lundi 2 avril 2018

Celle de qui on parle.

Mme la duchesse d'Uzès.


Les journaux seraient bien certainement désemparés s'il leur était un jour fait défense de parler de la duchesse d'Uzès, de son chien Kiki, de ses chasses et de ses marbres. Cette grande dame et sa fortune tapageuse fournissent des sujets de copie sans cesse renouvelés. Mais les bureaux de rédaction peuvent se rassurer: il n'est pas à craindre que Mademoiselle Marie-Adrienne-Anne-Victorienne-Clémentine de Rochechouart-Mortemart, dame de Crussol, duchesse d'Uzès, interdise aux journaux de citer un nom illustré par tant d'aïeux dont Mme d'Uzès ne fait que continuer l'histoire.





Le mari de cette noble dame, Emmanuel de Crussol, duc d'Uzès, fils d'un personnage politique de l'Empire, fut lui-même représentant de la nation à l'Assemblée nationale, en 1871. Il lutta contre l'établissement de la République et eut la douleur de mourir, en 1878, sans avoir vu triompher son parti. Mais il laissait une veuve qui prit en main la cause monarchique avec une mâle et vigoureuse énergie.
Le mouvement boulangiste* qui remua la France en 1888 lui fournit une occasion inespérée de montrer son zèle en faveur des Bourbons. Elle eut à Coblentz une entrevue avec le comte de Paris et lui persuada qu'il fallait profiter de l'enthousiasme populaire pour reprendre le trône et rentrer au Louvre. Nos prétendants sont de bons bourgeois qui ont peur qu'un coup d'Etat ne fasse baisser la rente. Mme d'Uzès dut insister, promettre le concours le plus large et le plus désintéressé. Le comte de Paris se décida enfin et un acte en bonne forme fut dressé par devant un notaire de Londres pour constater le prêt de trois millions que la duchesse d'Uzès consentait au prétendant; celui-ci n'avait accepté cette libéralité qu'à la condition qu'il la rembourserait, lui ou ses héritiers quand la famille remonterait sur le trône. Ah! le bon billet qu'a la duchesse!
C'est trois millions qu'il lui en coûté pour s'intéresser au succès du brave général Boulanger. Le comte de Paris, de son côté, en a, paraît-il dépensé quatre. A ce prix, il faudrait vraiment être déshérité du sort pour ne pas se faire nommer au moins député.
Mme d'Uzès a des talents très divers. Quand sa propagande royaliste lui laissait des loisirs, elle se livrait à la sculpture*: Vision de Saint-Hubert (pour le Sacré-Cœur de Montmartre, 1887), Galathée, le Réveil (buste bronze), Diane (statuette, marbre,1891) et divers portraits-bustes, n'ont encore pu lui procurer qu'une mention honorable.
Ce n'est pas que les appuis officiels lui aient manqué. Ayant obtenu de la Ville de Valence, à la suite d'un concours, la commande d'un monument à Emile Augier, la duchesse d'Uzès envoya son oeuvre au salon de 1895: elle fut refusée, sous le prétexte que ses dimensions excédaient la place disponible. La noble commanditaire du Comté de Paris obtint alors du Gouvernement qu'elle avait si vigoureusement combattu la concession d'un emplacement spécial à l'extérieur du Palais de l'Industrie pour y exposer son monument. Ce qui prouve que la République ne conserve de violente rancune que contre les gueux.
Après avoir goûté de la sculpture, la duchesse d'Uzès a voulu tâter des Lettres. Son fils aîné ayant malheureusement succombé à la dysenterie, au cours d'une exploration en Afrique, en 1893, elle publia l'année suivante un livre intitulé: Le voyage de mon fils au Congo. Dans un ordre d'idées moins sombre, elle écrivit le livret d'un opéra de Francis Thomé: Germaine.
Par ce simple aperçu, il est facile de comprendre comment les faits et gestes de la duchesse d'Uzès peuvent fournir une abondante copie à la presse. Encore n'ai-je parlé ni de ses chasses, ni des fanfares de Bonnelles, ni de l'hôtel des Champs-Elysées vendu par la duchesse à Dufayel, ni des aventures de son frère, le duc de Chaulnes et de Picquigny, à la poursuite d'une milliardaire d'Amérique. C'est que je ne veux point passer pour un indiscret, et si vous me demandez l'âge de la duchesse, je vous répondrai qu'il est le même que l'âge du suffrage universel en France.

                                                                                                              Jean-Louis.

Mon dimanche, revue populaire illustrée, 13 octobre 1907.

Nota de célestin Mira:









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Pont de l'Arche.
voir https://fr.slideshare.net/Armand_Launay/12-objets-de-pontdelarche

Saint Christophe.

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