mercredi 14 mars 2018

Ceux de qui on parle.

M. Hugues Le Roux
      homme universel.




M. Hugues Le Roux vint à vingt-deux ans du Havre à Paris pour y faire son chemin. Il avait l'esprit très ouvert et la bourse vide, mais il ne manquait pas d'aplomb. Dans quelque voie que le sort l'engageât, il se sentait prêt à réussir. Ayant appris qu'un pensionnat du quartier des Ternes recherchait un professeur d'espagnol, il alla trouver un célèbre critique à qui plusieurs fois déjà il avait demandé son appui et sollicita de lui une lettre de recommandation auprès du directeur du pensionnat.
- Professeur d'espagnol, murmura le grand homme, c'est un métier bien ingrat. Au moins, êtes-vous ferré sur l'espagnol?
- Mon Dieu, répondit M. Hugues Le Roux, c'est une occasion de l'apprendre.
Péniblement, en faisant appel à toutes les ressources de son esprit inventif, M. Hugues Le Roux parvint à se procurer le nécessaire jusqu'au jour où il devint le secrétaire d'Alphonse Daudet. Dès lors, sa voie lui parut définitivement tracée: il serait homme de lettres.
Certes, elle était tracée, la voie dans laquelle M. Hugues Le Roux s'engagea à ce moment. En troupes serrées comme des corps d'armée, des millions d'hommes de lettres y défilaient depuis des siècles. Ce n'était plus une voie, c'était, c'est encore un Champ-de-Mars.
M. Le Roux s'y avança d'abord avec assurance, mais bientôt, ébloui par l'immensité de l'horizon, grisé par les cris de la foule, il se mit à chanceler comme un homme étourdi, à zigzaguer comme une bête aux abois. Ce fut une pitoyable randonnée. Il trébuchait dans la critique et roulait dans le roman. D'un bond on le voyait se jeter dans la chronique, puis, l'instant d'après, se traîner dans l'interview, la nouvelle et les récits de voyage. On l'avait cru, un moment, revenu dans le droit chemin, quand il disparut subitement. On se précipita: M. Le Roux avait mis le pied dans le théâtre et il gisait tout de son long.





Au cours de cette aventureuse équipée, M. Hugues Le Roux avait eu le bonheur de s'accrocher au bras de quelques célébrités grâce auxquelles il se fit connaître du grand public. Deux chefs d'Etat, le sultan du Maroc et Bismarck, se partagèrent les bons soins de M. Le Roux. De ceux-là, il révéla les intimes pensées. Il nous révéla en même temps une célèbre chanteuse. Celle-ci fut présentée en liberté aux spectateurs de la Bodinière par l'explorateur transformé en conférencier pour étoiles. Mais si nul ne doute de la collaboration d'Yvette Guilbert* et d'Hugues Le Roux, en revanche, rien ne fut moins prouvé que les épanchements du ministre et du sultan dans le sein de l'ancien professeur d'espagnol.
Les premières conférences de M. Le Roux avaient été bien accueillies. Il fit des causeries sur l'amour qui n'eurent pas moins de succès et acquit par ces causeries et par des articles de journaux la réputation d'un spécialiste des menues études sentimentales. Les dames buvaient ses paroles, s'arrachaient sa prose et lui soumettaient des cas de conscience à embarrasser un docteur en théologie.
Ce temps est passé. M. Hugues Le Roux est revenu à de plus graves travaux. Certaines questions sociales et de politique coloniale paraisse l'absorber entièrement aujourd'hui. Il a des correspondants aux quatre coins du globe et quand le négus Ménélik veut faire une communication à la presse française, il se sert du canal de M. Le Roux, explorateur mondain, diplomate amateur.

                                                                                                                                 Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er septembre 1907.

* Nota de célestin Mira:





Yvette Guilbert.





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