dimanche 11 mars 2018

Vivent les bains de mer.

Vivent les bains de mer.


On appelle plage une grande étendue de sable ou de galets, brûlée par le soleil. Les Parisiens s'y rendent quand la chaleur est excessive.
Là, ils adoptent une façon de vivre calquée sur celle des peuplades d'Afrique. Comme elles, ils réduisent le vêtement à son expression la plus simple: une sorte de pagne un peu plus étoffé et plus conforme à notre conception de l'élégance: on nomme cela le costume de bain. C'est laid, mais extrêmement incommode*.
On a d'ailleurs constaté que la fréquentation des plages développe singulièrement la dose d'imitation dont l'homme est susceptible: de là le mot plagiaire, homme des plages, usité en matière de contrefaçon littéraire.
Les personnes étrangères au tourisme se figurent volontiers qu'une plage est un lieu isolé du reste du monde. Quelle erreur! nulle part les communications ne sont plus intelligemment assurées. La moindre plage est en effet pourvue d'une multitude de petites cabines téléphoniques inabordables à certaines heures. Des fils, là-bas on dit des cordes, relient la plage à l'Océan, la grande route mondiale. Les baigneurs désireux d'obtenir la communication n'ont qu'à se diriger dans le sens de la corde. C'est ce qu'on appelle suivre le cours de l'eau.



Le service des cabines est assuré par des agents nautiques qu'on entend constamment crier: "A l'eau!, à l'eau!"*



Les baigneurs qui ont obtenu la communication exécutent le long du fil des contorsions variées accompagnées de hurlements sauvages. Toujours l'imitation des nègres.
Certains, les plus habiles, font aussi l'homme-poisson, et poussent le talent d'assimilation jusqu'à imprimer à leurs membres des mouvements natatoires qui les font ressembler à des soles*.
Un jeu très recherché des enfants est le jeu du petit lapin: il consiste à faire dans le sable une infinité de trous qui ne servent d'ailleurs absolument à rien. Les parents les contemplent avec une satisfaction bienveillante: apprendre à faire son trou, n'est-ce pas toute la science de la vie?




D'autres, les Vauban de l'avenir, édifient des fortifications sur la plage. Exercice excellent du reste, et qui permet au papa de dire avec fierté: "La mer réussit à mon fils, il s'y est beaucoup fortifié."*
Ah! ce sable, ce beau sable fin où le pied enfonce comme dans un édredon! N'est-ce pas un rêve?
Les amateurs se sensations inédites n'ont d'ailleurs que l'embarras du choix. Au bord de l'eau, c'est autre chose: ici, le sol est jonché de débris de coquilles qui donnent à vos pieds endoloris l'impression d'une promenade sur un mur hérissé de tesson de bouteilles. 



Mais à quoi bon se moyen d'écorcher les baigneurs, quand les hôteliers y suffisent?
La note gaie: quand on est parvenu à extraire une grosse dame de son costume de bain, il est d'usage de l'exposer, pas la dame, le costume,  à ce que nul n'en ignore. On met l'épouvantail au bout d'une perche et on le laisse se balancer au gré des vents. C'est sans doute à cette coutume que nous devons l'absence totale de petits oiseaux sur nos plages. L'effet est pittoresque. A certaines heures, une plage ressemble à un verger où les fruits seraient des bonnets de bains.
Le soir, musique au Casino*. La musique de plage n'a rien de commun avec la musique dite de chambre. Naturellement les instruments à vent y dominent. On leur adjoint toutefois quelques instruments à cordes pour les baigneurs pusillanimes qui craignent d'être entraînés par les vagues. Cette musique est le plus souvent détestable. Mais elle est plus chère qu'à Paris. Aussi est-elle très recherchée.
Les malins font d'ailleurs en sorte de ne pas entendre une seul note: ils bavardent, ils fument et ils boivent; à cette heure-là, l'eau de mer, laxative quand on en abuse, est remplacée par des boissons variées, voire par du champagne, le tout saupoudré de sable qu'apporte le vent du large. Rien comme la plage pour sabler le champagne!
On ferme: l'homme des plages rejoint son chalet cellulaire; quand il ne fait pas trop chaud, il y dort. En cas d'insomnie, il écoute la conversation de ses voisins: les murs des habitations plagiaires sont de parfaits conducteurs du son. Et le lendemain, il recommence, jusqu'à la date de sa libération.
Alors, il retourne à Paris, dans des wagons où on a fait le plein à l'arrivée en gare. Il ne lui faut en général pas plus d'une heure pour se faire délivrer ses bagages, et les Parisiens sont si contents de revoir l'homme des plages que plusieurs escortent généralement l'omnibus qui le ramène à son domicile et sollicitent l'honneur de décharger ses malles de cent kilos.
Voilà le citadin chez lui. Comme sa maison lui paraît aérée, sa bonne ville large et saine, les arbres des avenues bienfaisants! Enfin, il va goûter un peu de fraîcheur!
Qui donc oserait dire que la plage n'est pas une grande école de tolérance?

                                                                                                                    Carolus Brio.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er septembre 1907.

* Nota de célestin mira:

Costumes de bains.


1850.



1901.




Cabines de bains.









Une plage vers 1900.



Baigneurs et baigneuses.


Baigneuses vers 1900.


Biarritz 1900.

Louis Chesneau- Deux dames, 9 septembre 1900.



Enfants jouant sur la plage.


1900.




*
Affiches publicitaires pour les plages.












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