dimanche 1 avril 2018

La douche de Mme de Sévigné.

La douche de Mme de Sévigné.


                                                                                                         

                                                                                                      A Vichy, jeudi 28 mai 1676.


J'ai commencé aujourd'hui la douche; c'est une assez bonne répétition du purgatoire. On est toute nue dans un petit lieu souterrain, où l'on trouve un tuyau de cette eau chaude, qu'une femme vous fait aller où vous voulez. 
Cet état, où l'on conserve à peine une feuille de figuier pour tout habillement est une chose assez humiliante. J'avais voulu mes deux femmes de chambre, pour voir encore quelqu'un de connaissance. Derrière un rideau, se met quelqu'un qui vous soutient le courage pendant une demi-heure; c'était pour moi, un médecin de Gannat, que Mme de Noailles a mené à toutes ses eaux, qu'elle aime fort, qui est un fort honnête garçon, point charlatan ni préoccupé de rien, qu'elle m'a envoyé par pure et bonne amitié. Je le retiens, m'en dût-il coûter mon bonnet; car ceux d'ici me sont entièrement insupportables, et cet homme m'amuse. Il ne ressemble point à un vilain médecin, il ne ressemble point aussi à celui de Chelles. Il a de l'esprit, de l'honnêteté; il connait le monde; enfin, j'en suis contente. Il me parlait donc pendant que j'étais au supplice.
Représentez-vous un jet d'eau contre quelqu'une de vos pauvres parties, toute la plus bouillante que vous puissiez vous imaginer. On met d'abord l'alarme partout, pour mettre en mouvement tous les esprits; et puis, on s'attache aux jointures qui ont été affligées; mais quand on en vient à la nuque du cou, c'est une sorte de feu et de surprise qui ne peut se comprendre; c'est là, cependant, le nœud de l'affaire. Il faut tout souffrir, et l'on souffre tout, et l'on est point brûlée, et l'on se met, ensuite, dans un lit chaud, où l'on sue abondamment, et voilà ce qui guérit.
C'est principalement pour finir cet adieu et faire une dernière lessive, que l'on m'a envoyée ici, et je trouve qu'il y a de la raison: c'est comme si je renouvelais un bail de vie et de santé.

                                                                                         Mme de Sévigné.

Les Annales politiques et littéraires, dimanche 5 juillet 1908.

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