malheureux prêtre.
Devant l'armoire ouverte, un autre cadavre, tombé parmi les fioles pharmaceutiques, dans un amoncellement indescriptible de verre pilé.
Et enfin, drapé dans un linceul comme dans un manteau, un être grimaçant, riant et pleurant alternativement qui regardait cette scène en prononçant d'incompréhensibles paroles.
Les plus courageux tremblèrent.
Tous ne furent pas loin de penser qu'un cadavre avait subitement recouvré la vie et avait massacré un malade et le prêtre.
Nul n'osait approcher du fou gesticulant, nul n'osait relever les morts. Enfin, trois agents de police attirés par les cris d'horreur, pénétrèrent dans l'hôpital. Ils ne rencontrèrent personne dans les longs couloirs: tout le personnel de l'établissement s'était massé dans la salle qui avait servi de théâtre au drame mystérieux, ou dans les pièces adjacentes. Le directeur, l'économe, le médecin chef étaient absents. Et les cris d'horreur persistaient, plus déchirants!
Les agents, en désespoir de cause, durent se confier à la direction sage... d'un fou, pensionnaire de la maison, qu'ils avaient trouvé prosterné au jardin. Heureusement ce fou, était à demi raisonnable, car il comprit ce qu'attendaient de lui les agents de l'autorité. Il les conduisit vers la chambre fatale.
Les "sergents de ville" turcs n'ont peur de personne, pas même des morts! Ceux-ci relevèrent les cadavres, ligotèrent le faux-mort, non sans lui administrer quelques taloches bien senties et commencèrent aussitôt une enquête sur ces dramatiques incidents.
Chose vraiment extraordinaire: l'auteur de ce drame terrible en avait ressenti une violente commotion. Son état ne tarda pas à devenir des plus graves et à nécessiter les plus grands soins. Mais à la stupéfaction générale, alors que, d'une minute à l'autre, on attendait le trépas du malheureux, celui-ci sembla reprendre quelques forces et avec elles, quelque lucidité!

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 septembre 1907.

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